Par Éliane Brisebois
Étudiante à la maîtrise en sciences de l’environnement à l’UQAM
Souvent cachés, enfouis, canalisés ou parfois visibles, mais embourbés de déchets, les ruisseaux en milieu urbanisé font les frais depuis des décennies du développement urbain et immobilier. Pourtant, les corridors écologiques naturels qu’ils représentent et leur apport à la gestion de l’eau en ville font d’eux des environnements à réhabiliter et à protéger.
À Laval, la deuxième ville la plus densément peuplée du Québec, 50% des milieux humides ont disparu depuis 2004 dans la zone blanche, la zone réservée aux bâtiments. En fait, Laval compte quatre fois plus de surfaces réservées aux stationnements que d’aires protégées… Inquiet devant la disparition grandissante des milieux humides et des cours d’eau sur le territoire de cette île au nord de Montréal, le Conseil régional de l’environnement (CRE) de Laval a lancé « Ruisseaux urbains de Laval », un projet d’étude scientifique visant à connaître l’état physique et biologique des ruisseaux et à évaluer le potentiel de restauration de ces zones. Beatrix Beisner, professeure au département de sciences biologiques de l’UQAM, également directrice du GRIL, le Groupe de recherche interuniversitaire en limnologie et en environnement aquatique, a collaboré au projet avec quelques étudiants, dont Laurent Fraser et Alexandre Langlais-Bourassa, tous deux à la maîtrise en biologie. Questions-réponses sur ce projet de recherche en écologie aquatique.
Quel impact peut avoir l’urbanisation sur les ruisseaux ?
«Quand on parle des ruisseaux urbains, on parle de quelque chose de connu à travers le monde — puisqu’il y a des ruisseaux dans les villes partout dans le monde — qui s’appelle le “Urban Stream Syndrom”, le syndrome des ruisseaux urbains, si on veut. Il y a l’effet des infrastructures urbaines sur les ruisseaux qui apportent des régimes de débits extrêmes et beaucoup de pollution parce qu’il y a beaucoup de ruissellements sur les surfaces imperméables», explique Beatrix Beisner. L’eau qui ruisselle par exemple des stationnements peut transporter des sels de déglaçage ou des métaux lourd jusqu’aux ruisseaux. Cette pollution voit la biodiversité des ruisseaux urbains se réduire. Cela est sans compter l’érosion de leurs berges et les sédiments qui s’y accumulent. En conséquence, «on y voit juste des espèces fauniques tolérantes. Il y a une perte d’espèces plus sensibles», précise Mme Beisner.
En gros, qu’est-ce que ciblait le projet de recherche «Ruisseaux urbains de Laval» et qu’est-ce qui en ressort?
«Nos hypothèses étaient que l’urbanisation affecte l’habitat local et donc la faune et l’écologie. Avec l’augmentation de l’urbanisation à Laval, on s’attendait à une diminution de la qualité de l’eau, de la qualité de l’habitat et de la biodiversité», rapporte la professeure Beisner. L’équipe de recherche qu’elle dirigeait a étudié sept ruisseaux totalisant 45 km grâce à des stations à tous les 500 mètres, pour un total de 77 stations. Les données récoltées touchent à l’environnement des ruisseaux, aux macroinvertébrés benthiques, c’est-à-dire aux invertébrés visibles à l’oeil habitant dans un cours d’eau tel les mollusque ou les larves, et aux poissons.
Les résultats de la recherche montrent qu’effectivement, la qualité de l’eau des ruisseaux est affectée par les effets de l’urbanisation. Des coliformes fécaux et des contaminants de toutes sortes affectant la conductivité de l’eau s’y trouvent. L’abondance et la diversité des espèces d’invertébrés et de poissons dans cet habitat sont en baisse. Ce sont les espèces les plus tolérantes qui s’en sortent le mieux. Cependant, «ce qui frappe, c’est qu’à la confluence entre les grandes rivières et les ruisseaux qu’on a échantillonnés, on pense qu’il y a des poissons qui se déplacent pour aller s’alimenter, se reproduire ou se cacher dans les ruisseaux, donc qui utilisent les ruisseaux, soulève Alexandre Langlais-Bourassa. C’est vraiment bien. [Nos résultats nous font dire] qu’il y a aussi certaines populations qui se tiennent dans quelques-uns des ruisseaux. Donc les potentiels de recolonisation des ruisseaux par les poissons sont là.»
Pourquoi étudier les macroinvertébrés benthiques?
«Ils sont très nombreux et très diversifiés, ce qui va venir garantir une capture d’individus, peu importe l’environnement dans lequel on va se trouver, expose Laurent Fraser. Ils accumulent et intègrent les perturbations dans un endroit, sur une très longue période de temps. Ça nous donne des données qu’on aurait pas en prenant simplement un échantillon d’eau et en disant “voici le nombre de coliformes fécaux à telle date”. Avec un macroinvertébré, on va pouvoir savoir quel est l’état du ruisseau de manière générale pendant une période temps. En plus, ils sont super importants dans la chaîne alimentaire car ils nourrissent plusieurs autres animaux. […] Bien comprendre comment ils gèrent le stress de la ville va nous permettre de mieux préserver bien d’autres espèces autour des ruisseaux.»
Les écosystèmes aquatiques des ruisseaux de la ville de Laval sont véritablement perturbés par l’urbanisation, mais y a-t-il un peu d’espoir à avoir pour ces milieux ?
«J’ai quand même beaucoup d’espoir, affirme Beatrix Beisner. Une des raisons pour lesquelles je me suis embarquée dans le projet, c’est parce que, premièrement, il y a des ruisseaux à Laval. Tandis qu’à Montréal, c’est difficile d’en trouver un, surtout au centre-ville… À Laval, il en reste sur le territoire, alors il n’est pas trop tard. L’autre chose qu’on a vue, c’est qu’il y a de la vie tolérante, il y a une chaîne alimentaire basique, disons, dans ces ruisseaux-là. Il y a une place pour commencer à rebâtir, à restaurer ces milieux-là. On ne devrait pas perdre espoir pour cette raison. […] Bien sûr, il faut considérer que la restauration va devoir s’attarder à la qualité de l’eau. Comme les aqueducs font partie de ces milieux, il faut trouver une façon de les gérer en même temps que les ruisseaux. Il faut inclure les ruisseaux dans les plans d’aménagement futurs et garder une bonne distance avec ces milieux-là quand on construit pour être capable de les préserver.»
Source: GaïaPresse
Crédit photo : CRE-Laval et Geograph UK
Les chercheurs Beatrix Beisner, Laurent Fraser et Alexandre Langlais-Bourassa ont présenté leur projet de recherche lors d’une conférence le 3 mai dernier issue d’un partenariat entre la Maison du développement durable, l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM et le Conseil régional de l’environnement de Montréal.