Par Anick Perreault-Labelle
Normal 0 21 Mots-clé : Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), participation publique, réforme, Québec
Les citoyens ont-ils une place dans les évaluations environnementales, et, sinon, comment leur en donner une? À l’initiative de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement (CRCDE), une quarantaine de militants écologistes, d’étudiants et d’intellectuels se sont posé ces questions. Et ont tenté d’y trouver des réponses. Sur la dizaine de procédures qui permettent de sonder l’opinion des Québécois au sujet de projets touchant l’environnement, le plus connu est le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), a rappelé Paule Halley, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et titulaire de la CRCDE. Mieux : le BAPE, né en 1978 suite à une modification de la Loi sur la qualité de l’environnement, est même le plus vieux mécanisme canadien accordant une participation publique dans les évaluations environnementales! « Il y a de belles choses dans le BAPE, s’est félicité Christian Simard, directeur général de Nature Québec. Grâce à lui, il y a des échanges directs entre les promoteurs et les citoyens. En plus, les audiences sont limitées dans le temps, ce qui permet d’en voir la fin.» Bref, si le BAPE n’existait pas, il faudrait l’inventer!
Une participation à améliorer / Les défauts du BAPE Ceci dit, les environnementalistes réunis par la CRCDE avaient plusieurs critiques à formuler à l’égard de l’organisme de consultation. Parmi les plus importantes : le BAPE a très rarement une vue d’ensemble sur les questions dont il traite parce que ses mandats, limités, ne l’autorisent pas à aller plus loin qu’un projets précis. Par exemple, le BAPE a examiné le projet de la centrale thermique du Suroît et non… la politique énergétique du Québec. « Certains citoyens ont voulu aborder des questions d’urbanisme lors des audiences sur l’échangeur Turcot, a témoigné Lucie McNeil, membre du Conseil régional de l’environnement de Laval. Ils se sont fait dire qu’ils n’étaient pas au bon endroit pour le faire, parce que le mandat du BAPE ne couvrait pas ces questions. » Malheureusement, les instances chargées de ces analyses plus générales – le Conseil consultatif de l’environnement, puis le Conseil de la conservation et de l’environnement – ont disparu à la fin des années 1990. Un autre défaut? Le public examine parfois des études d’impact incomplètes. En effet, une fois que le promoteur d’un projet dépose son étude d’impact, le ministère du Développement Durable, de l’Environnement et des Parcs lui demande parfois des études complémentaires qui sont déposées… après le dépôt du rapport du BAPE! Ce n’est pas tout : la liste des projets pouvant être présentés au BAPE est fermée. En clair : tout ce qui n’apparaît pas sur cette liste ne passe pas devant les commissaires. Organismes génétiquement modifiés, centrales hydroélectriques d’une puissance inférieure à 5 mégawatts, mines métallifères avec une production quotidienne de moins de 7000 tonnes, les projets « exemptés » ne manquent pas! « À tel point qu’il s’est créé une industrie du détournement du BAPE! », a dénoncé Louis-Gilles Francoeur, le journaliste environnementaliste du journal Le Devoir lors de la journée. Concrètement, des promoteurs conçoivent leur projet exprès pour le faire échapper au BAPE… Par ailleurs, même si le BAPE s’en défend, les décisions des commissaires manqueraient de cohérence. Par exemple, ils estimaient dans leur rapport Déchets d’hier, ressources de demain, déposé en 1997, « qu’il [faudrait]viser un objectif de mise en valeur pour les matériaux secs de plus de 90% d’ici l’an 2003 ». Or, depuis, « le BAPE a recommandé l’établissement de plusieurs projets où seront enfouis des matériaux secs », dit en entrevue Me Michel Bélanger, avocat spécialisé en recours collectif et en droit de l’environnement de la firme Lauzon Bélanger. Enfin, le BAPE demeure un organisme consultatif, c’est-à-dire que, lorsque le gouvernement rend sa décision au sujet d’un projet, il n’a pas à suivre ses recommandations. Alors, comment améliorer cet organisme mal-aimé dont les Québécois ne sauraient se passer? Il est toujours utile de questionner la crédibilité du BAPE lors des audiences, estime André Beauchamp, consultant en environnement et… ex-président du BAPE! « Cela oblige les commissaires à prendre leur rôle au sérieux, à démontrer qu’ils servent à autre chose qu’à entériner les décisions du gouvernement. » Les environnementalistes comptent aussi faire pression pour que les commissaires soient nommés par l’Assemblée nationale plutôt que par le Conseil des ministres, c’est-à-dire le gouvernement. Cette exigence leur procurerait plus d’indépendance. En effet, plusieurs commissaires ont déjà occupé des postes dans la haute fonction publique et risquent d’y retourner. Or, un commissaire qui espère retravailler pour l’État pourrait hésiter à se prononcer contre un projet que le gouvernement soutient officiellement. Une autre solution? Assurer un suivi plus serré des recommandations « bapiennes ». Par exemple, « si les commissaires recommandent la construction d’une route à la condition qu’un relevé de bruit soit effectué, il faudrait s’assurer que cette exigence ait été respectée et quels en ont été les impacts », juge M. Beauchamp. Malheureusement, ces questions ne sont pas neuves. Elles ont même plus de 20 ans! Le Rapport Lacoste déposé en 1988, concluait notamment que « le mode de fonctionnement administratif de la procédure [d’évaluation environnementale] a suscité des insatisfactions (…) notamment le non-assujettissement de certains projets (…) [et]l’insuffisance des contrôles sur la réalisation des projets ». Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui? Pas grand-chose. « Mais le fait que la question de la participation publique aux évaluations environnementales revienne montre que le malaise est réel, estime André Beauchamp : si on ramène sans cesse ce thème, il va finir par percer. » Tous les citoyens qui veulent se faire entendre ne peuvent que le souhaiter!
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