Industrie minière : un trou béant dans l'accès à l'information environnementale

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

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Mots-clés : droit d’accès à l’information, Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, information environnementale, industrie minière du Québec, Loi sur les mines.

Le droit d’accès à l’information détenue par l’État est fondamental pour la société et la démocratie. D’ailleurs, ce caractère fondamental est illustré par l’article 168 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (1) [ci-après Loi sur l’accès] qui proclame que « les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d’une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n’énonce expressément s’appliquer malgré la présente loi ». Ce faisant, le législateur a voulu éviter que les principes fondamentaux que la Loi sur l’accès met de l’avant ne soient grugés, au fil du temps, par des modifications aux lois sectorielles.

Il existe donc, dans un nombre limité de législations québécoises, des dispositions dérogatoires à la Loi sur l’accès, rendant inopérant son caractère prépondérant. Par exemple, la Loi sur la qualité de l’environnement (2) contient une telle mention dérogatoire, de façon à ce que plusieurs des exceptions à la divulgation prévues par la Loi sur l’accès ne s’appliquent pas aux renseignements concernant la présence de contaminants. En revanche, d’autres servent à réduire à néant toutes possibilités d’obtenir les documents recherchés, principalement en matière fiscale. Cependant, deux d’entre elles nous semblent particulièrement néfastes du point de vue de l’information environnementale et concernent l’industrie minière au Québec.

 

Des informations confidentielles

Ainsi, tant la Loi concernant les droits sur les mines (3) que la Loi sur les mines (4) contiennent des dispositions dérogatoires à l’application de la Loi sur l’accès. La première énonce ce qui suit :

80.2. Sont confidentiels tous renseignements obtenus dans l’application de la présente loi. Il est interdit à toute personne exerçant ou ayant exercé une fonction au ministère des Ressources naturelles et de la Faune de faire usage d’un tel renseignement à une autre fin que l’application de la présente loi, de communiquer ou de permettre que soit communiqué à une personne qui n’y a pas légalement droit un tel renseignement ou de permettre à une telle personne de prendre connaissance d’un document contenant un tel renseignement ou d’y avoir accès.

Toutefois, un renseignement concernant l’exploitant peut, à sa demande écrite ou celle de son représentant autorisé, être communiqué à une personne ou un organisme désignés dans la demande.

80.3. Malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) et sous réserve des articles 80.2, 80.4 et 80.5, nul n’a droit d’accès aux documents et renseignements obtenus dans l’application de la présente loi. (nos italiques)


Bref, si le sous-sol québécois fait partie du domaine public, les renseignements concernant l’application de la loi traitant des droits miniers versés à l’État pour son exploitation sont confidentiels. D’ailleurs, la loi prévoit une amende maximale de 5 000 $ à quiconque communiquerait un renseignement en contravention avec l’article 80.2 (5). De plus, il nous semble démesuré de prohiber la divulgation de tout document ou renseignement obtenu dans l’application d’une loi. Comment les citoyens peuvent-ils alors juger de son application? La question des droits miniers touche aussi à des questions environnementales puisque ces droits doivent, théoriquement du moins, servir aussi à compenser la dégradation du milieu naturel.

Quant à Loi sur les mines, elle contient deux dispositions dérogatoires. La première s’énonce ainsi :

Malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1) nul n’a droit d’accès, avant l’abandon, la révocation ou l’expiration de la concession minière, du permis ou du bail pour lequel ils ont été effectués, aux cartes, rapports et autres documents visés à l’article 119 ou exigés pour un droit minier relatif au pétrole et au gaz naturel, à la saumure ou à un réservoir souterrain. Après cet abandon, cette révocation ou cette expiration, ces cartes, rapports et autres documents sont accessibles à toute personne (6).


Ainsi, ce sont tous les rapports annuels obligatoires des détenteurs de droits miniers, indiqués à l’article 119, qui sont exclus de l’application de la Loi sur l’accès. Donc, impossible de connaître l’ampleur des travaux de restauration du site, des mesures préventives, des problèmes survenus, etc. Cette exclusion vise aussi tout document exigé pour un droit minier relatif au pétrole et au gaz naturel, à la saumure ou à un réservoir souterrain. Encore une fois, si l’on peut admettre certaines exclusions de données financières, étendre le secret à tout type d’informations, même celles pouvant être utiles à la protection de l’environnement, nous semble démesuré.

