La question est simple : y’a-t-il réellement un ministère de l’Environnement au Québec ? Mettons l’emphase sur le mot réellement, comme dans réel, comme dans pas abstrait ou symbolique, comme dans plus que du bla-bla.
C’est un peu malhonnête, vous me direz, puisqu’il y a bel et bien un ministère avec ce nom, avec une lettre majuscule et tout le patatra, alors ça doit être sérieux. Reste que sur le terrain, dans la réalité effective, nous cherchons qui a le pouvoir de légiférer pour protéger l’environnement et il n’y a vraisemblablement personne au rendez-vous.
En fait, cela fait longtemps qu’aucun ministre nommé ne tente de prendre le rôle qu’il devrait lui revenir, à l’exception peut-être de Daniel Breton (et on connait le reste de l’histoire).
Ce n’est pas un hasard. Depuis sa création ambitieuse à la fin des années 70, le pouvoir du ministère de l’Environnement s’est vu érodé par une multitude de coupures et de réformes jusqu’à devenir la bien triste créature que l’on connaît aujourd’hui, sans mandat ni moyens d’accomplir ce pourquoi il a été mis sur pied.
Mais comment sommes-nous arrivés jusque là ?
Histoire d’un ministère mal-aimé
L’adoption de la Loi sur la qualité de l’environnement en 1972 est le premier jalon de la protection environnementale au Québec. C’est une loi ambitieuse et elle a du mordant… au début. Il faut toutefois attendre 1979 avant la création du premier ministère de l’Environnement.
Après une entrée dynamique avec le ministre Marcel Léger – d’ailleurs accusé d’être trop politique et de dépasser ses budgets – le ministère est rapidement dépassé par son mandat.
Dès 1980, ses budgets sont plafonnés et il doit réviser ses objectifs à la baisse. Le scandale du dépôt de déchets de Blainville de 1981 révèle déjà ses failles. S’ensuit une série de révisions de la Loi sur la qualité de l’environnement pour l’assouplir en faveur des intérêts privés. La Loi sera amendée plusieurs fois en ce sens.
Côté budget, on passe de 450 millions (1990) à 227 millions (1998) pour poursuivre avec une succession de petites coupures et demeurer aux environs de 211 millions (2012), malgré l’inflation. En somme, c’est 0.003% du budget total du gouvernement du Québec. Vous avez bien lu : ce n’est même pas un centième d’un pourcent du budget !
Parallèlement, le personnel du ministère passe aussi au couperet. On passe de 1 960 employés en 2003 à 1 824 en 2007 pour réduire à 1 559 en 2011.
Conséquemment, le nombre d’inspecteurs-trices et d’inspections diminue considérablement. Comptés-es par seulement quelques dizaines, ils et elles doivent couvrir un territoire qui fait trois fois la superficie de la France.
Développement durable et néolibéralisme
Le développement durable fait son entrée au Québec dans les années 1990. Solution "top-down" aux problèmes environnementaux, le concept vient se substituer, largement, à la notion de protection de l’environnement.
Jacques Brassard arrive à la tête du ministère en 1994. Pour la première fois, on voit un ministre qui déteste clairement les écologistes et n’a, pardonnez l’expression, rien à foutre de la protection de l’environnement. Assez fièrement, il fait des coupures dans le financement des groupes écologistes. Un mépris qui définit l’ensemble de sa piteuse carrière.
Pendant ce temps, Lucien Bouchard poursuit la réorientation de l’appareil gouvernemental suivant la ligne néolibérale. Depuis, le mot d’ordre est à la dérèglementation. On sabre constamment dans les règlements pour favoriser non pas l’environnement naturel, mais un "environnement économique stable et prévisible favorisant l’investissement des entreprises".
Autrement dit, les règlements visant à protéger l’environnement sont perçus comme des obstacles au commerce et on les retire de l’équation. Il n’y a pas de meilleure métaphore pour illustrer cette orientation que lorsque le premier ministre Philippe Couillard affirme qu’il ne va "pas sacrifier une job en forêt pour les caribous forestiers".
Toujours est-il que le Développement Durable est adjoint au ministère de l’Environnement en 2003. La mission même du ministère change : "Contribuer au développement durable du Québec par la protection de l’environnement, la préservation de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques."
C’est un glissement sémantique de la plus haute importance. Il s’agit moins pour le ministère de protéger les écosystèmes et l’intégrité du territoire québécois et plutôt d’encadrer, avec le peu de moyens qu’on lui connait, le développement de secteurs d’économies traditionnelles, d’industries lourdes, d’extraction de ressources naturelles (mines, pétrole, gaz). Limiter les dégâts, peut-être.
La Loi sur le développement durable qui accompagne la mutation du ministère en 2003 va dans ce sens : il n’y a aucune obligation ni sanction prévue. Du développement durable, il ne reste que le développement.
Aujourd’hui, il ne faut donc pas se surprendre lorsque le ministre Heurtel permet les travaux à Cacouna : il fait exactement ce qu’il est supposé faire.
Au-delà du maquillage vert pâle
Nous voici en 2014 avec un ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte aux changements climatiques qui n’a ni les moyens ni le mandat de protéger l’environnement du Québec. Une mauvaise farce, quoi.
C’est un triste constat, mais il ne faut pas s’arrêter là. Le fait est qu’il pourrait vraiment être utile, ce ministère ! Il y a tout à faire et nous avons un besoin criant, hurlant de transformation sociale et économique du Québec. Un ministère de l’Environnement fort avec les moyens nécessaires pourrait éduquer et rappeler au reste de l’appareil gouvernemental, qui n’y connait foutre rien, pourquoi et comment protéger les écosystèmes et la biodiversité de la province. Il pourrait intervenir auprès des corporations et les arrêter dans leur cycle destructeur. Il pourrait donner l’impression que les gens qui habitent le Québec aiment vraiment cet endroit.
Et quoi ? Est-ce qu’il ne s’agit pas du bien commun ? D’un déterminant majeur de la santé physique et mentale ? De notre place sur la scène internationale ? De l’avenir des générations futures ? De la vie et de la mort de toutes ces espèces menacées qui ont le droit d’exister ?
Et notre dignité, finalement. Pour ce qu’il en reste.
Source: Bruno Massé