Gaz de schiste et certificat d’autorisation

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Par Me Jean Baril, LL.M.
Doctorant à la faculté de droit de l’Université Laval, chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement.


Mots-clés : Certificat d’autorisation, Loi sur la qualité de l’environnement, gaz de schiste, information et consultation publique.

Face à la récente controverse[1] relative à la délivrance de certificats d’autorisation à des entreprises gazières en contravention de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) et devant les nombreux changements réglementaires survenus dans la dernière année sur des sujets touchant l’industrie des gaz de schiste, il apparaît important de faire le point sur l’encadrement juridique qui régit actuellement cette industrie en matière d’autorisation environnementale.

Une évolution rapide et nécessaire

Lorsque les premiers travaux de forage et de fracturation hydraulique à des fins exploratoires furent effectués par différentes entreprises sur le territoire québécois, de 2007 à 2010 environ, la réglementation environnementale a rapidement montré ses limites et son inadéquation[2]. C’est le Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement[3] (RRALQE) qui détermine si un projet est exempté de l’obligation d’obtenir préalablement un certificat d’autorisation du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs[4].  Ce règlement accorde alors un traitement différent selon que le forage est une activité « exploratoire » ou d’« exploitation », en présumant que les impacts environnementaux des premiers sont minimes en comparaison des seconds. Ainsi, à cette époque, un forage exploratoire autorisé en vertu de la Loi sur les mines ne nécessite pas le certificat d’autorisation prévu à l’article 22 de la LQE, sauf s’il est effectué en « milieu humide ». Or, comme l’ont bien montré les audiences du BAPE, une telle distinction ne tient pas la route pour les forages effectués par l’industrie des gaz de schiste. Au contraire de ce qui se passe en milieu minier traditionnel, l’essentiel des impacts environnementaux et sociaux occasionnés par cette industrie se déroule au moment des forages dits « exploratoires ».

Face à la grogne populaire et devant la confusion existant au sein de différents ministères (MDDEP et MRNF) ou de régions administratives différentes (MDDEP), quant aux types d’autorisations requis pour cette activité, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs émet, en octobre 2010, une « note d’instruction » pour tenter de clarifier les exigences relatives au certificat d’autorisation à émettre de l’article 22 de la LQE[5]. Cette note indique : « Il est décidé que les travaux de complétion des puits gaziers seront assujettis à l’obtention préalable d’un certification d’autorisation en vertu de l’article 22 de la LQE; et ce, au moins jusqu’à la mise en œuvre des recommandations découlant des travaux du BAPE sur le développement durable de l’industrie des gaz de schiste ».

Étant donné que la « note d’instruction » du ministre ne pouvait pas légalement modifier la teneur du règlement, un décret gouvernemental[6] est finalement publié, le 10 juin 2011, afin de modifier le Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement. Depuis lors, les travaux de forage autorisés en vertu de la Loi sur les mines sont toujours exemptés de l’obligation d’obtenir un certificat d’autorisation environnemental, SAUF pour les travaux de forages « destinés à rechercher ou à exploiter du pétrole ou du gaz naturel dans le shale, communément appelé «schiste» et pour « toute opération de fracturation destinée à rechercher ou à exploiter du pétrole ou du gaz naturel »[7]. Donc, depuis l’entrée en vigueur de cette modification réglementaire, toute entreprise gazière voulant entreprendre de tels travaux doit d’abord demander et obtenir du ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs un certificat d’autorisation délivré en vertu de l’article 22 de la LQE.

Des obligations uniques d’information et de consultation

Mais, ce n’est pas tout! Par la même occasion, le gouvernement crée des obligations particulières d’information et de consultation du public aux entreprises visées par la nouvelle obligation d’obtention d’un certificat d’autorisation. Ainsi, le Règlement prévoit que :

Celui qui demande un certificat d’autorisation pour des travaux mentionnés à l’un des sous-paragraphes a ou b du paragraphe 6 de l’article 2, que leur réalisation ait lieu dans un cours d’eau à débit régulier ou intermittent, un lac, une tourbière, un étang, un marais ou un marécage ou en dehors d’un tel milieu, doit préalablement informer et consulter le public[8].