Quant à l’autre disposition dérogatoire, elle se retrouve dans une section ironiquement intitulée : AVIS, RAPPORTS, PLANS, REGISTRES, AUTRES DOCUMENTS ET REDEVANCES. Elle énonce :

Malgré l’article 9 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (chapitre A-2.1), nul n’a droit d’accès aux rapports, plans et registres fournis au ministre en vertu des articles 220, 221, 222, 223, 226 et du paragraphe 1° de l’article 234.

Toutefois, ces rapports, plans et registres peuvent être communiqués avec le consentement écrit du propriétaire des substances minérales ou du titulaire de droit minier ou lorsque l’État reprend possession des droits miniers (7). (nos italiques)

Cette disposition entraîne donc la non-divulgation de documents comme le rapport annuel des travaux d’exploration (8), qui peut comprendre « tout plan ou document nécessaire à une meilleure connaissance des gisements », le rapport préliminaire annuel des travaux d’exploitation (9) où doit se retrouver, entre autres, « la nature et le coût des travaux de réaménagement et de restauration effectués ou à effectuer », le rapport d’activités annuel (10) qui doit comprendre « la nature des travaux » ainsi que « tout autre renseignement que le ministre peut demander », ainsi que les plans d’ingénieurs (11) « déterminés par règlement ». Selon le règlement en question, ces plans doivent entre autres indiquer :

« […] les cours d’eau, les plans d’eau, […], les orifices au jour de toute ouverture souterraine, les fosses à ciel ouvert, les aires d’accumulation, telles que définies à l’article 107, comprenant celles situées à l’extérieur des limites du terrain, et les superficies de ces aires d’accumulation ayant fait l’objet de travaux de restauration, les bâtiments et autres installations, les dépôts de matériaux rejetés ainsi que les affleurements de roc et tous les autres ouvrages qui sont exécutés en surface. (12) »

De plus, en cas de suspension des travaux « pendant au moins six mois », le rapport obligatoire transmis par l’exploitant concernant les « plans des ouvrages souterrains, des minières, des installations sur le sol et des dépôts de résidus miniers existant à la date de la cessation des travaux » ne pourra être divulgué (13). Finalement, si le ministre exige « un rapport justifiant la technique d’exploitation utilisée » de façon à « s’assurer que l’exploitant récupère la substance minérale […] en se conformant aux règles de l’art (14) », ce rapport sera non accessible aux citoyens.

 

Le caractère colonial du développement minier

On perçoit facilement l’ampleur des informations environnementales qui peuvent se retrouver dans ces documents et leur importance pour évaluer correctement la protection qui est offerte au milieu humain et naturel, ainsi que les coûts environnementaux éventuellement légués aux générations actuelles et futures. Que l’on ait adopté de telles dispositions dérogatoires pour soustraire ces informations à l’attention du public démontre, encore une fois selon nous, le caractère « colonial » du développement minier au Québec. Curieusement, ce trou béant dans le principe d’accès à l’information ne semble jamais avoir été relevé. De plus, le Projet de loi 79 modifiant la Loi sur les mines (15), actuellement à l’étude en commission parlementaire, maintient intégralement ces dérogations à la Loi sur l’accès. Pourtant, l’accès à l’information est un principe reconnu par la Loi sur le développement durable (16) adoptée en 2006. Selon nous, cette chape de plomb sur l’information concernant l’industrie minière doit être impérativement levée.

 
 

Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement.

 


Sources :  

(1) L.R.Q., c. A-2.1.

(2) L.R.Q., c. Q-2, art. 118.4.

(3) L.R.Q., chapitre D-15

(4) L.R.Q., chapitre M-13.1

(5) Loi concernant les droits sur les mines, art. 84. Pour comparaison, l’article 53 énonce que l’omission de produire une déclaration annuelle de profits et d’estimation des droits payables ou de produire les renseignements qui y sont exigibles ne comporte qu’une peine maximale de $2 000 dollars. Divulguer est plus punissable que non divulguer!

(6) Loi sur les mines, art. 215, al. 3.

(7) Id. art. 228.

(8) Id., art. 220.

(9) Id. art. 221.

(10) Id. art. 222.

(11) Id. art. 223.

(12) Règlement sur les substances minérales autres que le pétrole, le gaz naturel et la saumure c. M-13.1, r. 2, art. 94.

(13) Loi sur les mines, art. 226.

(14) Id. art. 234, par 1°.

(15) Projet de loi n° 79, Loi modifiant la Loi sur les mines, Assemblée nationale, 39e Législature, 1ère session, 2009.

(16) L.R.Q., c, D-8.1.1., art. 6(f).

 

Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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