La décentralisation constitue un sujet délicat dont on risque d’entendre de plus en plus parler avec la réforme du régime forestier, du modèle agricole, de la gestion de l’eau et du modèle de développement éolien, par exemple. Fondée en 2007, la Coalition pour un Québec des Régions se veut la porte-parole de cette idée. Elle exige la mise en place de gouvernements territoriaux, afin de permettre aux populations régionales de reprendre en main leur développement, leurs ressources et l’organisation de leur vie communautaire.
Mais lorsqu’il est question de protection de l’environnement, qui de l’État central ou des régions est le plus apte à assumer cette importante responsabilité? Roméo Bouchard, membre et coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions, nous expose sa position.
Par Roméo Bouchard
Membre et coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions
La Coalition pour un Québec des Régions propose de mettre en place de véritables gouvernements territoriaux élus au suffrage universel et dotés de pouvoirs et de moyens autonomes pour s’occuper de toutes les responsabilités qu’ils sont en mesure de gérer mieux que l’État.
La prise en charge de l’environnement par les collectivités
La protection de l’environnement est un de ces secteurs où des gouvernements territoriaux pourraient assumer de nombreuses responsabilités plus efficacement que le Ministère de l’Environnement lui-même, en particulier en ce qui concerne la gestion de l’eau, des bandes riveraines et des bassins versants, la préservation des boisés et des milieux humides, l’utilisation multifonctionnelle de la forêt et de la zone agricole, la pollution agricole, la gestion des déchets, les aires protégées, les rejets industriels dans le milieu et l’atmosphère, la planification des transports, l’aménagement urbain, la protection et la mise en valeur des sites naturels et patrimoniaux, les études d’impact pour les nouveaux développements, la juridiction de tribunaux territoriaux pour les infractions relatives à l’environnement et aux plans de gestion de l’eau et du territoire, etc.
Il n’est qu’à observer comment la décentralisation des pouvoirs aux États-Unis permet aux États et aux villes plus sensibilisés de mettre en place des mesures écologiques qui vont bien au-delà des pratiques nationales. Chez nous, en dépit d’un système politique très centralisé, beaucoup de mesures environnementales importantes ont été initiées ou obtenues par des populations locales : interdiction des pesticides en aménagement paysager (ville de Hudson), interdiction des arrosages chimiques contre la tordeuse d’épinette et contre la végétation compétitive dans les plantations (Bas-Saint-Laurent), interdiction des porcheries sur fumier liquide (Saint-Germain-de-Kamouraska), usines de récupération et recyclage (Victoriaville), interdiction des sacs de plastique (Huntington et Amqui), abandon des centrales au gaz (Beauharnois), abandon de barrages projetés sur des rivières patrimoniales (Ashuapmushuan, Jacques-Cartier, Batiscan, Trois-Pistoles, etc.), donations écologiques (Estrie), et combien d’autres.
Encore aujourd’hui, on dénombre par centaines les comités de sauvegarde de tel lac, telle rivière, tel boisé, telle forêt, telle batture, tel écosystème, telle espèce, telle race ou semence patrimoniales, sans oublier les Comités de bassin versant au sein desquels, malgré des structures et des moyens inadéquats, des centaines de citoyens bénévoles font un travail exceptionnel pour impliquer les citoyens dans la réhabilitation de leurs cours d’eau et la gestion de leurs bassins versants tout entier. Le Ministère de l’Environnement ferait mieux d’appuyer les MRC pour la gestion de l’eau sur leur territoire que d’essayer encore une fois de resserrer son contrôle en voulant créer des comités régionaux de gestion de l’eau sous sa tutelle. Si on attend que le Ministère de l’Environnement vienne prendre soin du ruisseau qui coule derrière chez nous, on risque d’attendre longtemps, trop longtemps surtout.
Méfiance injustifiée
Pourtant, beaucoup de Québécois, surtout des écologistes, manifestent une grande méfiance face à la possibilité de décentraliser les responsabilités relatives à la protection de l’environnement. Dans la perception de beaucoup d’entre eux, confier de telles responsabilités à des élus et des collectivités locales, dans des régions en mal de développement pour remplacer les emplois perdus et freiner l’exode de leurs jeunes, risque d’ouvrir la porte à des développements irresponsables. On n’a qu’à penser à la tendance déjà bien réelle à diriger des industries-poubelles vers les régions en difficulté où elles sont plus facilement acceptées (incinérateurs et usines de traitement de matières dangereuses, sites d’enfouissement, cimenteries, abattoirs, méga-élevages, papetières, alumineries, raffineries, etc.)
Une telle méfiance relève de plusieurs incompréhensions.
En tout premier lieu, une perception erronée des régions périphériques et de leur population. On oublie facilement que la plupart des mouvements et des combats écologiques sont nés et se sont déroulés en campagne : protection de rivières menacées par des barrages ou des développements, protection des forêts, protection d’espèces et d’habitats menacés, opposition aux porcheries industrielles, aux centrales nucléaires, aux ports méthaniers, au développement éolien anarchique, récupération et recyclage, développement de l’agriculture biologique, etc. Encore aujourd’hui, Montréal et les villes sont nettement en retard sur les petites collectivités en ce qui concerne la récupération et le recyclage des déchets. On ne peut nier la pression qu’exerce la perte d’emploi massive dans certaines régions : la pauvreté et la nécessité ne font jamais bon ménage avec l’écologie. Ni l’inconscience qu’ont longtemps manifesté les ruraux, tout comme les urbains d’ailleurs, face à la nécessité de préserver la grande nature qui les entoure. Mais il est faux de supposer que les ruraux, qui sont intimement lié à leur environnement naturel, n’ont pas de conscience écologique ou ne peuvent y être sensibilisés.
En second lieu, une mauvaise compréhension de la décentralisation. La décentralisation n’est pas l’anarchie mais la démocratie, c’est-à-dire l’exercice du pouvoir du peuple. Une véritable décentralisation n’est pas l’abolition de l’État mais une modification de son rôle. Au lieu d’assumer seul la gestion et le contrôle, l’État laisse à des gouvernements territoriaux élus et autonomes les décisions et les ressources financières reliées à un secteur d’activité où ils sont mieux placés pour agir, et recentre son intervention propre comme État central sur la définition des objectifs et politiques d’encadrement, la coordination du territoire, la répartition équitable des ressources, le financement des grands équipements et la disponibilité de l’expertise ministérielle à l’endroit des gouvernements territoriaux. En d’autres mots, l’État se met au service des collectivités territoriales et non l’inverse.
L’environnement n’est pas plus en sécurité entre les mains de fonctionnaires, soumis à tous les lobbies politiques et économiques, derrière les portes closes, qu’entre les mains des collectivités locales et régionales, au vu et au su de tout le monde, qui dépendent en grande partie de leur environnement pour leur qualité de vie quand ce n’est pas pour leur gagne-pain. Au contraire, si l’intervention de l’État reste essentielle pour fournir les grands objectifs sur les développements énergétiques, le réchauffement climatique, l’utilisation écologique des ressources, on avancerait beaucoup plus vite si on confiait la protection quotidienne et opérationnelle de l’environnement et des écosystèmes à des instances locales et régionales, à condition bien sûr de leur fournir également les moyens de le faire.
L’implication des communautés qui en découlerait permettrait sans aucun doute de le faire mieux et à meilleur coût.
Par Roméo Bouchard
Membre et coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions