Encadrement du secteur minier en Afrique et problèmes de légitimité des entreprises minières : quelles stratégies pour quels objectifs?

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Par Lynda Hubert Ta
Étudiante-chercheure à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


 

Quand on fait référence à l’Afrique, c’est bien souvent pour dépeindre un continent où règnent pauvreté, famine et épidémies. Pourtant, l’Afrique est immensément riche. Son sous-sol contient à lui seul près du tiers des réserves mondiales en ressources minérales, dont 60 % du cobalt[1], 42 % l’or et de 80 à 90 % des métaux des groupes du chrome et du platine[2]. Ces richesses encore peu explorées poussent de plus en plus d’entreprises minières à investir en Afrique. Or, dans un contexte réglementaire marqué par la libéralisation à outrance du secteur et l’affaiblissement de l’État, les opérations de ces entreprises peuvent créer des incidents de violations des droits humains et affecter leur légitimité.

La conférence intitulée « Droits humains et activité économique : Asymétrie des relations et enjeux dans le secteur minier »[3], prononcée par Bonnie Campbell, professeure à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal et directrice du Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique, ainsi que du Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société, a porté sur l’analyse des processus à l’origine des problèmes de légitimité des opérations des entreprises minières, notamment en Afrique, et sur les enjeux des réponses qu’elles ont suscité à différents niveaux.

 

Les réformes des régimes miniers en Afrique : un processus cumulatif de libéralisation

Selon la conférencière, pour comprendre les problèmes de légitimité auxquels font face aujourd’hui les entreprises minières en Afrique, il faut remonter aux années 1980-1990, lors des réformes successives des cadres réglementaires et fiscaux régissant le secteur minier. Dans un contexte d’endettement des pays africains, les institutions financières internationales avaient enjoint ces pays à mettre en œuvre une série de mesures de libéralisation du secteur destinées à créer un environnement propice aux investissements étrangers, afin de favoriser la relance économique.

Les programmes d’ajustement structurel des années 1980 et 1990 ont privatisé et instauré l’austérité dans les dépenses publiques et sociales. C’est dans ce contexte que la Banque mondiale proposa, dans son rapport de 1992 intitulé Strategy for African Mining,la réforme des cadres règlementaires pour les pays riches en ressources minières. Elle recommandait d’accorder aux investisseurs des permis d’exploitation pouvant se prolonger jusqu’à 30 ans, des avantages fiscaux et douaniers incitatifs et d’éliminer toute contrainte liée au recrutement national ou à l’importation[4]. Ces mesures étaient peu avantageuses pour les pays et n’ont pas produit l’effet escompté sur le développement économique.

Les réformes ont également eu de lourdes conséquences sociales. Dans certains pays, les entreprises publiques auparavant en charge du secteur étaient investies d’une mission sociale envers leurs employés et les populations. La plupart devaient réaliser des activités contribuant au développement local et national. Avec leur privatisation, l’obligation de participer aux objectifs de développement social a disparu. Ainsi avec le recul, il est possible de démontrer, selon la professeure Campbell, que ces mesures ont contribué à accentuer la désindustrialisation, le chômage et les inégalités. 

 

Impacts sur le rôle des États et l’asymétrie des rapports dans le secteur minier

La conférencière explique qu’en économie politique internationale hétérodoxe, la notion de « pouvoir structurel » renvoie au pouvoir des acteurs de façonner leurs propres structures et de définir les règles du jeu qui vont contribuer à façonner ces structures et influencer les comportements des autres acteurs. Dans le secteur minier africain, les réformes de libéralisation ont contribué à renforcer le pouvoir structurel des entreprises. En effet, les réponses aux questionnaires que la Banque mondiale avait fait parvenir aux compagnies minières ont servi de base pour orienter les réformes des années 1990[5], lesquelles répondent ainsi aux besoins des entreprises et non à ceux des États. À son avis, ce processus révèle les origines d’une dimension de l’asymétrie des rapports de pouvoir entre les acteurs du secteur.

Ensuite, elle souligne qu’une conséquence importante de ces réformes a été de redéfinir le rôle de l’État et de transférer une part importante de l’autorité et de la responsabilité publique vers des acteurs privés. Les interventions de l’État dans le secteur devaient se limiter à la création d’un environnement favorable et son pouvoir discrétionnaire devait être réduit autant que possible. Il ne devenait plus que régulateur, promoteur et facilitateur dans le but d’attirer des entreprises minières, lesquelles ont hérité par la même occasion de ses fonctions de propriétaire et d’opérateur des ressources minières. L’État devait délaisser ses fonctions antérieures pour ne devenir qu’un négociateur, mais en position affaiblie face aux entreprises. La réduction de sa souveraineté sur ses ressources et de son espace de décision privent l’État de sa capacité à planifier et orienter ses propres choix de développement. Dans certains cas, la fragilisation de ses capacités politiques et de contrôle a permis l’institutionnalisation de relations de pouvoir non transparentes entre les décideurs et des acteurs extérieurs influents, court-circuitant ainsi les processus démocratiques internes.

 

Conséquences sur la légitimité des entreprises minières

Selon les travaux de la professeure Campbell, l’affaiblissement des capacités des États a nuit également à l’établissement de pratiques considérées comme légitimes. D’une part, la délégation aux entreprises minières d’importantes fonctions qui incombaient auparavant à l’État (production de normes, fourniture de services publics comme l’éducation, la santé, les routes, etc.) lui permet de concilier les exigences sur son retrait, avec les demandes sociales des citoyens. Selon la conférencière, l’ambiguïté du partage des responsabilités entre l’État et les entreprises contribue à accroître les attentes sociales envers ces dernières, attentes qui souvent dépassent leurs compétences et leurs moyens.

