La nouvelle loi québécoise pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre

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Par Géraud de Lassus Saint-Geniès, doctorant à la Faculté de droit de l’Université Laval et étudiant chercheur à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


 

Mots-clés : Loi sur les changements climatiques, MDDEP, Loi 42, émissions de GES, marché du carbone.  

Le 18 juin 2009, l’Assemblée nationale a adopté la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement et d’autres dispositions législatives en matière de changements climatiques (1) (Loi sur les changements climatiques) qui définit un cadre juridique pour limiter et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) au Québec. Cette loi prévoit notamment la mise en place d’un marché du carbone, appelé le « Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre » (SPEDE). Le Québec s’était engagé à créer ce marché lors de son adhésion en avril 2008 à la Western Climate Initiative (WCI), une association de lutte contre les changements climatiques constituée par les gouverneurs de sept États de l’Ouest américain à laquelle se sont également joints la Colombie Britannique, le Manitoba et l’Ontario. Afin de rendre opérationnel le SPEDE, la loi exige la création d’un registre public des émissions de GES et donne compétence au gouvernement pour arrêter un objectif de réduction des émissions de GES à atteindre au cours d’une certaine période. Cette analyse présentera les principales dispositions de la Loi sur les changements climatiques.

Le registre public des émissions de GES

En vertu de la loi, il incombe au ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs a la responsabilité de tenir un registre public des émissions de GES dans lequel on retrouvera la liste des « émetteurs », c’est-à-dire les entreprises, installations ou établissements désignés par règlement du ministre qui émettent des GES ou qui distribuent « un produit dont la production ou l’utilisation entraîne des émissions de gaz à effet de serre », ainsi que le volume et le type d’émission dégagé par chaque émetteur. Notons que si la loi vise les six GES règlementés par le Protocole de Kyoto, le ministre peut décider de désigner comme émetteurs des entreprises rejetant d’autres substances. Les émetteurs identifiés devront déclarer au ministre le volume et le type de leurs émissions, fournir la preuve des émissions déclarées et s’acquitter des droits d’inscription au registre. Les détails de cette procédure seront précisés dans un futur règlement. On peut toutefois s’interroger sur les entreprises qui seront désignées comme émetteurs. S’agira-t-il de toutes celles qui émettent des GES, comme le dispose la loi, ou bien seulement des entreprises plus polluantes dépassant un certain seuil d’émission, à l’instar du système européen?

L’objectif de réduction des émissions de GES

La loi donne compétence au gouvernement pour définir une période au cours de laquelle un certain volume de GES peut être émis dans l’ensemble du Québec. Ce volume se calcule en retranchant aux quantités de GES émises durant l’année 1990 le pourcentage correspondant à la cible de réduction choisie par le gouvernement (2). Le volume total des émissions peut ensuite être réparti entre différentes cibles pour chaque secteur d’activité. Des cibles de réduction ambitieuses sont évidemment nécessaires pour lutter efficacement contre les changements climatiques. Néanmoins, pour arrêter les cibles, la loi précise que le gouvernement doit prendre en considération les conséquences économiques, sociales et environnementales « découlant des réductions ou limitations des émissions nécessaires pour atteindre ces cibles ». Leur fixation doit en outre être précédée d’une « consultation particulière tenue par la commission parlementaire compétente de l’Assemblée nationale ». On notera que la loi n’impose pas au gouvernement un objectif de réduction d’une nouvelle période inférieur à l’objectif de réduction de la période précédente. Sans doute s’agit-il d’une « soupape de sécurité » dans l’hypothèse d’évènements particuliers justifiant une hausse des émissions de GES, par exemple, la perspective d’une forte croissance économique. En outre, on peut regretter que le choix de la période ait été laissé à la discrétion du gouvernement. L’expérience européenne en matière de marché du carbone montre que les émetteurs souhaitent connaître à l’avance les échéances auxquelles sont fixés les nouveaux objectifs de réduction.

