Accès aux plages à Montréal : va te baigner ailleurs!

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Par Valérie Ouellet                                                                            À lire également : Manger le poisson qui fraie à Montréal!

 

Mots-clés : fleuve Saint-Laurent, Montréal, activités récréatives, plages, qualité de l’eau, QUALO.

Le vendredi 10 juillet dernier, une centaine de personnes ont plongé dans le fleuve Saint-Laurent à partir du Quai Jacques-Cartier, dans le Vieux-Montréal, à l’occasion du Grand Splash. Le Comité citoyen Montréal Baignade et ses baigneurs impromptus voulaient démontrer que la pratique d’activités récréatives dans le fleuve peut être à la fois sécuritaire et amusante. Une idée qui demeure utopique, pour l’instant, car les points d’accès au fleuve aménagés et sécuritaires sont rares et la qualité de l’eau laisse encore à désirer dans certains arrondissements de l’est de l’île.

S’ils veulent se baigner, les Montréalais doivent se partager la plage Jean Doré, située sur l’île Notre-Dame, ainsi que les plages des Parcs Nature du Cap-Saint-Jacques et du Bois-de-l’Île-Bizard, situées à l’extrémité ouest de Montréal. Avec une capacité de quelques milliers de baigneurs chacune, ces trois berges ne peuvent satisfaire les quelque 1,8 million de Montréalais à la recherche d’un oasis.


Le vendredi 10 juillet, près  d’une centaine de baigneurs se sont jetés dans l’eau du Quai Jacques-Cartier
pour le traditionnel Grand Splash. Cette baignade symbolique est organisée chaque année depuis 2003
par le Comité citoyen Montréal Baignade.

(Photo : Comité citoyen Montréal Baignade, 2009)

Une plage pour l’Est

Dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies—Pointe-aux-Trembles, les rives de l’est de l’île abritaient plusieurs sites de villégiatures et les bords de l’eau étaient utilisés comme des lieux de baignade, jusque dans les années 1970. À présent, ces sites d’accès à l’eau ont tous disparu. Une situation qui consterne la directrice du comité Comité Zone d’intervention prioritaire (ZIP) Jacques-Cartier, Sylvie Bibeau.

Pour remédier à la situation, la ZIP Jacques-Cartier propose de réaménager le site de la Marina Beaudoin, d’une superficie d’un hectare et demi (15 000 mètres carrés), en plage de quartier. Située dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies—Pointe-aux-Trembles, à quelques minutes du Parc du Bout-de-l’Île et en face de l’archipel Sainte-Thérèse, la Marina Beaudoin pourrait accueillir une base de loisir familiale, avec possibilité de location de canots et de kayaks, un centre d’interprétation de la nature, une promenade sur la rive de plus de deux kilomètres et possiblement un café-terrasse. « Ce pourrait être un lieu de baignade très intéressant et une destination prisée des citoyens de l’est », dit Sylvie Bibeau.


D’une superficie de 15 000 mètres carrés, la Marina Beaudoin est l’endroit idéal pour permettre aux citoyens
de l’est de pratiquer des activités aquatiques diverses, croit la directrice du ZIP Jacques-Cartier, Sylvie Bibeau.


(Photo : Valérie Ouellet)


Odile Lachapelle, résidente de Pointe-aux-Trembles et membre du comité de citoyens qui travaille au projet de la Marina Beaudoin, est aussi enthousiasmée par cette éventualité. « Nous avons sous les yeux une richesse dont on s’est coupé. Nous devons reconquérir notre fleuve, et en faire un point d’intérêt récréo-touristique. Cette plage pourrait même aider à revitaliser tout le quartier », ajoute la citoyenne, qui confesse devoir se rendre dans les Laurentides ou au lac Champlain lorsqu’elle veut se mettre les pieds à l’eau. Elle n’est pas la seule. En 2002, une étude (1) estimait qu’un Montréalais sur trois quitte l’île pour profiter des plaisirs de la baignade.

« C’est un peu aberrant d’être entouré d’eau et de ne pas pouvoir en profiter à sa guise », constate Ariane Cimon-Fortier, directrice du Comité ZIP Ville-Marie. L’organisme appuie les citoyens qui réclament davantage de lieux d’accès au fleuve, que ce soit pour la baignade ou la pratique d’activités récréatives comme le canot, le kayak ou la pêche.  

Genèse d’une plage

Transformer les berges du fleuve en plage dorée n’est pas de tout repos, souligne Pierre Bouchard, directeur des grands parcs et de la nature en ville pour la Ville de Montréal. Pour faire une plage, il faut considérer plusieurs facteurs : la pente de l’accès à l’eau, le type de sol, la vitesse du courant, la qualité bactérienne de l’eau, la grandeur de l’arrière-plage, etc. « Il y a en fait très peu d’endroits sur l’ île de Montréal qui pourraient être aménagés de la sorte », argumente-t-il.


La plage Jean Doré, l’un des trois sites de baignade aménagés pour les Montréalais. Inaugurée le 22 juin 1990
par le maire Jean Doré lui-même, cette plage artificielle s’étend sur l’île Notre-Dame.

(Photo : Valérie Ouellet)

Construire une plage serait aussi un projet fastidieux, ardu et coûteux, ajoute ce dernier. « La plage  Jean Doré, qui a été inaugurée en 1990, a pris plusieurs années d’aménagement et a coûté 7 millions de dollars. Avant d’investir à nouveau des millions dans une plage, il faut s’assurer qu’elle va être utilisée par un maximum de citoyens », dit le directeur des grands parcs et de la nature en ville, qui rappelle que pour chaque personne qui joue dans l’eau, on dénombre au moins dix personnes se prélassant sur la plage. 

