Durban: Quelle fonction pour la société civile? Une fonction essentielle de contrepoids aux États assumée par les ONG

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Par Marc Lebel-Racine
Candidat à la maîtrise en études internationales et auxiliaire de recherche à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Mots clés: Durban, changements climatiques, société civile, ONG, négociations internationales

 

La 17e rencontre des signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à Durban marque une participation importante des organisations de la société civile. Sur les quelque 16 000 personnes enregistrées, 7000 disposentdu statut d’« observateur », dont bon nombre d’organisations non gouvernementales (ONG) ayant à cœur la progression des négociations plutôt que la défense d’intérêts commerciaux ou nationaux.
 

Un rôle démocratique de contrepoids aux intérêts étatiques et commerciaux

Le refrain est bien connu : Plusieurs « gros joueurs » comme le Canada ou les États-Unis ont les mains liées lors des conférences sur les changements climatiques, soit par leur Congrès, soit par leur intérêt national ou encore du fait de l’influence de groupes d’intérêts fortement opposés à des mesures contraignantes face aux dérèglements observés du climat. C’est en réaction à cette problématique que la société civile assume un rôle crucial dans des rencontres de haut niveau comme celle de Durban. Les ONG s’organisent en réseaux afin d’accroître leur impact sur les décideurs et les inciter à s’engager dans une nouvelle période de réduction d’émissions comme celle de Kyoto qui viendra à échéance le 31 décembre 2012 prochain.

L’influence de la société civile sur l’avancement des négociations climatiques n’est pas un phénomène nouveau. En effet, les ONG participent assidument aux réunions de la Conférence des parties (CdP). En plus d’influencer les politiques publiques, elles exercent une forme de diplomatie non-gouvernementale en défendant des intérêts et en interagissant fréquemment avec les délégués gouvernementaux. Ceux-ci font appel aux conseils et aux connaissances des ONG avant, pendant et après les négociations internationales, notamment dans ce que nous pouvons qualifier de « jeu de coulisse ».

Lors de la Conférence de Kyoto en 1997, plusieurs ONG avaient uni leurs efforts afin de faire accepter des seuils de réduction des émissions de gaz à effet de serre par les États de l’Annexe 1 de la CCNUCC. Les ONG avaient également influencé une partie du texte final grâce à leur maîtrise de plus en plus fine du langage technique qui caractérise les sommets environnementaux. Le Réseau Action Climat International[1], qui fédère plus de 700 ONG à travers le monde, avait été un des principaux protagonistes de cette avancée. Ce réseau a encore aujourd’hui toute sa raison d’être alors qu’il assume une fonction essentielle de transmission d’information au public, aux ONG et aux États par la publication de communiqués, par la vulgarisation des enjeux complexes aux journalistes et par la distribution du bulletin ECO pendant les négociations. En outre, les prix Fossile[2] qu’il décerne aux États obstructionnistes sont abondamment relayés et commentés par les médias.

Cela démontre l’importance du rôle de contrepoids assumé par la société civile, particulièrement lorsque les États pollueurs refusent de coopérer comme cela se produit à Durban. Les ONG peuvent se liguer, entre elles et parfois avec d’autres États, afin d’isoler un acteur qui nuit aux négociations. Éloïse Savoie, administratrice et déléguée pour l’Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA) à Cancun et à présent à Durban, rappelle la force du nombre et la stratégie préconisée par la société civile lors des réunions de la CdP qui consiste à présenter des positions concertées et à faire front commun lorsque cela s’avère possible. Ainsi, la société civile assume plus efficacement son rôle de contrepoids auprès des États, mais aussi auprès des représentants de l’industrie qui tentent souvent de torpiller les accords climatiques pour protéger leurs intérêts commerciaux comme on l’a constaté lors de la Conférence de Kyoto.
 

Une domination des ONG du Nord?

Évidemment, des facteurs socioéconomiques comme les niveaux de pauvreté particulièrement élevés dans les pays du Sud font en sorte qu’une grande proportion des représentants de la société civile à Durban provient du Nord. Bien que les conséquences désastreuses des changements climatiques sur les êtres humains et les écosystèmes menacent fortement le Sud, le fait que 44 p. 100 de la population sud-américaine vive dans la pauvreté par exemple limite les possibilités pour les ONG de cette région de concentrer leurs énergies sur les enjeux climatiques, bien qu’il existe une forte corrélation entre la détérioration de l’environnement et les niveaux de pauvreté. Gardons à l’esprit que la responsabilité actuelle et historique des pays en développement vis-à-vis des changements climatiques est minime par rapport aux pays du Nord.

Depuis les années 1980, ce sont majoritairement des ONG des pays industrialisés qui ont mis la crise climatique à l’agenda international, mais les ONG du Sud emboîtent aujourd’hui le pas. Éloïse Savoie rappelle à cet égard que « même si les ONG des pays développés sont mieux représentées à Durban, elles militent en grande partie pour que les pays arrivent à un accord qui permettra d'éviter les conséquences des changements climatiques catastrophiques sur les populations vulnérables ». Les synergies Nord-Sud sont donc favorisées dans les forums multilatéraux plutôt qu’une confrontation entre les divers intérêts.

D’ailleurs, des ONG comme Legal Response Initiative[3]offrent leur expertise de consultants juridiques à des États. Ces services peuvent s’avérer très précieux pour de petits archipels insulaires comme Tuvalu dont l’avenir est mis en péril par l’élévation du niveau des océans résultant du réchauffement planétaire, d’autant plus que plusieurs petits États n’ont souvent pas les moyens financiers et l’influence nécessaire pour jouer pleinement leur rôle lors des négociations climatiques annuelles.

En conclusion, la société civile porte sur ses épaules d’importantes responsabilités dans les rencontres de haut niveau comme la CdP17 Durban. De même, la Conférence Rio+20 en juin 2012 leur permettra de se faire entendre. Les deux thèmes centraux seront l’économie verte dans une perspective d’éradication de la pauvreté et de développement durable et la définition d’un cadre institutionnel pour le développement durable.



[1]
Réseau Action Climat International, [En ligne], 2011, http://www.climatenetwork.org/ (Page consultée le 9 décembre 2011).

[2]Prix Fossile décerné par le Réseau Action Climat International et Avaaz, [En ligne], 2011, http://www.fossil-of-the-day.org/ (Page consultée le 9 décembre 2011).

[3]Legal Response Initiative, [En ligne], 2011, http://legalresponseinitiative.org/ (Page consultée le 9 décembre 2011).    

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