Retrouver confiance dans le système économique international?

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Par Nicolas Ottenheimer



Ce qui devait arriver est arrivé… Si une certaine angoisse transpire quant aux impacts du crash financier, la surprise n’est pas si grande pour les quelques économistes clairvoyants qui avaient prévenu les dirigeants de l’instabilité des fondations sur lesquelles reposent le modèle économique et social de l’Occident. Aujourd’hui la virtualité des systèmes économiques et l’endettement généralisé des banques, des États, des individus et des écosystèmes présentent une impasse concrète que tous doivent admettre pour entamer la plus solidaire des transitions. Alors que certains comme Wallerstein (1) annonce la fin prochaine du capitalisme, la crise financière est un appel pressant pour un changement d’idéal de vie, de façon de s’épanouir et d’exister.

Endetté, toujours plus…

L’effet domino est lancé : des banques endettées ne contrôlent plus l’endettement endémique des individus. Ces derniers, pourtant insolvables, ont été constamment incités à emprunter, bernés par l’illusion qu’une grande partie du profit est créée à partir des dettes. Pour se sauver du tsunami financier, les banques ont réclamé le soutien des États, eux-mêmes endettés. Elles avaient obtenu la déréglementation et le libéralisme économique, elles obtiendraient une forme de nationalisation de leurs pertes.

Prenons l’exemple des États-Unis, sur qui tous les modèles financiers mondiaux se sont alignés :  selon un rapport de la CIA, la dette extérieure du pays a atteint 12,25 billions de dollars. Soit un peu plus de 12 mille milliards de dollars (2)… Ce qui, soit dit en passant, correspond à 10 000 fois la dette qui étouffe un pays comme le Togo, situé en Afrique de l’Ouest.

Étonnamment, quelques semaines avant la débâcle des banques, les mouvements sociaux peinaient à obtenir quelques poignées de millions pour la santé, l’éducation, les transports en commun ou l’agriculture biologique. Et soudain, le Congrès américain parvient à débloquer 700 milliards de dollars pour espérer ralentir l’effet domino. Puis, les grandes banques de l’Angleterre obtiennent 600 milliards, la France parvient à y injecter 350 milliards et le Canada verse 75 milliards (3); même les banques costaricaines puisent 170 millions de dollars dans les poches de leur État. Peu importe comment, l’objectif est de trouver de l’argent pour redonner confiance aux actionnaires et stabiliser le système financier. Revenir au « bon » fonctionnement économique.


Les médias relaient que seul l’accès au crédit importe. Ils se gardent d’expliquer que les États devront emprunter aux banques l’argent nécessaire pour sortir de leur spirale d’endettement et créer des chantiers d’emploi pour stopper le chômage!


La sacrée croissance économique


La richesse réelle, celle qui repose sur des bien matériels manufacturés, est construite sur la croissance économique. Celle-ci, outre le travail humain, repose sur l’exploitation des écosystèmes et des ressources naturelles (cuivre, or, zinc, hydrocarbures, pêcheries, forêts, etc.). Pourtant, les écosystèmes sont, comme nous le rappelle l’empreinte écologique, déjà endettés! En effet, l’empreinte écologique mondiale est croissante et correspond actuellement aux ressources de 1,5 planète Terre. Additionné aux endettements individuels, bancaires et étatiques, l’endettement naturel permet de douter d’un réel retour à la normale.

Lorsque l’on écoute parler les économistes, même critiques, leur vision du long terme ne dépasse guère les 18 mois. Et dans 30 ans, 50 ans, 100 ans? Comment peut-on vraiment construire un monde durable avec des bases si fragiles qui s’appuient sur un endettement généralisé, y compris des écosystèmes?

La décroissance : un mot obus

La décroissance est devenu un passage obligé. Mettons nous d’accord, la décroissance telle qu’elle a été structurée par certains penseurs n’est pas synonyme de récession. Elle est un mot obus  (4) destiné à provoquer une prise de conscience collective. Elle est aussi un projet de société qui a plus de chance de permettre à l’humanité de se propulser dans l’avenir, que les nouvelles équations économistes actuelles, basées sur des préceptes périmés.

Dans les lignes de « L’objecteur de croissance » (5), David Murray décrit avec limpidité la position du mouvement québécois pour la décroissance conviviale (6). La décroissance doit être perçue comme un changement de paradigme. C’est une autre logique, une autre manière de raisonner. « Elle est aussi un moyen et non une fin. « (…) (Parce que) prôner la décroissance infinie serait tout aussi absurde que de prôner la croissance infinie. Il s’agit avant tout d’imposer des limites, individuelles et collectives, à la démesure. Concrètement, cela signifie une diminution régulière de la consommation actuelle matérielle et énergétique, dans les pays (industrialisés) et pour les populations qui consomment plus que leur empreinte écologique admissible, en évacuant en priorité le superflu matériel, au profit d’une croissance des relations humaines » (7). Cette nouvelle approche économique n’est pas une croissance négative, mais bien une « a-croissance », une sortie de la religion du progrès établie  sur le principe du toujours plus, à tout prix.

Comme le souligne Paul Ariès, « il ne s’agit pas simplement de répartir autrement le gâteau mais d’en changer la recette (8) ». La décroissance se signifie une nette rupture avec nos conceptions économiques actuelles.

Créer une nouvelle voie


Comment s’engager dans une telle voie? Quels concepts et principes permettent d’en entrevoir certaines pistes? Si certaines alternatives existent déjà, de nombreuses restent à construire. A priori, un changement doit s’opérer au niveau des esprits. Il faut « décoloniser » notre imaginaire pour reprendre l’expression de Serge Latouche (9) » (10). Inviter des sociologues, des créateurs, des géographes, des scientifiques à réfléchir avec les économistes. Interpeller toutes les sphères de la société, se sentir concernés.

On est ici bien loin du slogan des Libéraux « l’économie d’abord »…



Par Nicolas Ottenheimer

Étudiant géographe et individu socialement et écologiquement engagé, les sujets de recherche de Nicolas Ottenheimer touchent aux concepts de gouvernance, de « développement durable », de développement local et global, de cultures, de diversité et d’universalisme. Sa recherche actuelle en géographie politique environnementale le pousse, par cohérence, à défendre l’idée de décroissance économique dans les pays occidentaux.


Sources : 

(1) Wallerstein I, « Le capitalisme touche à sa fin », propos receuillis par A Reverchon, Lemonde.fr, [En ligne]
(2) Central Intelligence Agency. (2008). “The 2008 World Factbook”. Indexmundi.com, [En ligne], [En ligne].
(4) Paul Ariès, (2005) article en ligne ici
(5) « L’objecteur de croissance » est un nouveau journal papier québécois trimestriel consultable en ligne sur le site du MQDC. Son lancement aura lieu à 14h le 24 janvier 2009 à l’Université du Québec à Montréal dans la salle AM050.
(6) Le manifeste du MQDC est en ligne ici
(7) Nicolas Ridoux. La décroissance pour tous. Parangon, 2006, p.112. Sur l’effet rebond, voir aussi François Schneider. «Point d’efficacité sans sobriété», dans Michel Bernard, Vincent Cheynet et Bruno Clémentin (dir). Objectif Décroissance : Vers une société viable, Écosociété, 2003, p.91-92
(8) Paul Ariès. Décroissance ou barbarie. Éditions Golias, 2005, p.8
(9) Serge Latouche, (2004), Survivre au développement, Paris, Mille et une nuits.
(10) David Murray, « la nécessité de sortir de l’économisme », l’objecteur de croissance, numéro 1, janvier 2009.

 
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