Le droit nouveau de l’eau au Québec

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Par Paule Halley, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et avocate
et Christine Gagnon, doctorante à la Faculté de droit de l’Université Laval, étudiante-chercheure à la CRCDE et avocate.

Mots clés : Loi sur l’eau, MDDEP,  Loi 27, patrimoine commun, patrimoine naturel, utilisateur-payeur, Bureau des connaissances sur l’eau.

 

Le 11 juin dernier, l’Assemblée nationale adoptait à l’unanimité la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection (Loi sur l’eau) proposée par la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), Line Beauchamp. Cette loi s’inscrit dans les suites de grands travaux québécois sur l’eau en répondant à certaines propositions des rapports des Commissions Legendre (1975) et Beauchamp (2000) sur la gestion de l’eau au Québec et en mettant en œuvre des engagements de la Politique nationale de l’eau (2002). La Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement a eu l’occasion de participer à la Commission parlementaire tenue sur la première version de la loi déposée en juin 2008 (PL 92). Il est manifeste que la version finale adoptée le 11 juin dernier s’est enrichie d’avoir été soumise deux fois à la consultation publique et aux débats parlementaires. Rappelons, qu’à l’occasion du déclenchement des élections, le Projet de loi 92 est mort au feuilleton, pour réapparaître, amélioré, devant l’Assemblée nationale en mars 2009 (PL 27); autant d’occasions d’élargir la réflexion et d’approfondir les questions soulevées par ce nouveau droit de l’eau.

Riche en nouveautés, la Loi sur l’eau ouvre plusieurs volets relatifs à la gestion et à la gouvernance de l’eau et modifie substantiellement la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE). Ces nouveautés ont suscité beaucoup de réactions, positives et négatives, car elles touchent un intérêt vital, l’eau, et introduisent des notions inconnues en droit québécois et canadien. Beaucoup à dire mais peu de lignes; voici, en bref, des précisions et réflexions sur ce droit nouveau.

Une nouvelle loi sur l’eau

Bien qu’elle ne compte que quelques articles, la nouvelle Loi sur l’eau innove et promet des avancées, mais aussi des débats et des incertitudes. Sans pareil au Canada, l’article premier reprend le titre de la loi et affirme le caractère collectif de l’eau en qualifiant « l’eau de surface et l’eau souterraine, dans leur état naturel », de « ressources qui font partie du patrimoine commun de la nation québécoise ». Il poursuit en confirmant que l’eau demeure une chose commune, c’est à dire qu’elle est non appropriable et donc non soumise aux lois du marché et aux accords de libre-échange économique. Cette confirmation devrait mettre fin aux croyances de certains quant au caractère appropriable des eaux souterraines au Québec. C’est l’État qui est responsable du « patrimoine commun » et, à cette fin, il est nommé « gardien des intérêts de la nation dans la ressource en eau ».


Le patrimoine commun

La nouveauté du concept de « patrimoine commun de la nation québécoise » soulève de nombreuses questions laissées en suspens : est-ce que l’usage du mot « patrimoine » fait de l’eau un « bien » qui fait partie du domaine public de l’État (nationalisation de l’eau?) ou s’agit-il plutôt d’une nouvelle catégorie de patrimoine, regroupant les choses publiques, géré par l’État en marge des biens du domaine public et pour lequel des normes différentes de gestion s’appliquent, justifiant ainsi de les distinguer en créant le « patrimoine commun »? Nous optons pour la dernière hypothèse. L’usage croissant du mot « patrimoine » en droit public est manifeste : en droit international, avec le « patrimoine commun de l’humanité », et dans les droits nationaux où la protection des « monuments historiques » est remplacée par celle du « patrimoine culturel » et les « réserves écologiques » par le « patrimoine nature l». Il se dégage du concept de « patrimoine commun », l’idée que l’héritage reçu des générations précédentes doit être préservé et transmis aux générations futures et suppose une gestion et une exploitation rationnelles et durables. Selon M. Rèmond-Gouilloud, la diversification dans l’usage du terme patrimoine répond « à l’émergence contemporaine d’intérêts collectifs, intermédiaires entre l’intérêt général et l’intérêt individuel ».

Largement salué, le nouveau droit à l’eau reconnaît « à chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène », le « droit d’accéder à l’eau potable » dans les conditions définies par la loi. Ici, le Québec reconnaît et met en œuvre le droit à l’eau défini par l’Observation générale no 15 du Conseil économique et social des Nations Unies, que le Canada refuse de reconnaître depuis 2002. La mise en place de ce droit humain offre le net avantage de poser le principe de l’unité de l’action publique en matière d’eau potable et de prioriser cet usage de l’eau.

Les principes utilisateur-payeur, prévention, réparation et participation publique

La Loi introduit aussi des droits et des devoirs en matière d’eau. Les principes utilisateur-payeur, prévention, réparation et participation publique fondent l’imposition des redevances sur l’eau annoncées dans le préambule de la Loi. Ensuite, la Loi est silencieuse sur les redevances de prélèvement, de gestion, de traitement et d’utilisation de l’eau. Pourquoi ces annonces alors que le pouvoir d’imposer des redevances existait déjà dans la LQE? Les chassés-croisés entre la Loi et la LQE sont loin d’être clairs pour les citoyens qui devront se démener pour s’y retrouver. Quant aux devoirs de prévenir les atteintes à l’eau et d’en réparer les dommages, ils sont sanctionnés par l’action en réparation introduite dans la Loi. Enfin, les « principes de transparence et de participation », introduits in extremis dans la version finale, accordent au public le droit d’accéder aux informations et de participer à l’élaboration des décisions relatives à l’eau « dans les conditions définies par la loi »; ce qui est bien peu de chose!

