Quelle gouvernance pour le climat? Regards croisés sur la place des divers acteurs dans la lutte contre les changements climatiques

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Par Aurélie-Zia Gakwaya et Nadine Martin
Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


 

Le jeudi 30 janvier 2014, à l’Université Laval, avait lieu une table ronde réunissant divers acteurs dans la lutte contre les changements climatiques. Paule Halley, professeure à la Faculté de droit de l’Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement, en était la modératrice. Se sont joints à elle quatre experts du régime du climat venant d’horizons variés : Géraud De Lassus Saint-Geniès[i], Vincent Royer[ii], Jean Nolet[iii] et Hugo Séguin[iv].

La gouvernance du climat, tant nationale qu’internationale, étant une préoccupation pour un très grand nombre d’acteurs (publics et privés), les conférenciers se sont intéressés à la façon dont ces divers acteurs s’impliquent dans la lutte contre les changements climatiques, au niveau politique, économique et social.

 

Aspects internationaux

D’entrée de jeu, Géraud De Lassus Saint-Geniès a rappelé que la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (« CCNUCC »), adoptée lors du Sommet de la terre, tenu à Rio en 1992, établit un cadre général visant à relever le défi des changements climatiques au niveau international. Découle notamment de ce cadre l’objectif que la température moyenne mondiale n’augmente pas de 2°C.

Les négociations ont été marquées par la fin d’un cycle de négociations à Doha (2012), et par le début d’un nouveau cycle, avec le lancement de la plateforme de Durban (2011-2015). Cette dernière phase de négociations vise à élaborer, d’ici à 2015, un nouvel instrument juridique applicable à l’ensemble des États à partir de 2020. Le défi de ces négociations consiste ici à rehausser le niveau d’ambition des engagements jusqu’à présent mis en œuvre. Mais la lenteur des discussions, qui se déroulent sous l’égide de l’Organisation des Nations unies (« ONU ») contraste avec la nécessité d’une action urgente.

 

Diversification du cadre onusien

M. De Lassus Saint-Geniès constate une diversification des thématiques en matière de lutte contre les changements climatiques au sein de l’ONU. Alors qu’à l’adoption de la CCNUCC, les négociations portaient surtout sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (« GES ») afin d’atténuer les changements climatiques, dans les années 2000, l’objectif visé devient également l’adaptation à ceux-ci. Puis, en 2012, une thématique inédite fait son apparition : la réparation des préjudices causés par les changements climatiques dans les pays en développement. Le débat se déplace sur les inégalités découlant des changements climatiques, car les pays y contribuant le plus ne sont pas nécessairement ceux qui en subissent le plus les effets. On comprend donc que cette dernière problématique complexifie les négociations, dans la mesure où elle implique l’imputation des coûts associés aux mesures potentielles de réparation des dommages causés par les changements climatiques.

L’ONU fait également face à une diversification au regard de la définition des engagements étatiques. Depuis la conférence de Copenhague (2009), et en raison de la difficulté qu’ont les États à s’entendre sur des règles communes, chaque État est autorisé à définir lui-même, au niveau national, ses propres objectifs d’atténuation (approche bottum-up). Ainsi, la politique internationale d’atténuation des changements climatiques tend à devenir la somme d’une pluralité d’engagements nationaux, créant de fait un système multilatéral à géométrie variable. Cette évolution, qui conduit à se demander jusqu’à quel point les États sont encore prêts à jouer le jeu du multilatéralisme, pousse donc à un regard plus critique dans l’analyse de la volonté politique affichée par les gouvernements dans le dossier climatique.

 

Aspects politiques

C'est sur cet aspect que s’est penché Vincent Royer, qui suit les négociations climatiques depuis 2002. En ce sens, il tout d’abord a souligné la multiplication des points de négociation dans les discussions onusiennes. En plus de créer un risque de chevauchement quant aux enjeux traités et de causer des blocages procéduraux lorsqu’un enjeu est traité à plusieurs endroits, cela remet en question l’égalité entre le pouvoir de négociation des pays, notamment en raison de la composition des délégations pouvant être envoyées par ceux-ci.

Par ailleurs M. Royer a fait état d’une multiplication des forums de discussions à l’extérieur de la CCNUCC. Ce phénomène traduirait ainsi une volonté de passer par d’autres avenues que la coopération universelle ou quasi universelle proposée par l’ONU pour résoudre le défi climatique. Géraud De Lassus Saint-Geniès est d’avis qu’on peut y voir le symptôme d’un désenchantement, une perte de confiance envers le cadre onusien.