Au Comité ZIP Ville-Marie, on voit la solution d’un autre œil. « Est-ce obligatoire d’aménager des plages traditionnelles? On peut avoir accès à l’eau autrement. Il faut trouver des solutions pour fournir un accès qui se marie bien au paysage naturel », explique la directrice Ariane Cimon-Fortier. La diplômée en environnement suggère l’exemple des sites de la Tortue et du Natatorium, à Verdun, où deux quais flottants ont été installés afin de permettre la baignade.


Aménagé en 2006, le quai flottant du Natatorium, situé dans l’arrondissement de Verdun, est une alternative
aux plages sablonneuses. Ce quai d’une longueur de 40 mètres permet la pêche et la baignade
et dispose d’une plate-forme pour les embarcations légères.


(Photo : Valérie Ouellet)

Qualité de l’eau : un portrait inégal

Outre les coûts d’aménagement élevés, la qualité de l’eau pourrait aussi devenir un obstacle à la réalisation du projet de la Marina Beaudoin. En 2008, le site a échoué pour la première fois aux analyses du Réseau de suivi du milieu aquatique (RSMA) et n’a pu se classer comme site satisfaisant selon les normes QUALO de qualité de l’eau.

À chaque été, l’équipe de biologistes du RSMA effectue des prélèvements quotidiens sur 116 sites près des rives. La qualité de l’eau est jugée selon le nombre de coliformes fécaux par millilitres (mL), qui doit être inférieur à 200 COLI par 100 mL. La Marina Beaudoin fait partie des 20 sites où la qualité de l’eau a été jugée parfois mauvaise, polluée ou insalubre par la RSMA en 2008. De ce nombre, 17 sont situés sur la pointe est de l’île, qui abrite un important parc industriel ainsi que la station d’épuration des eaux usées Jean R. Marcotte.

Plusieurs facteurs peuvent influencer le résultat QUALO d’un site, comme la variation du niveau naturel de l’eau, la contamination de cours d’eau en amont ou encore la présence accrue d’oiseaux et de mammifères. Mais parfois, la pollution de l’eau est due à l’erreur humaine, comme dans les cas de raccordements croisés de la tuyauterie résidentielle (lorsqu’il n’y a qu’un seul tuyau à la fois pour l’eau de pluie et les eaux usées), explique Guy Deschamps biologiste responsable du RSMA. « En temps sec, il n’y a aucun problème, mais lorsqu’il y a des pluies importantes, le système d’égout déborde dans le fleuve et les cours d’eau avoisinants. On appelle ce phénomène débordement ou surverse. » Ces refoulements d’égouts se trouvent ainsi à polluer l’eau du fleuve. C’est la raison pour laquelle le RSMA recommande aux baigneurs d’éviter tout contact avec l’eau le lendemain d’averses importantes.

Raccordement croisé

Source : Régie du bâtiment

Les causes de la pollution de l’eau

Les surverses peuvent aussi être causées par le débordement des collecteurs, sortes d’autoroutes qui ramènent toutes les eaux usées des Montréalais vers l’unique station d’épuration de l’île. « Les eaux usées circulent et s’accumulent en partant de l’ouest de l’île vers l’est. Plus on va vers l’est, plus les surverses sont importantes », explique la directrice d’Union Saint-Laurent Grands Lacs, Hélène Godmaire. De plus, comme l’est de la ville abrite une zone industrielle pavée sur plusieurs kilomètres, l’eau qui déborde ne peut s’infiltrer dans le sol, et coule directement vers le fleuve, ajoute Hélène Godmaire.

Le mercredi 8 juillet dernier, le maire Gérald Tremblay annonçait des investissements de 150 millions de dollars pour implanter le processus d’ozonisation à la station d’épuration Jean R. Marcotte, située dans l’est de la ville. Une mesure qui devrait permettre de purifier l’eau aux abords des rive est de l’île dès 2013.

Un fleuve mal aimé

Outre la tuyauterie, l’équipe de Guy Deschamps doit gérer un autre obstacle, celui-là plus subtil. « Les citoyens ont une très mauvaise perception du fleuve. Même si en temps sec, 90 % des stations respectent les normes QUALO, ils hésitent à se jeter à l’eau. » En effet, c’est dans la région métropolitaine que l’on trouve la plus forte proportion de personnes qui disent ne pas connaître d’endroits salubres pour pratiquer des activités récréatives reliées au fleuve, selon Santé Canada.

L’amélioration de la qualité de l’eau passe par la sensibilisation citoyenne, croit pour sa part Pierre Lussier, membre du Comité citoyen Montréal Baignade. Selon ce dernier, la Ville de Montréal aurait tout à gagner en investissant dès maintenant dans l’aménagement de sites d’accès à l’eau. « On ne devrait pas attendre d’avoir un nouveau système de traitement des eaux usées avant de promouvoir la baignade. »

Le 8 juillet dernier, le maire Tremblay a hésité à dire qu’il se jetterait aujourd’hui à l’eau, à cause de l’état de pollution du fleuve. Pierre Lussier, lui, plonge tête première pour encourager les Montréalais à profiter des attraits aquatiques du fleuve Saint-Laurent. Pour ce baigneur invétéré, la pratique d’activités récréatives sur les rives de l’île soutiendrait les actions pour améliorer la qualité de l’eau. « Plus on utilisera le fleuve, plus on va avoir du respect pour cet environnement et moins on va le polluer », croit-il. Espérons que les Montréalais sauront suivre son exemple.

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Sources :
(1) Étude de développement et de marketing du tourisme nautique, 2002.

 
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