Autre innovation, la Loi instaure une action en réparation des dommages causés à l’eau sans égard à l’existence d’une faute. Réservé au Procureur général, ce recours l’autorise à réclamer, au nom de « l’État gardien des intérêts de la nation dans les ressources en eau », la remise en état des lieux, des travaux compensatoires ou une indemnité pour les dommages causés aux ressources en eau. Il s’agit d’une traduction législative d’un recours qui existe déjà dans la common law canadienne. En s’inspirant de ce qui se fait déjà au Canada, la Loi aurait dû accorder également aux titulaires du « patrimoine commun » un recours statutaire en  protection de l’eau autorisant à faire contrôler par un tribunal le non respect de la Loi.

Gouvernance de l’eau

Sous le titre de « Gouvernance de l’eau », la Loi consacre, enfin au Québec, la gestion intégrée de l’eau par bassin versant. Initiative saluée, elle s’inscrit directement dans les suites de la Politique nationale de l’eau. Toutefois, le contenu concret de cette gouvernance locale n’est pas inscrit dans la Loi et cela en a déçu beaucoup. En effet, la Loi fait reposer sur la discrétion du ministre du MDDEP toute l’architecture du régime juridique applicable aux organismes de bassin versant, à leur mission, à l’élaboration et à l’approbation des plans directeurs de l’eau, aux conditions relatives à l’information et à la participation du public, etc. Paradoxalement, les conditions de la nouvelle gouvernance du « patrimoine commun » des Québécois auraient gagné à être introduites dans le projet de loi afin d’être largement débattues publiquement. Enfin, la Loi crée un Bureau des connaissances sur l’eau, qui produira un rapport sur l’état des ressources en eau et des systèmes aquatiques tous les cinq ans.

Modifications à la LQE : prélèvements et transferts d’eau

Le développement majeur, celui ayant, sans doute, permis à la ministre de faire passer son projet de Loi au sein du gouvernement, est l’important régime d’autorisation des prélèvements en eau que la Loi introduit dans la Loi sur la qualité de l’environnement. Ici, le contenu de la Loi est élaboré et le détail dans l’encadrement des pouvoirs d’autorisation tranche avec les dispositions actuelles, souvent vieillottes, de la LQE. Bien que le pouvoir d’autorisation du ministre demeure discrétionnaire, il doit maintenant tenir compte d’une série de nouveaux critères : les effets du changement climatique, les règles de gestion durable, équitable et efficace de l’eau, le principe de précaution, la hiérarchie des usages priorisant les besoins en eau potable et conciliant les besoins des écosystèmes, de l’économie et de la société. Fait inusité dans la LQE, le ministre se voit reconnaître le pouvoir d’évaluer une demande de certificat d’autorisation, plus seulement en termes environnementaux, mais aussi en termes sociaux et économiques. Fait encore plus inusité, le gouvernement (le Conseil des ministres) se lie pour la première fois à des critères, les mêmes que ceux applicables à la décision du ministre, lorsque les prélèvements d’eau sont soumis à la procédure d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement.

Soulignons l’introduction dans la LQE de l’Entente sur les ressources en eaux durables du bassin des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent (2005) cosignée par le Québec, l’Ontario et huit États limitrophes des États-Unis. Avec la ratification de cet accord, le Québec démontre sa capacité à conclure des ententes internationales dans ses champs de compétence. Enfin, la Loi sur l’eau introduit dans la LQE les interdictions de transferts d’eau hors Québec et abroge celles de la Loi sur la préservation des ressources en eau, adoptée, en 1999, dans la foulée des craintes suscitées par l’application de l’ALÉNA à l’eau et des projets d’exportations massives d’eau.

En définitive, les développements du droit de l’eau au Québec sont significatifs mais pas sans lacunes. Cette Loi, proposant une nouvelle gouvernance de l’eau, plus moderne et durable, est frileuse en termes de participation publique et laconique en ce qui concerne les relations à établir entre les titulaires du patrimoine, à savoir le public québécois, et  « l’État gardien des intérêts de la nation » et les obligations que ces concepts imposent à l’État. De plus, fait très usité au Québec, la Loi exclut les barrages et les ouvrages de production hydroélectrique des règles applicables aux prélèvements d’eau.

À l’évidence, le Québec vient de manquer une belle occasion de gérer l’eau de manière vraiment intégrée au Québec et de mettre fin aux privilèges et diktats d’Hydro-Québec dans les usages de l’eau. Enfin, la création du « patrimoine commun de la nation » dont fait partie l’eau, nous invite à pousser la réflexion un cran plus loin et à se demander si l’ensemble des composantes de l’environnement ne sont pas tout autant des éléments constitutifs de notre patrimoine commun?

 


 

Par Paule Halley, titulaire de la CRCDE, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et avocate. Elle publie en droit de l’environnement et sur le développement durable et elle intervient auprès d’institutions et organisations nationales et internationales

et Christine Gagnon, doctorante à la Faculté de droit de l’Université Laval,
étudiante-chercheure à la CRCDE et avocate.

 



Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux.

 

 

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