Par Chantal Gailloux
Mots-clés : alimentation, agroalimentaire, L’envers de l’assiette, Laure Waridel
« L’acte de manger nous lie à la terre d’une manière extrêmement intime.
Le Nu, le Non-loin, le Naturel et le Juste, bref le 3N-J proposé par Laure Wardiel dans la troisième édition de L’envers de l’assiette, explose de bon sens. L’écosociologue Laure Waridel y fait à nouveau le point sur l’état de notre alimentation ainsi que des impacts environnementaux et sociaux dans la chaîne alimentaire. Avec sa graine d’optimisme indéfectible, Laure Waridel propose des solutions (ou des ingrédients) qui sont à la portée de tous. À chacun de concocter sa propre recette! De fait, cette nouvelle édition remet les pendules à l’heure en proposant des données rigoureuses et plus récentes, comme en témoignent les 40 pages de référence du livre. « L’envers de l’assiette ne veut pas seulement dénoncer, mais surtout proposer. Il faut nécessairement être conscient du problème pour nous motiver à l’action. Il faut d’abord voir l’impact de chacun de nos gestes et, ensuite, amener ces gestes individuels au niveau collectif », explique Laure Waridel, attablée dans un café montréalais alors qu’elle est rentrée de Suisse pour lancer son livre le mardi 15 mars et participer à l’expo Manger santé et Vivre vert, dont elle est la porte-parole scientifique.
Pourquoi une troisième édition?Les thématiques n'ont pas cessé de se transformer et les études se sont quant à elles multipliées, mais surtout, explique l’écosociologue, la conscientisation aux problèmes environnementaux est désormais beaucoup plus grande qu’en 1997. De fait, ce serait le changement sociétal le plus important qu'elle ait noté : « Avez-vous remarqué que de plus en plus de gens apportent leurs sacs lorsqu’ils font les courses? Lors de la publication de la première édition de ce livre [en 1997], il fallait souvent argumenter pour pouvoir partir d’un magasin ou d’une épicerie sans un sac en plastique, de crainte de se faire prendre pour un voleur! Voilà qui démontre que les mentalités et les habitudes peuvent changer. »Ainsi, en 2011, impossible de se mettre la tête dans le sable quand il est question de changements climatiques, de contamination chimique et génétique ou de perte de biodiversité, explique-t-elle. « Trop d’études le démontrent! Une certaine forme de pouvoir politique est au bout de notre fourchette plus souvent qu’on ne le pense. À nous de l’exercer. »D’autant plus que ce livre ne s’adresse plus exclusivement à un public averti, c’est autant monsieur ou madame Tout-le-Monde qui y trouvera les outils pour changer son mode de vie. Comme l’explique José di Stasio, dans la préface qu’elle signe dans L’envers de l’assiette : « Je ne suis pas écolo “mur à mur”, mais quand je parcours ce livre encore aujourd’hui, je me rends compte que son propos éclairant et tellement nécessaire tient du gros bon sens. » De fait, plusieurs cégeps, écoles secondaires et nutritionnistes ont eu le même raisonnement et l'utilisent désormais comme outil pédagogique. Elle souhaiterait d’ailleurs que son livre soit aussi diffusé dans les bibliothèques. « Je veux que les gens se l’approprient; je propose des ingrédients et c’est à chacun de faire sa recette… »
Quoi de neuf ?L'enjeu reste sensiblement le même qu'aux premières éditions, mais les thématiques, elles, ont évolué. On parle désormais de biopiraterie, d’écoconditionnalité et d’accaparement des terres exacerbé par la production des biocarburants qui exercent une pression supplémentaire sur la souveraineté alimentaire. On revient sur le « greenwashing » et on voit poindre l’aube de la crise énergétique et de la sixième crise d’extinction des espèces. Se ficellent aussi plus concrètement des liens entre la présence de plusieurs produits dans notre corps – comme les pesticides, les agents mutagènes organochlorés ou organophosphorés – avec certains problèmes de santé, comme les cancers, les allergies, les déficiences du système immunitaire, l’infertilité et le déficit d’attention.Mais c’est sur le plan de la justice, correspondant au chapitre du « Juste », que Laure Waridel constate la plus grande dégradation depuis la dernière publication : « Même s'il y a une plus grande offre de produits équitables, dans les faits, la mondialisation et libéralisation des échanges a permis la libéralisation de l’exploitation environnementale et sociale. »
Il n’y a pas de doute : un ménage dans l’information (ou désinformation, c’est selon!) est nécessaire et c’est là que réside l’essentiel du propos de Laure Waridel.
Où en serons-nous dans sept ans?Dans sept ans, les 3N-J auront peut-être bien évolué, quoi qu’il en soit, Laure Waridel ne prévoit pas retravailler une quatrième édition avant d’avoir terminé, à l’Institut de hautes études internationales et du développement de Genève en Suisse, son doctorat sur la définition et les conditions d’émergence d’un système écologique et socialement responsable. D’ici là, la publication d’un sixième livre, dans lequel elle dévoilera une enquête sur le pouvoir des multinationales, est tout de même à surveiller. Ainsi, un peu comme dans les guides de resto ou les guides de vin qui reviennent chaque année, ce suivi de l'industrie agroalimentaire vient répertorier les changements et témoigner de l'évolution des mentalités. L’écosociologue se défend tout de même de mener cette aventure qui va au-delà du souci sociologique; elle poursuit plutôt une envie très forte de conscientiser les citoyens à l’impact de leurs choix de consommation afin d’en venir à des impacts plus écologiques et plus équitables de manière à transformer le système agroalimentaire. « Ce livre est un appel à faire des liens entre ce qu’on mange et les gens qui habitent l’autre bout de la planète et qui cultivent ce qu’on met dans notre assiette, mais aussi avec des gens d’ici qui ne sont pas suffisamment payés, tant dans les épiceries que dans les fermes. Les agriculteurs subissent un stress énorme », raconte-t-elle en faisant référence au taux de suicide accablant chez les agriculteurs. « Les pratiques doivent être améliorées dans le secteur agricole, mais il faut qu’on les épaule là-dedans, en essayant de transformer les choses positivement. Comme j’aime souvent dire : il faut plusieurs “David” contre “Goliath”! »
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