Une confusion certaine entoure la notion de potentiel de réchauffement planétaire (PRP) du méthane et de ses valeurs qui ont augmenté dans le temps. Même l’AQLPA s’est laissé abuser par les incohérences des chiffres qu’on trouve dans le rapport du comité sur l’Évaluation environnementale stratégique (ÉES) du gaz de schiste rendu public le 17 février dernier. Après contre-vérification, nous pouvons maintenant affirmer que la synthèse de l’ÉES évoque une valeur de potentiel de réchauffement qui remonte à 2001, tandis que la recherche effectuée par le CIRAIG pour évaluer la contribution du gaz de schiste au bilan des gaz à effet de serre du Québec se base sur une valeur de 2007! Rappelons que le PRP du méthane a été rehaussé de manière significative dans le rapport 2013 du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, (GIEC) si bien qu’au final l’ÉES sous-estime fortement les émissions de gaz à effet de serre associées à l’exploitation du gaz de schiste. L’AQLPA a d’ailleurs publiquement demandé un rectificatif au rapport de l’ÉES et que les calculs soient refaits avec les valeurs actualisées.
Faire le point sur le sujet s’impose car le potentiel de réchauffement planétaire est l’un des facteurs clé, avec les émissions fugitives, du rôle trop sous-estimé du méthane dans les changements climatiques. Mais avant tout un rappel : le gaz naturel, conventionnel ou de schiste, est essentiellement composé de méthane (CH4). Pour évaluer la contribution du méthane au bilan global des gaz à effet de serre, l’ÉES recourt à la méthode de conversion traditionnelle en équivalent dioxyde de carbone (eCO2) qui consiste à comparer les conséquences sur l’effet de serre d’un volume donné de méthane, à celles qu’aurait le même volume de CO2, sur une certaine période de temps. Cela se traduit par l’attribution d’une valeur représentant un potentiel de réchauffement planétaire, rapporté à celui du dioxyde de carbone, le plus important d’entre tous. Ce PRP, (aussi appelé potentiel de réchauffement global calqué sur l’anglais), représente donc une donnée fondamentale pour évaluer les impacts climatiques d’un gaz autre que le CO2.
Un potentiel de 36 fois celui du CO2 sur 100 ans…
Or, le GIEC estime maintenant le potentiel de réchauffement du méthane fossile comme étant de 36 fois celui du CO2 sur un horizon de 100 ans, alors que cette valeur était de 25 fois en 2007 et de 23 en 2001 comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous.
Cette réévaluation du GIEC résulte de l'intégration des effets indirects du méthane, de ses rétroactions sur le cycle du carbone à travers certains sous-produits comme l’ozone, enfin tout simplement de l’augmentation des concentrations de GES. Dans le tableau, nous avons retenu les valeurs 2013 qui intègrent les rétroactions sur le cycle du carbone, car le GIEC dit lui-même que c’est la valeur la plus probable. Notez que des valeurs plus élevées sont accordées au méthane d’origine fossile par rapport au méthane d’origine organique récente. Ce sont donc ces données qu’il faut retenir lorsqu’on calcule le PRP du gaz de schiste ou du gaz naturel conventionnel.
Par rapport aux données de l’ÉES, cette valeur de 36 représente donc une hausse de 44 % sur un horizon de 100 ans. Autrement dit, l’ÉES sous-estime dans ses travaux le potentiel de réchauffement planétaire du méthane de 44%.[1] C’est déjà important. Mais il y a plus.
… mais 87 fois plus puissant sur 20 ans !
L’habitude a été prise d’évaluer le potentiel de réchauffement des autres GES que le CO2 uniquement sur une base de 100 ans. C’est utile aux fins de comparaisons. Le GIEC affirme pourtant que le choix d’évaluer les GES sur un horizon de temps spécifique ne s’appuie pas sur une base scientifique mais repose sur un jugement de valeur qui attribue un poids relatif aux effets selon les différentes périodes de temps. Sur un horizon de 20 ans, le GIEC donne maintenant au méthane fossile une valeur 87 fois plus puissante que le CO2. Au total, l’intégration du nouveau potentiel de réchauffement planétaire du méthane sur 20 ans, que l’ÉES n’évalue pas dans ces scénarios, représente 3,5 fois le potentiel sur 100 ans, selon les données maintenant caduques qui ont été retenues…
Comment un tel écart est-il possible? La molécule de méthane a une durée de vie relativement courte, autour de 12 ans, et son PRP, donc son effet sur le climat, est beaucoup plus important sur 20 ans que sur 100 ans. Or, la durée de vie d’un puits de gaz de schiste est estimée à 25 ans par l’ÉES. Et les estimations des émissions fugitives sont également basées sur 25 ans, tandis que l’évaluation des GES est basée sur 100 ans… Cherchez l’erreur!
