Mesdames et messieurs du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec,
Le soleil aura mis beaucoup de temps à poindre cette année, mais, voilà, il semble bien que le printemps soit finalement arrivé! Évidemment, ce dernier sonne aussi l’ouverture de la période de la pêche, et c’est avec un grand enthousiasme que je suis allée renouveler mon permis de pêche cette année. Ce fut, encore une fois, vingt dollars bien investis… Pêcher en toute légalité, c’est s’assurer un maximum de plaisir tout en promouvant et en finançant les actions posées pour protéger l’environnement aquatique, sa biodiversité, sa gestion pour en garantir la durabilité, etc. Bien vite, truites, brochets et dorés mordront à l’appât; plus rapidement encore, c’est l’alose qui le fera! Effectivement, sous peu, cette dernière fera son passage dans la Rivière-des-Prairies, et vous pouvez être certains que je serai là pour l’accueillir, canne à la main, sourire aux lèvres et permis de pêche en poche. Or, ce qui m’inquiète, c’est que je ne serai pas la seule à le faire… Beaucoup, comme moi, seront fort hospitaliers pour celle que l’on dit savoureuse, cannes à la main et sourires aux lèvres, mais rien en poche.
D’emblée, pour moi et pour plusieurs, cela est indubitable, la pêche est une activité des plus agréables. Or, «même s’il s’agit d’une ressource naturelle renouvelable, celle-ci est fragile »[1], concédez-vous sur votre site internet. D’ailleurs, conscients de cette vulnérabilité, vous avez judicieusement décidé de rendre la possession d’un permis de pêche obligatoire pour chaque individu sous le fleurdelisé avant que celui-ci puisse gaiement mouiller sa ligne. Je salue cette initiative. Certes, elle m’oblige, chaque année, à débourser vingt dollars. Or, il m’appert crucial que l’on gère de manière responsable le milieu marin. Actuellement, le comité mandaté pour évaluer le statut des espèces sauvages estimées en péril au Canada, soit le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC), estime que plus de 500 espèces sont en péril au pays, et ce, sans regard à de nombreuses espèces de poissons, qui n’ont pas encore été évaluées.[2]
N’est-ce pas bouleversant? Je pense aux nombreuses espèces disparues et je m’en attriste; je pense aux nombreuses espèces en péril et je suis extrêmement inquiète… Tout ce qui me rassure, c’est de savoir que le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec est là pour s’assurer de sauver les espèces menaçant de disparaitre et que, notamment, il veille à savoir combien d’individus s’adonnent à la pêche sur son territoire, il établit des quotas en fonction de ces derniers et des populations de poissons, il comptabilise le nombre de captures pour s’assurer que les diverses espèces se portent bien et il s’assure de faire respecter ses règlements tous imaginés dans le but de garantir la pérennité de l’écosystème aquatique. En fait, je dis que c’est tout ce qui me rassure, mais il serait plus juste de dire que c’est tout ce qui me rassurait…
Sans vouloir être alarmiste, je suis très inquiète… Chaque année, à la mi-mai, j’accède aux berges de la Rivière-des-Prairies en empruntant la rue du Barrage à partir du boulevard Lévesque dans le cartier Duvernay à Laval. Chaque année, je m’y rends avec entrain, mais aussi un brin de culpabilité. Je suis contente : l’alose sera au rendez-vous, je le sais. Pendant environ trois semaines, la pauvre alose qui aura malencontreusement emprunté la Rivière-des-Prairies plutôt que la Rivière des Mille-Îles pour frayer devra faire taire ses instincts : celle-là ne frayera pas. Elle tentera jusqu’à la mi-juin, en vain, de passer le barrage pour pondre. Tous les pêcheurs le savent ; c’est la fête ! L’on s’y