D’autre part, les faibles capacités institutionnelles et politiques des États restreignent leur aptitude à assurer la protection des droits fondamentaux sur leur territoire. Par exemple, la perte du contrôle de plus de la moitié de son territoire par l’État ghanéen au profit des entreprises minières laisse les communautés sans défense face aux déplacements forcés[6]. De même, la pollution de l’eau potable, de l’air et des terres agricoles sur les sites de réinstallation suscite la colère parmi les populations déplacées de la mine Sadiola au Mali, tandis que l’État n’est pas en mesure d’assurer le suivi des déplacements organisés par les entreprises minières[7].

 

Les stratégies de responsabilité sociale des entreprises (RSE) : une réponse limitée face aux problèmes de légitimité

Pour répondre à ces problèmes de légitimité, des normes et des standards privés, comme les stratégies de RSE, se multiplient et soulèvent des questions : d’abord, celle de leur appropriation locale et de leur articulation avec les politiques nationales. Ensuite, ces normes permettent de légitimer les opérations des entreprises minières sans clarifier le partage des responsabilités entre elles et les gouvernements, renforçant ainsi l’absence sélective des États et les problèmes d’imputabilité. Enfin, en cherchant à répondre uniquement aux problèmes des investisseurs, la RSE ignore des aspects fondamentaux comme les rapports asymétriques à l’origine de ces problèmes, ce qui conduit à des solutions qui n’apporteront qu’une légitimité partielle. D’une manière générale, les réponses aux enjeux de légitimité semblent donc se situer, selon Mme Campbell, dans la perpétuation des modèles des années 1980 et 1990.

 

L’émergence de nouvelles approches et pistes de réflexion en Afrique

La conférencière observe que d’autres réponses émanent en ce moment des instances de décision et des communautés africaines. Au niveau national, depuis 2008, on assiste à la réouverture de plusieurs contrats miniers, la révision de codes miniers, l’adoption de législations plus exigeantes envers les entreprises en termes de transparence et d’engagement de développement local.

Au niveau régional, les chefs d’États africains ont adopté en 2009 la Vision africaine des mines[8]. Contrairement aux modèles passés, les nouvelles stratégies proposées reposent sur une intervention active et stratégique de l’État dans le développement. Ce n’est qu’en renforçant ses capacités de planification, de décision, de mise en œuvre et de suivi que le secteur minier pourra devenir « catalyseur » pour le développement, non pas selon une approche sectorielle fondée sur l’exportation des minerais bruts, mais dans une perspective élargie de transformation et d’intégration à l’économie locale.

Par ailleurs, la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique recommande que : « les initiatives de responsabilité sociale des entreprises ne devraient pas être considérées comme se substituant à la responsabilité de l’État envers ses citoyens dans la mise en place des infrastructures de base et d’autres biens publics. [Elles] devraient compléter les efforts de l’État[9] ». Le rapport précise qu'il appartient à l'État d'encadrer la RSE et de clarifier le partage de responsabilités entre les entreprises et les communautés, prévoir des mécanismes d'information et de consultation des différents acteurs, et des indicateurs leur permettant d’estimer les retombées des projets de RSE.

En conclusion, la professeure Campbell rappelle que les enjeux de légitimité et de régulation étant interdépendants, il faut être très attentif quant aux origines de ces problèmes et reconnaître que les stratégies actuelles de RSE, telles que le plus souvent pratiquées, ne sont pas en mesure de contribuer à la résolution de problèmes plus structurels dans la régulation du secteur. Les responsabilités des entreprises devraient plutôt se résumer en trois points : 1) la signature d’ententes et de contrats dans des conditions transparentes; 2) le paiement de taxes et redevances de manière aussi transparente; et 3) le respect des lois des pays et des obligations internationales, y compris celles des pays d’origine des entreprises.

En permettant de faire de la lumière sur un aspect de l’exploitation des ressources minières dont on entend moins parler, la conférencière a offert des pistes de réflexion qui pourraient mener à de véritables solutions aux problèmes rencontrés.

 



[1]
Banque africaine de développement, Rapport sur le développement en Afrique 2002 – Résumé, 2002, à la p. 13.

[2]Commission économique pour l'Afrique et Union africaine, Rapport économique sur l'Afrique 2013, 2013, à la p. 8.

[3]Bonnie Campbell, « Droits humains et activité économique : Asymétrie des relations et enjeux dans le secteur minier », conférence organisée par la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement le 20 novembre 2014 à l’Université Laval.

[4] Banque mondiale, Strategy for African Mining, 1992, aux pp. 21-39.

[5]Ibid, aux pp. 16-20.

[6]Jean-Philippe Marcoux, « Droits de la personne et activités minières en Afrique », Après-demain, Revue de la Ligue des droits de l'Homme, no 452-453, mars-avril 2003, aux pp. 27-28.

[7]Jérôme Leblanc, « Les déplacements de populations dus à des projets miniers en Afrique de l'Ouest : mal nécessaire pour le développement ? », Mémoire pour l'obtention de la maîtrise en science politique, Université du Québec à Montréal, Octobre 2007, aux pp. 99-100.

[8]Union Africaine, Africa Mining Vision, février 2009.

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