Changement climatique : l’échec de nos mécanismes d’évaluation environnementale

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Par Me Jean Baril, LL.D.
Chargé de cours la faculté de droit de l’Université Laval et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement.


 

Mots clés : Changement climatique, évaluation environnementale, information et participation du public.

 

La question des changements climatiques est une des plus importantes problématiques environnementales de notre époque. Pourtant, les impacts sur ce sujet du plus grand projet de transport d’hydrocarbures de l’histoire au Canada, l’oléoduc Énergie Est, ne feront l’objet d’aucune évaluation environnementale digne de ce nom.

 

Au fédéral : une procédure charcutée

En 2012, le gouvernement Harper a transféré la responsabilité de l’évaluation environnementale fédérale  de ce type de projet à l’Office national de l’énergie (ONÉ).  Ce faisant, le gouvernement a considérablement réduit les possibilités de participation du public et ses moyens d’influencer la décision. La rebutante lecture des Règles de pratique et de procédure de l’ONÉ[1] est d’ailleurs propre à décourager quiconque de vouloir participer à ce processus. Une rare chose claire est que seules les personnes autorisées par l’ONÉ peuvent participer ou intervenir aux audiences publiques qu’elle organise et que c’est l’Office qui décide de quelle façon. Si vous souhaitez participer, vous devez démontrer à l’Office que vous êtes directement touché par le projet proposé ou que vous avez des connaissances spécialisées ou des renseignements pertinents à faire examiner. On reproche souvent aux environnementalistes le syndrome du « Pas dans ma cour », mais pour l’ONÉ le projet doit être dans votre cour sinon votre participation est écartée! Même l’envoi d’une simple lettre de commentaires à l’ONÉ doit respecter ces conditions, sinon elle n’apparaîtra pas au dossier.

Outre la provenance des participants à une audience, les questions abordées sont aussi fortement limitées. Dans le cas d’Énergie Est, l’ONÉ a établi deux listes de questions pouvant être abordées, une relative aux installations et l’autre aux questions d’ordre commercial et financier. Dans les deux cas, l’Office indique « qu’elle n’a pas le pouvoir de réglementer les activités en amont ou en aval qui sont associées à la mise en valeur des sables bitumineux et l’utilisation du pétrole qui serait transporté par l’oléoduc proposé. Par conséquent, l’Office ne se penchera pas sur de telles questions »[2].  Si vous êtes autorisé à participer, vous pourrez commenter l’augmentation des GES causée par l’utilisation de la machinerie pour la construction de l’oléoduc, mais pas le doublement de la production des sables bitumineux permis par cette infrastructure.  2015 est supposée être l’année de la conclusion d’un nouvel accord international sur le climat, mais le gouvernement canadien n’évaluera pas et ne permettra pas au public d’être informé et de participer à la décision concernant le plus grand projet d’infrastructure de transport d’hydrocarbures de son histoire et son impact global sur l’augmentation des GES au Canada. Chercher l’erreur…

 

Au Québec : une procédure influencée et limitée

Pour ce qui est du Québec, la situation n’est guère meilleure. Les promoteurs d’Énergie Est ne reconnaissent pas la compétence du Québec sur ce projet d’oléoduc. D’ailleurs,  l’entreprise n’a toujours pas déposé d’avis de projet au ministère de l’Environnement pour son projet d’oléoduc. Avis de projet qui enclenche légalement le début de la procédure d’évaluation et d’examen pouvant mener à des audiences publiques du BAPE. Pourtant, les déclarations politiques entourant l’évaluation par le Québec de ce projet d’oléoduc n’ont pas manqué et l’Assemblée nationale a même adopté unanimement une résolution où elle  « demande au gouvernement du Québec qu’il inclut notamment la contribution globale du projet Énergie Est aux changements climatiques et aux émissions de gaz à effet de serre dans le mandat qu’il confiera bientôt au BAPE afin d’évaluer l’ensemble des impacts du projet Énergie Est de TransCanada». Pour sa part, dans une démarche très inhabituelle, le ministre David Heurtel a fait parvenir à TransCanada une lettre dans laquelle il énonce sept conditions pour que le gouvernement du Québec autorise ce projet, et ce avant même  toute évaluation publique. Parmi ces conditions, on note celle de« s'assujettir à une évaluation environnementale sur l'ensemble de la portion québécoise du projet, comprenant une évaluation des émissions de gaz à effet de serre ».

Par la suite, le premier ministre Couillard a indiqué, au sortir d’une rencontre avec le premier ministre albertain, que l’évaluation québécoise ne porterait que sur la construction et l’opération des 700 kilomètres d’oléoduc en territoire québécois et ne tiendrait pas compte des impacts liés à la production des 1,1 million de barils par jourtransportés par cette nouvelle infrastructure. Comme c’est le ministère qui élabore la directive concernant le contenu de l’étude d’impact que devra élaborer le promoteur, sans aucune consultation du public sur les sujets à documenter, il n’y a guère de doute que la volonté du premier ministre sera retenue… On peut d’ores et déjà prévoir les difficultés que rencontreront les commissaires du BAPE lors des audiences publiques, coincés entre une étude d’impact et des experts qui ne documenteront en rien les impacts liés au pétrole devant être transporté et des groupes environnementaux et de citoyens qui en font, à juste titre, une de leur principale préoccupation. Les accusations fuseront et les audiences publiques du BAPE risquent à nouveau de se voir discréditer, suite à des décisions politiques malvenues.

 

Conclusion

Les procédures d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement ont été mises sur pied durant les années 1970, tant au Québec qu’au Canada. Elles ont été conçues pour des projets ayant des impacts principalement locaux, avant qu’on ne prenne conscience des grands enjeux internationaux comme le sont les changements climatiques. Le projet Énergie Est démontre l’échec de ces mécanismes pour traiter de ces questions et l’influence prédominante des intérêts politiques et économiques sur nos procédures d’information et de consultation publique. La protection de l’environnement et de la démocratie exigent de revoir ces mécanismes.

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