Longtemps considérées comme problématiques, les eaux usées municipales font maintenant partie des alternatives visant à lutter contre les pénuries d’eau
Face à une demande alimentaire croissante et des pénuries d’eau de plus en plus fréquentes, il est temps d’arrêter de considérer les eaux usées comme des déchets pour plutôt les voir comme des ressources pouvant être utilisées pour cultiver ou encore pour lutter contre les pénuries d’eau dans le secteur agricole.
Correctement gérées, les eaux usées peuvent être utilisées sans risque dans le cadre de la production agricole (irrigation directe ou indirecte en rechargeant des aquifères), mais cela requiert une gestion diligente des risques de santé avec notamment un traitement adéquat et un usage approprié.
La manière dont les pays appréhendent ce défi et les dernières tendances concernant l’utilisation des eaux usées dans la production agricole seront au centre des discussions lors de la réunion d’un groupe d’experts qui se tient en ce moment à Berlin, lors du Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture (19 – 21 janvier).
L’événement a été organisé par la FAO avec la participation de l’Université des Nations unies, l’Institut pour l’environnement, l’eau et la santé (UNU-INWEH) l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Alliance de recherche Leibniz sur l’alimentation et la nutrition.
«Bien que l’on manque de données détaillées sur la pratique, nous pouvons dire que, de manière générale, seule une infime proportion des eaux usées traitées est utilisée à des fins agricoles, il s’agit pour la plupart des eaux usées municipales. Cependant, de plus en plus de pays faisant face à une hausse des pénuries d’eau – l’Egypte, la Jordanie, le Mexique, l’Espagne et les Etats-Unis par exemple – ont exploré plusieurs options», a déclaré M. Marlos de Souza, Fonctionnaire principal au sein de la Division des terres et des eaux de la FAO.
«Jusqu’à présent, réutiliser les eaux usées pour l’irrigation s’est révélé efficace lorsqu’effectué non loin des villes où ces eaux sont largement disponibles et gratuites ou bien à bas coût et où il existe un marché pour les produits agricoles, y compris les cultures non-alimentaires. Cette pratique, depuis longtemps utilisée par les petits exploitants agricoles, peut également être adoptée dans les zones rurales», a fait remarquer M. De Souza.
«Ce qui est important de savoir, c’est que les eaux usées peuvent être bien gérées et utilisées sans risques et ce, conformément aux conditions locales», a-t-il ajouté.
Une ressource vitale comme alternative
L’eau est évidemment indispensable pour la production alimentaire et les pénuries croissantes de cette importante ressource naturelle – appelées à s’intensifier en raison du changement climatique – conditionnent grandement le fait que l’humanité sera ou non encore capable de se nourrir par elle-même.
De manière générale, la croissance de la population et l’expansion économique font de plus en plus pression sur les ressources en eau douce, avec le taux global de prélèvements d’eau souterraine augmentant régulièrement d’1 pour cent par an depuis les années 1980. Ces pressions sont maintenant exacerbées par le changement climatique.
L’agriculture utilise déjà 70 pour cent des prélèvements mondiaux d’eau souterraine et sachant que la demande alimentaire est appelée à augmenter d’au moins 50 pour cent d’ici 2050, les besoins en eau de l’agriculture aussi, tout comme les demandes issues des villes et des industries.
Si traitées correctement, une utilisation plus importante des sources en eau alternatives et non-conventionnelles – dont les effluents d’origine urbaine et les écoulements issus des fermes – peuvent aider à atténuer le problème de concurrence d’accès aux ressources. En plus d’aider à remédier aux problèmes de pénuries d’eau, les eaux usées contiennent souvent une charge nutritive élevée, ce qui en fait un engrais efficace.
Gérer les risques
Les eaux usées non traitées contiennent souvent des microbes et des agents pathogènes, des particules issues de la pollution chimique, des résidus d’antibiotiques et d’autres menaces pour la santé des agriculteurs, des ouvriers de la chaîne alimentaire et des consommateurs. Cela constitue par ailleurs une source d’inquiétude pour l’environnement.
De nombreuses technologies et approches existent à travers le monde pour traiter, gérer et utiliser les eaux usées dans l’agriculture, dont la plupart correspondent spécifiquement aux ressources naturelles locales, aux systèmes agricoles où elles sont utilisées et aux cultures qu’elles contribuent à produire.
En Egypte, par exemple, où les ressources en eau sont limitées et les eaux usées ont tendance à être très contaminées, des zones humides artificielles se révèlent déjà être une stratégie de traitement prometteuse et économiquement viable. En Egypte et en Tunisie, les eaux usées sont utilisées dans les projets agro-forestiers, contribuant à la fois à la production de bois et aux efforts visant à lutter contre la désertification.
Dans le centre du Mexique, les eaux usées municipales sont depuis longtemps utilisées pour irriguer les cultures. Par le passé, des processus écologiques contribuaient à réduire les risques pour la santé. Plus récemment, compte tenu des restrictions concernant les cultures – certaines cultures peuvent être cultivées sans risques en utilisant les eaux usées, tandis que d’autres ne peuvent pas – des installations de traitements d’eau ont été ajoutées au système.
En Jordanie, l’eau recyclée représente 25 pour cent de l’ensemble de l’eau utilisée dans le pays. Aux Etats-Unis, le traitement et la gestion des recharges aquifères sont courants, surtout dans l’ouest du pays.
Selon M. De Souza, en plus d’aider à lutter contre les problèmes de pénuries d’eau, réduire la contamination environnementale et contribuer à soutenir la production alimentaire, les infrastructures et les systèmes de gestion destinés à récupérer, traiter et réutiliser peuvent créer des emplois.
Le Forum mondial pour l’alimentation et l’agriculture, organisé par le Ministère allemand de l’alimentation et de l’agriculture (BMEL), a lieu chaque année et réunit des décideurs de haut niveau, des experts techniques, des chercheurs et des agriculteurs afin de discuter des problèmes pressants affectant l’agriculture dans le monde entier. Cette année, le thème du Forum est «L’agriculture et l’eau – les clés pour nourrir le monde». En tant que partenaire organisateur de l’événement, la FAO supervisera plusieurs sessions lors du Forum.