Le SPEDE

La mise en place du SPEDE passe tout d’abord par la création de droits d’émission. Un droit d’émission permet à une entreprise d’émettre une certaine quantité de GES. La loi oblige chaque émetteur à acquérir un nombre suffisant de droits d’émission pour couvrir l’intégralité du volume de ses émissions au cours de la période déterminée. Le gouvernement fixe le nombre total des droits d’émission pouvant être délivrés aux émetteurs au cours de la période. L’attribution des droits d’émission est confiée au ministre, mais les modalités de cette attribution restent à définir. Le législateur se contente d’évoquer soit une allocation gratuite, soit une vente aux enchères, soit une vente de gré à gré. Les droits d’émission peuvent faire l’objet de transactions entre émetteurs. Un émetteur disposant de droits d’émission non utilisés – par exemple, en cas d’investissement dans les énergies propres – pourrait alors soit vendre ses droits à un autre émetteur, soit les mettre en réserve pour la période suivante. Afin de contrôler ce marché, le ministre est responsable d’un registre des droits d’émission dans lequel est inscrit le nombre de droits détenu par chaque émetteur. Le ministre est également habilité à « conclure une entente avec un gouvernement autre que celui du Québec, l’un de ses ministères, une organisation internationale ou un organisme de ce gouvernement ou de cette organisation afin de réaliser l’harmonisation et l’intégration de systèmes de plafonnement et d’échange de droits d’émission ». Cette disposition permettrait ainsi des échanges de droits d’émission avec les émetteurs d’autres provinces du Canada (3), d’États américains, voire de pays de l’Union européenne.  

Conclusion  

Le marché du carbone est une technique plébiscitée au niveau international, européen et américain (notamment grâce à la WCI) qui ouvre des perspectives de croissance économique très intéressantes tout en protégeant l’environnement. La Loi sur les changements climatiques s’inscrit donc dans une démarche de développement durable et son adoption mérite d’être saluée. Toutefois, cette loi ne définit qu’un cadre général et le législateur ne se prononce pas sur certaines modalités du fonctionnement du SPEDE qui sont déterminantes pour son efficacité : qui seront les émetteurs, comment seront attribués les droits d’émission et quelles seront les sanctions en cas d’infraction? En outre, elle se montre assez peu satisfaisante sur le plan de l’accès à l’information des citoyens. Par exemple, une liste des entreprises ayant dépassé leur quota d’émission figurera-t-elle dans l’un des deux registres? De plus, puisque des échanges de droits d’émission auront très certainement lieu avec d’autres provinces, il devient primordial d’harmoniser les objectifs de réduction afin d’éviter que les émetteurs de certaines provinces ne soient avantagés par l’octroi d’un nombre important de droits d’émission. Enfin, la technique du marché du carbone ne peut constituer la seule arme du Québec pour lutter contre les changements climatiques. Il est donc nécessaire que le gouvernement se montre ambitieux dans le choix des autres mesures de réduction des émissions de GES figurant dans son plan d’action pluriannuel de lutte contre les changements climatiques.




Par Géraud de Lassus Saint-Geniès,
doctorant à la Faculté de droit de l’Université Laval
et étudiant chercheur à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Géraud de Lassus Saint-Geniès est doctorant à la Faculté de droit de l’Université Laval. Sa thèse porte sur la mise en œuvre du principe d’intégration dans le régime international de lutte contre les changements climatiques. Il est titulaire d’une maîtrise en droit international et européen à l’Université Paris X Nanterre et d’un D.E.A. en droit international et droit des organisations internationales à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne.



Sources :
(1) Loi 2009, c. 33 – Projet de loi n° 42.
(2) Dans les négociations internationales, 1990 constitue l’année de référence à partir de laquelle sont calculés les objectifs de réduction de GES.
(3) La Colombie-Britannique a adopté une loi visant à mettre en œuvre un marché du carbone (SBC 2008, c. 32). L’Ontario a déposé, le 27 mai 2009, un projet de loi similaire (Projet de loi 185). Le Manitoba a adopté une loi créant un registre des émissions et fixant des objectifs de réductions (L.M. 2008, c.17).

 

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