Le caractère faiblement contraignant des engagements est aussi problématique, selon Vincent Royer. Que l’on pense au Japon, qui a récemment baissé significativement son objectif de réduction des émissions de GES, ou au Canada, qui s’est retiré du Protocole de Kyoto en 2012, la question de la « contraignabilité » des engagements découlant du cadre de l’ONU se pose et affecte aussi la crédibilité de l’ensemble du processus. La crédibilité des démarches est aussi affectée par la grande importance du G2 (Chine et États-Unis), puisque, comme l’a rappelé le conférencier, on ne peut parvenir à aucun engagement significatif en l’absence de ceux-ci. En effet, ensemble, ils émettent près de 44 % des émissions de Co2 annuelles mondiales.

Enfin, la problématique des représentations politiques aux COP freine l’avancée des négociations. Cette représentation a pour l’instant surtout été assurée par les ministres de l’environnement, alors même que le problème climatique est aussi économique. La présence des ministres responsables de l’économie, de l’industrie, ou des finances seraient certainement un facteur nécessaire pour la construction d’une action plus efficace.

 

Participation de la société civile

Devant la lenteur des progrès au niveau multilatéral, des mouvements parallèles se sont créés dans la société civile, à l’instar du Forum social mondial créé en marge du Forum économique de Davos. Hugo Séguin en sait quelque chose, puisqu'il suit le dossier depuis plus de 20 ans. Bien que son impact politique reste modéré, l’initiative citoyenne peut effectivement pousser les gouvernements à agir, du moins sur le plan national.

L’impact politique des organisations représentant la société civile dans la lutte contre les changements climatiques s’est fait fortement sentir lors de la COP de Varsovie en novembre 2013, lorsqu’elles ont décidé de se retirer collectivement des négociations, car celles-ci ne débouchaient sur rien. M. Séguin y voit un geste révélateur du fait qu’on assiste à un régime en pleine déliquescence.

Alors que certaines ONG plus structurées ont les moyens d’être présentes et d’agir lors des grandes conférences, plusieurs pays n’ont pas les moyens d’assister aux négociations sur le climat. À ce titre, Hugo Séguin déplore le fait que le système onusien n’offre pas l’égalité entre les pays, et il constate même que le système se désintègre et perd de son intégrité environnementale.

Les organisations citoyennes dénoncent l’insuffisance des contributions volontaires, qui résulte du défaut d’entente multilatérale, pour atteindre l’objectif fixé, et militent pour des engagements contraignants et des changements concrets, mais le blocage politique reste un obstacle majeur. Pour certains, une économie plus verte apparaît alors comme un pas nécessaire pour permettre à la politique de prendre un véritable virage écologique et permettre une réduction effective des émissions de GES.

 

Participation des entreprises : Le marché du carbone

Comment aller vers une économie verte, justement, sans tenir compte de l’intérêt financier des entreprises? Le volet économique est une considération incontournable, notamment parce que les mesures de protection du climat représentent des contraintes économiques pour les entreprises.

Selon le conférencier, l’implantation de mesures graduelles au niveau local a plus de chances de succès, comme on l’espère avec le Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission (« SPEDE ») mis en place dans le cadre du Western Climate Initiative (« WCI »), un marché commun entre le Québec et la Californie et effectif depuis janvier 2014. Le SPEDE constitue la principale mesure pour atteindre l’objectif du Québec de réduire ses émissions de GES, à -20 % sous le niveau de 1990, en 2020. Cet engagement, pris à Copenhague est cependant loin d’être atteint. En comparaison, la Californie, poids lourd du WCI, a été moins ambitieuse dans ses objectifs. Elle vise à revenir au niveau des émissions de 1990 en 2020, soit un objectif de 0 %. 

Ces objectifs bien différents apparaissent d’autant plus décalés au regard du potentiel de réduction des émissions entre les deux États. Jean Nolet a expliqué que la Californie a un potentiel de réduction d’émissions beaucoup plus grand que le Québec en raison de ses émissions provenant du secteur de l’énergie. Dans tous les cas, le chemin qu’il reste à parcourir pour atteindre ces objectifs demeure considérable. En 2009, il manquait au Québec une diminution 18 % de ses émissions et à la Californie une réduction de 11 % de ses émissions.

Jean Nolet a aussi émis un bémol quant aux possibles apports du marché. Puisqu’il n’y a plus d’unités disponibles au Québec et une sur-allocation d’unités en Californie, il y a un risque de fuite de capitaux à l’extérieur de la province. Face aux demandes de capitaux des filières québécoises, le seul secteur pouvant en profiter est le secteur économique, qui lui spécule…

 



[i]
Chargé de cours à l’Université Laval et doctorant à la Faculté de droit.

[ii]Coordonnateur aux changements climatiques et au développement durable au ministère des Relations internationales, de la Francophonie et du Commerce extérieur du Québec (MRIFCE)

[iii]Président d’ÉcoRessources. Pour en savoir plus : http://www.ecoressources.com/carbone/Accueil-fr-1.php

[iv]Fellow du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (Cérium), chercheur associé au Centre d'études sur l'intégration et la mondialisation de l'UQAM (CÉIM) et enseignant à l’Université de Sherbrooke.

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