rend tôt le matin, l’on y va après le travail, l’on y pêche la journée entière… D’un œil non avisé, c’est beau à voir ! Les pêcheurs sont des centaines, bien cordés sur la berge, à lancer leur ligne en cadence. Ils doivent être vigilants : leur nombre oblige la proximité et ils ne voudraient pas emmêler leur ligne avec celle du voisin! Ils sont tous là, les uns aux côtés des autres, coude à coude (c’est le cas de le dire), religieusement… Nul ne se bouscule : il y aura du poisson pour tout le monde ! Eh oui, je le répète : je ne suis pas la seule à pêcher là ; tel on le stipule sur Québec pêche : « Incidemment, c'est aussi le cas d'au moins un million de personnes qui habitent dans un rayon de 25 kilomètres du barrage. »[3]. Par ailleurs, soyez-en certains, un seul coup d’œil suffit pour réaliser que la plupart n’ont assurément pas de permis de pêche ! En effet, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler le rendez-vous du « pêcheur typique », c’est-à-dire celui pour qui la pêche est un passe-temps, qui s’y adonne les fins de semaine et qui se rend sporadiquement – sporadiquement, car la pêche n’est plus une activité économique – dans les parcs gérés par la Sépaq pour s’y adonner. Allez-y, jetez un coup d’œil, vous comprendrez. Vous verrez qu’une myriade des pêcheurs d’aloses est assurément là pour se nourrir à défaut de soupes populaires, d’aide alimentaire… Or, je le répète, et Québec pêche corrobore en mon sens : ils sont des milliers à pêcher l’alose sur les berges de la Rivière-des-Prairies… En revanche, jamais je n’ai vu un garde-chasse là et d’ailleurs, tous ceux avec lesquels j’aurai eu le loisir de discuter sur ces berges, année après année, pourront vous assurer la même chose !
Que se passe-t-il ? Que faites-vous ? Quand je pense à ce qu’il est advenu du chevalier cuivré, je m’inquiète pour l’alose! Quand je vois des pêcheurs ramener sur le bord, à eux seuls, trente aloses, alors que le quota pour cette splendide espèce, dans la zone 8, soit la zone concernée, est de cinq[4], j’en perds tous mes moyens! Quand je lis, sur le site internet du Parc de la Rivière-des-Mille-Iles, rivière à peine plus au nord, que le statut de l’alose au Québec est : « vulnérable »[5], je m’en veux de ne pas vous avoir écrit plus tôt! Toutefois, je me pardonne en me disant que vous ne pouviez pas ne pas savoir…
Vous ne pouvez pas ignorer où est LE rendez-vous des pêcheurs en mai et en juin, dans la zone 8, alors qu’ils sont si nombreux, alors qu’une industrie s’est développée sur la rue du Barrage à Laval avec vendeurs de dards ambulants et cantines mobiles, alors qu’une pléthore de sites internet révèle l’existence de cette manne. Où êtes-vous? Vous faites très bien votre boulot à certains endroits… Sur un lac isolé, à soixante kilomètres dans les bois, vous êtes là pour vous assurer qu’on n’ait pas pêché une truite de trop, omis de laisser un morceau de peau sur nos prises pour bien identifier l’espèce à laquelle elles appartiennent ou pêché une perchaude trop courte d’un centimètre. Pourquoi ignorer ce qui se passe à la Rivière-des-Prairies? Ah, certes, si l’on a les moyens de payer son droit de pêche sur un lac à soixante kilomètres dans les bois, d’avoir un moteur, de payer un emplacement de camping, etc. l’on a forcément des papiers, l’on a forcément quelque chose à saisir pour dédommager la patrie… Le temps investi sur nous rapportera gros! J’espère que je me trompe, j’espère que je déblatère en disant cela et que mes écrits ne sont que des présomptions sans fondement. Si vous n’êtes pas là, c’est que vous ne saviez pas… Vous ne deviez pas savoir, sans quoi, vous ne laisseriez pas tout bonnement une espèce vulnérable s’éteindre lâchement.