À cette fin, l’initiateur du projet doit faire publier dans un journal, distribué dans la municipalité où seront réalisés les travaux, un avis comportant un certain nombre d’informations sur le projet et annonçant le lieu et l’heure d’une consultation publique à être tenue dans la municipalité. Cette consultation obligatoire ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de 20 jours à compter de la publication de l’avis. L’initiateur doit aussi produire un rapport des observations recueillies au cours de la consultation publique et y indiquer les modifications qu’il a apportées au projet, le cas échéant, à la suite de cette consultation. Ce dernier doit transmettre une copie à la municipalité. Ce rapport doit être joint à la demande du certificat d’autorisation et la municipalité peut soumettre ses observations au ministre, dans un délai de 10 jours après que ce dernier ait reçu le rapport de la consultation publique.

Il faut souligner que ces obligations d’information et de consultation ne s’appliquent qu’à l’industrie des gaz ou du pétrole de schiste. Ce gain est le résultat de la mobilisation citoyenne et devrait logiquement s’appliquer à tous les demandeurs de certificat d’autorisation. Cette nouvelle réglementation ne règle pas tout, mais elle empêchera de voir « s’ériger à l’improviste » des sites de forage alors que personne, ou presque, n’était au courant.

Par ailleurs, cette nouvelle obligation de demander et d’obtenir un certificat d’autorisation fait entrer en jeu un autre mécanisme d’information pour les citoyens, soit le registre environnemental public de l’article 118.5 de la LQE.  En effet, la consultation de ce registre permet de voir toutes les demandes de certificat d’autorisation déposées au MDDEP ainsi que tous les certificats délivrés. C’est donc un bon outil pour savoir si un projet s’en vient dans sa région ou sa municipalité. Ce registre, dont la « convivialité » devrait cependant être améliorée, est accessible par Internet au http://www.registres.mddep.gouv.qc.ca/index_LQE.asp

Conclusion

La question d’un éventuel développement de l’industrie des gaz de schiste est un sujet hautement sensible au Québec. De nombreuses inquiétudes s’expriment et une évaluation environnementale stratégique de cette filière est en cours. Le débat est loin d’être clos, mais la mobilisation citoyenne a déjà fait progresser l’encadrement juridique de façon à ce qu’aucun forage ou opération de fracturation hydraulique ne puisse avoir lieu sans une information préalable, un préavis et une consultation publique. Quiconque s’aventurerait à entreprendre de tels travaux sans avoir respecté ces obligations agirait en contravention de la loi et devrait en assumer les conséquences. Les citoyens ont dorénavant plus d’outils pour exercer leur essentielle vigilance, sans compter celle qu’on est en droit de s’attendre du MDDEP à ce sujet.



[1]
Louis-Gilles FRANCOEUR, « Gaz de schiste-Les accusations fusent entre le gouvernement Charest et le PQ », Le Devoir, 17 mars 2012, en ligne : http://www.ledevoir.com/environnement/actualites-sur-l-environnement/345320/gaz-de-schiste-les-accusations-fusent-entre-le-gouvernement-charest-et-le-pq

[2] À ce sujet, voir le Mémoire conjoint de le Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et du Centre québécois du droit de l’environnement sur la question, aux pages 11 à 14, en ligne : http://www.crcde.ulaval.ca/ext/articles/files/1290521502Memoire_C…pdf

[3] Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, R.R.Q., c. Q-2, r.3

[4] Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., c. Q-2, art. 22

[6] Décret 571-2011, G.O., Partie II, 10 juin 2011

[7] Règlement relatif à l’application de la Loi sur la qualité de l’environnement, art.2, par.6° (a) et (b)

[8] Id., art. 7.1

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