Nous approchons des seuils jugés dangereux pour le système climatique. Si on veut éviter l’emballement climatique, la prochaine décennie sera critique pour réussir à inverser la tendance à l’accroissement des émissions de GES. Il serait donc tout à fait logique, dans le cas du méthane, de considérer son potentiel de réchauffement avant tout sur une période de 20 ans et non de 100 ans. Des scientifiques comme Hervé Le Treut ont mis en évidence, il y a quelques années déjà, l’importance de prendre en considération le potentiel du méthane en fonction de son horizon d’impact maximal.[2]
Dans tous les scénarios évoqués dans l’ÉES, émissions fugitives faibles ou fortes, exploitation faible ou intensive, la prise en compte du potentiel de réchauffement planétaire du méthane sur 20 ans conduit à rehausser de manière significative, au moins d’un facteur 3, les émissions de GES consécutives à l’exploitation des gaz de schiste – et du gaz conventionnel – au Québec, comme ailleurs. Cela la rend donc plus coûteuse en termes de coûts d’émission en équivalent carbone. Voilà sûrement une donnée nouvelle qui mériterait d’être soupesée aux futures audiences publiques sur le gaz de schiste demandées par le ministre de l’Environnement, Yves-François Blanchet.
Et l’enjeu ne concerne pas que le Québec! La prise en compte du nouveau PRP du méthane – et de ces effets sur 20 ans – devrait aussi augmenter de manière significative le volume de GES traditionnellement associé à l’exploitation des sables bitumineux qui utilise des quantités très importantes de gaz naturel pour récupérer et traiter le bitume. Cela conduirait également à augmenter le cumul des émissions de GES du pétrole de schiste, dont l’exploitation au Dakota du nord libère du méthane brûlé en torchère en pure perte, en attendant Anticosti…
Le facteur critique des émissions fugitives
On peut enfin être sûr que les émissions de GES des États-Unis, qui se livrent à une exploitation effrénée du gaz de schiste, sont actuellement fortement sous-estimées. D’autant que les émissions fugitives de l’industrie, qui sont elles-mêmes sous-estimées, constituent l’autre facteur clé pour calculer les émissions de GES du méthane. Plusieurs études indépendantes pionnières, dont celles de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA – Petron et al. 2012 et Karion et al. 2013) procédant par mesures atmosphériques aériennes au-dessus de bassins de production de gaz et de pétrole, ont fait état de taux de fuite au Colorado et en Utah beaucoup plus importants (de 4 à 12%) que ceux communiqués par les producteurs. Au Québec, l’ÉES a retenu à titre de référence un scénario « extrême » d’émissions fugitives de 8%. En cas d’exploitation à grande échelle, cela augmenterait de 168% des émissions de GES du Québec! La prise en compte dans ce scénario du nouveau PRP pourrait donc se traduire par un triplement des émissions de GES du Québec !
Ces faits indiquent clairement que le gaz naturel fossile n’est pas une énergie de transition vers les énergies renouvelables – certaines d’entre elles sont déjà compétitives même sans subventions – mais un accélérateur trop méconnu des changements climatiques et un compétiteur sournois des énergies vertes. La « révolution » du gaz de schiste bon marché est en train de ralentir les investissements dans les énergies renouvelables aux États-Unis et amoindrit la valeur et l’intérêt des importations d’énergie propre en provenance du Québec ou d’ailleurs. De plus, cette situation nuit au développement de la filière du biométhane qui permet de capter le méthane des déchets organiques et de réduire son impact climatique tout en remplaçant le gaz naturel fossile. D’où l’importance d’attribuer un coût aux émissions de GES qui reflètent leurs conséquences réelles sur le climat. Et de faire des choix énergétiques qui ouvrent l’avenir sur un climat viable pour tous.
[1] Les chiffres 2013 n’étaient probablement pas disponibles au moment de la rédaction de l’étude.
2 http://www.larecherche.fr/savoirs/climat/effet-serre-n-oublions-pas-methane-01-03-2008-87854
Source: AQLPA