En somme, maintenant, vous savez que, chaque année, les mois de mai et de juin marquent, sur les berges de la Rivière-des-Prairies, accessibles par la rue du Barrage à partir du boulevard Lévesque dans le cartier Duvernay à Laval, la fin des jours de plusieurs milliers d’aloses qui n’auront non seulement pas eu l’occasion de frayer, mais qui ne l’auront plus jamais. Maintenant, vous savez, parce que je peux en témoigner comme plusieurs autres, que des milliers de pêcheurs sont au rendez-vous, que sans doute plus de soixante-quinze pour cent d’entre eux n’ont pas de permis de pêche et que, s’ils en ont un, ils ne sont aucunement conscients de la règlementation au Québec selon laquelle il n’est permis de pêcher et d’avoir en sa possession que cinq aloses savoureuses. Assurément, vous savez, maintenant, que l’on peut régulièrement voir certains individus repartir avec, à eux seuls, pas moins d’une trentaine d’aloses! Finalement, vous êtes bien conscients, maintenant, que le phénomène que j’expose au grand jour est inadmissible considérant que l’alose est un animal vulnérable menaçant de disparaitre. Or, vous savez que l’on ne peut permettre qu’une seule espèce animale disparaisse sans menacer tout l’écosystème : « Un écosystème est un milieu naturel – comme la forêt, la prairie ou le marais – dans lequel toutes les espèces vivantes dépendent les unes des autres et de leur environnement. Lorsqu’un élément du milieu est modifié, l’équilibre entier de ce milieu est alors menacé. »[6] Puisque vous savez, maintenant, j’imagine que vous superviserez la pêche à l’alose dans la Rivière-des-Prairies et qu’aux abords du barrage qui y est érigé, vous demanderez à voir mon permis de pêche la semaine prochaine.
Sincèrement là pour le Québec, sa faune et sa flore,
Julie Cadieux, citoyenne de Montréal
[1] QUÉBEC. MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES ET DE LA FAUNE DU QUEBEC, « Pêcher au Québec », [En ligne], http://www.mrnf.gouv.qc.ca/publications/enligne/faune/reglementation-peche/pecher-quebec.asp (Page consultée le 8 mai 2011)
[2] <http://bl155w.blu155.mail.live.com/mail/RteFrame.html?v=15.4.3096.0406&pf=pf#_ftnref2> CANANA. ENVIRONNEMENT CANADA. « Espèces en péril au canada », Faune et flore du pays, [En ligne] http://www.hww.ca/hww2_f.asp?id=232 (Page consultée le 8 mai 2011)
[3] <http://bl155w.blu155.mail.live.com/mail/RteFrame.html?v=15.4.3096.0406&pf=pf#_ftnref3> LAMARRE, Jacques. « La pêche à l'alose au Barrage de la Rivière des Prairies », Québec pêche, 11 avril 2006, [En ligne] http://www.quebecpeche.com/conseils-et-techniques/123-la-peche-a-lalose-au-barrage-de-la-riviere-des-prairies.html (Page consultée le 8 mai 2011)
[4] QUÉBEC. MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES ET DE LA FAUNE DU QUEBEC, « Périodes de pêche et limites de prise du 1er avril 2011 au 31 mars 2012 », [En ligne], http://www.mrnf.gouv.qc.ca/publications/enligne/faune/reglementation-peche/zones/zone-8.asp (Page consultée le 8 mai 2011)
[5] Parc de la Rivière des Mille-Îles, « Poissons en péril », [En ligne] http://www.parc-mille-iles.qc.ca/html_fr/protection_et_conservation/poissons_en_peril.htm(Page consultée le 8 mai 2011)
[6] CANANA. ENVIRONNEMENT CANADA. « Espèces en péril au Canada », Faune et flore du pays, [En ligne] http://www.hww.ca/hww2_f.asp?id=232 <http://www.hww.ca/hww2_f.asp?id=232> (Page consultée le 8 mai 2011)