Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »
Mots clés : Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), participation publique, Loi sur la qualité de l’environnement, Québec.
Que se passe-t-il avec le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE)? Considéré comme un fleuron de la sécurité environnementale québécoise, l’organisme est maintenant soupçonné de complaisance envers les promoteurs de tout acabit. Au cours des dernières années, des voix se sont faites de plus en plus critiques de ses travaux et audiences. Certains groupes écologistes ont même décidé de boycotter la première partie des audiences du projet d’Hydro-Québec sur la rivière Romaine. Auparavant, d’autres groupes avaient envisagé de poursuivre judiciairement le BAPE concernant le pont sur la 25. Profitons de ses 30 ans bien sonnés pour en comprendre son évolution.
Le 30 décembre 1978, le Québec devenait la première province canadienne à permettre la participation des citoyens à l’évaluation environnementale de projets d’importance, en créant le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. Depuis, plus de 100 000 personnes ont assisté à ses audiences et déposé plus de 10 000 mémoires sur des projets qui ont façonné le Québec. Il s’agit d’un acquis social important et dont la renommée dépasse largement nos frontières.
Comme organisme, le BAPE se situe à l’intérieur d’une procédure d’évaluation environnementale qui n’a pratiquement pas évolué depuis près de 30 ans. Cette procédure, prévue par la Loi sur la qualité de l’environnement, affiche de sérieuses lacunes qui attirent les critiques sur le BAPE.
Ainsi, lorsque l’étude d’impact soumise à l’examen public est déficiente, comme dans le cas du pont de la 25, le BAPE n’y est pour rien et ne peut y faire grand chose. En effet, la loi prévoit que c’est le ministre responsable de l’environnement qui décide si l’étude d’impact préparée par le promoteur est satisfaisante. Le BAPE, comme organisme administratif soumis à une loi habilitante, n’a aucun pouvoir de refuser de tenir une audience publique, peu importe ce que ses membres pensent de la qualité de l’étude d’impact. De plus, les tribunaux ont reconnu le très large pouvoir discrétionnaire du ministre à cet effet. En France, ce pouvoir est mieux encadré par la loi et il est alors possible de s’adresser aux tribunaux, afin d’obtenir de nouvelles audiences avec une étude d’impact plus complète ou l’annulation d’une éventuelle autorisation.
Les limites du BAPE
Le BAPE est aussi soumis à des contraintes légales qui compliquent sa tâche et peuvent exaspérer les participants. Ainsi, il doit rendre son rapport au ministre dans un délai de quatre mois, ce qui rend fort difficile la tenue des audiences à plus d’un endroit, comme il était demandé pour la Romaine. Cette limite de temps n’existe pas au fédéral et en France, elle est de six mois. Le BAPE ne peut rien non plus face au refus du gouvernement d’organiser des audiences « génériques » en amont de projets particuliers. Qu’on pense à la filière éolienne ou à celle des terminaux méthaniers, au plan de transport de la région métropolitaine, etc. Il est alors condamné à tenir des audiences sur un projet particulier, sans vue d’ensemble et sans pouvoir tenir compte des impacts cumulatifs de ce type de projet.
Il faut aussi être conscient des contraintes financières qui influencent son fonctionnement. Le budget de l’organisme n’a pratiquement pas évolué depuis 10 ans, alors que le nombre de projets soumis à des audiences a explosé. Cela force la formation de commissions d’enquête avec moins de commissaires et, surtout, cela empêche le BAPE de convoquer des experts indépendants pour venir témoigner aux audiences, comme cela se faisait auparavant. Si on ajoute à cela le fait que la loi n’oblige pas le ministère de l’Environnement à présenter aux audiences sa propre expertise, les citoyens se retrouvent démunis face à des promoteurs plus aguerris et accompagnés de cabinets de communication.
La responsabilité des commissaires Mais, les lacunes de la Loi sur la qualité de l’environnement n’autorisent pas les membres du BAPE à sous-estimer leur propre responsabilité face aux critiques des groupes environnementaux, ni à ignorer leur devoir face à l’avancement de la démocratie participative au Québec. Comme tout organisme qui vieillit, le BAPE risque la sclérose ou l’essoufflement si ses membres ne sont pas vigilants. Les limites imposées par la loi n’empêchent pas les rapports du BAPE de remettre en question le caractère durable de certains projets, ni de dénoncer les comportements qui vont à l’encontre d’une saine participation publique. Par exemple, il est inacceptable qu’une société d’État comme Hydro-Québec puisse conclure des accords secrets avec des élus municipaux ou des dirigeants autochtones pour « acheter » leur soutien avant la tenue des audiences et l’évaluation publique d’un projet comme la Romaine. Le BAPE doit aussi mettre les technologies modernes au service de la participation publique la plus large. Il est aujourd’hui parfaitement possible d’organiser des vidéo-audiences accessibles sur Internet et permettant une participation en direct de personnes qui ne peuvent se déplacer dans la région du projet. Lorsque six milliards de fonds publics sont engagés, comme dans le cas de la Romaine, il est anormal que la participation publique soit réservée à ceux qui peuvent se rendre à Havre-Saint-Pierre. Permettre l’envoi de questions par courriel est largement insuffisant. On peut toujours écrire à son député ou à Hydro-Québec, mais cela ne relève pas de la démocratie participative qui doit animer le BAPE.
Les membres du BAPE ont la responsabilité de conserver la confiance du public dans l’impartialité et l’utilité du processus d’audiences publiques. La frilosité ne peut tenir lieu de gouvernail. Si certaines critiques de groupes écologistes ne sont pas toujours fondées, il n’en demeure pas moins fort préoccupant de les voir appeler au boycottage des audiences publiques et à remettre en question la légitimité du BAPE. Pourquoi de simples citoyens iraient-ils participer aux audiences du BAPE si les groupes écologistes considèrent l’organisme illégitime et les dés pipés d’avance?
En outre, André Caillé, ex-PDG d’Hydro-Québec, demande déjà l’abolition du BAPE considérant « ce processus inutile », tout comme la Fédération des chambres de commerce du Québec. Entre « inutile » et « illégitime », ces positions extrêmes risquent de trouver un écho favorable au sein d’un gouvernement pour qui c’est « l’économie d’abord! ». D’ailleurs, il est à prévoir que le gouvernement majoritaire de Jean Charest propose en 2009 une importante réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement qui touchera la procédure d’évaluation environnementale et le BAPE. Si les citoyens ne sont pas convaincus que les membres du BAPE ont l’impartialité et l’indépendance nécessaires pour remettre en question tout type de projet, peu importe qui le soumet, l’organisme risque de se retrouver isolé. C’est alors la démocratie participative, pourtant un principe fondamental du développement durable, qui pourrait reculer. Il faut éviter cela à tout prix!
Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens » |