Pilule contraceptive, quel impact sur les poissons ?

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Par Yan Vincent

La pilule contraceptive permet d’empêcher la grossesse chez les humains, mais elle a des effets inattendus dans l’environnement. Une fois dans les cours d’eau, elle contribue à féminiser les poissons et même transformer les mâles en femelles.

La pilule contraceptive chez les femmes

La pilule contraceptive est prescrite chez les femmes pour arrêter l’ovulation et le cycle menstruel. En temps normaux, l’hypophyse, une glande sécrétrice d’hormones dans le cerveau, produit certaines hormones, la LH et la FSH, qui vont permettre la maturation des ovocytes et déclencher l’ovulation. Ceci permet aux femmes de tomber enceintes. Suite à l’ovulation, les ovaires produisent de l’œstrogène et de la progestérone qui vont inhiber la production de LH et de FSH par l’hypophyse.

La pilule contraceptive est constituée d’œstrogène et de progestatif (semblable à la progestérone). Son ingestion quotidienne va permettre de garder des niveaux élevés d’œstrogène et de progestatif dans le sang et empêcher l’ovulation en inhibant la production de LH et de FSH. Le progestatif va aussi épaissir la glaire cervicale, une sécrétion du col de l’utérus, pour qu’elle ne soit plus perméable aux spermatozoïdes et les bloque. De surcroit, la pilule a comme troisième effet d’empêcher l’implantation de l’embryon et force son expulsion de l’utérus. Ces hormones synthétiques sont ensuite éliminées de l’organisme et sont rejetées avec les eaux usées dans les cours d’eau.

Les xénœstrogènes dans les milieux aquatiques

Ces œstrogènes synthétiques, une fois dans les cours d’eau, peuvent être ingérés par n’importe quel organisme aquatique. Une fois ingérés par ces animaux, ils sont appelés des xénœstrogènes, puisqu’ils ne sont pas produits par ceux-ci et sont donc étrangers de celui-ci.

Il est important de noter que la pilule contraceptive n’est pas la seule source de xénoestrogènes dans les cours d’eau. Il y a des xénœstrogènes d’origine industriels (l’alkyphénol, le bisphénol A, le phtalate et les biphényles polychlorés), d’origine végétale (industrie des pâtes et papiers), d’origine agricole avec certains pesticides (DDT, toxaphènes et l’endosulfane), et bien entendu les œstrogènes d’origine naturels libérés par les animaux d’élevage et les humains.

Ces xénœstrogènes, ingérés par des animaux, agissent comme perturbateur ou modulateur endocriniens chez leur hôte. Un perturbateur endocrinien est une substance qui va mimer, moduler ou inhiber l’action des hormones de l’organisme. Dans ce cas-ci, les xénoestrogènes vont spécifiquement perturber l’action des hormones stéroïdiennes, c’est-à-dire, les hormones responsables du développement des organes sexuels et de la reproduction.

Chez les mammifères, les oiseaux et les poissons, ils vont baisser le taux de fertilité. De plus, chez les poissons, ils vont causer une féminisation et parfois même inverser le sexe des mâles.

La perturbation endocrinienne chez les poissons

Le cycle de reproduction chez les poissons est méticuleusement régulé, spécifiquement chez les poissons devant pondre à une période précise. Chez ces poissons, les conditions environnementales (la photopériode, la température et la disponibilité de la nourriture) régissent normalement les hormones stéroïdiennes.

Un petit changement dans ces hormones peut avoir de grands impacts. Chaque espèce de poisson possède une sensibilité différente aux xénoestrogènes et, peuvent donc être affectés différemment. Les femelles poissons peuvent voir leur fertilité diminuer, due à des problèmes de fécondation, d’ovulation ou de développement embryonnaire causés par la perturbation endocrine.

Les mâles ont de plus grands problèmes en présence de xénoestrogènes. Ils peuvent se mettre à produire du vitellus, qui est la source principale de nutriment dans les œufs. Ceci est une forme de féminisation puisque les mâles n’en produisent normalement qu’une faible quantité contrairement aux femelles. Il y a un coût énergétique non négligeable qui accompagne la production de vitellus, que certains individus ne peuvent se permettre. En plus, ils ne peuvent le rejeter hors de l’organisme, puisqu’ils ne pondent pas d’œufs. Le vitellus s’accumule alors dans le sang, puis dans les reins et le foie et y provoque de la nécrose, c’est-à-dire la mort des cellules de ces organes.

Dans certains cas extrêmes, les mâles peuvent se développer comme des femelles. Le sexe des poissons est régi de façon génétique et ces gênes produisent une certaine combinaison d’hormone masculine, principalement des androgènes, pour le développement des organes mâles et une autre combinaison, principalement des œstrogènes, pour les femelles.

Par contre, lorsque les mâles de certains poissons, comme le poisson-zèbre, sont exposés à certaines doses de xénoestrogène lors du moment critique du développement de leurs organes sexuels, ils peuvent se développer comme des femelles.

Les xénoestrogènes causent donc un changement de sexe chez certains poissons mâles et dans certains cas des populations de poissons à 100% femelles ont été observées. Ce phénomène a été observé à plusieurs endroits dans le monde, et même dans le fleuve St-Laurent chez la Queue à tache noire.

Pistes de solutions

La première solution qui s’offre à nous est de réduire les sources de xénoestrogènes industriel et agricole. Certains ont déjà été interdits, par contre il y en a d’autres qui sont très utiles, comme la pilule contraceptive. De plus, son élimination ne serait pas suffisante, car dans certains cas, les xénoestrogènes d’origine naturelle sont suffisants pour affecter la faune aquatique.

Il faudrait donc plutôt empêcher ces hormones synthétiques d’atteindre les cours d’eau. Les usines d’épuration d’eau ne se préoccupent pas encore de filtrer ces perturbateurs endocriniens. En ajoutant une norme sur les quantités de xénoestrogènes présentes dans les eaux relâchées dans l’environnement, les usines d’épurations seraient obligées de rajouter un processus pour filtrer ces composés et réduire l’impact sur l’environnement.


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UntitledYan Vincent

Candidat à la maîtrise en Sciences de l’Environnement de l’UQAM

Yan Vincent est un étudiant finissant au baccalauréat en biologie en apprentissage par problème avec une spécialisation en toxicologie environnementale à l’UQAM. Il est présentement candidat à la maitrise en sciences de l’environnement dans la même institution. Avant d’étudier en biologie, il a effectué quelques années d’études en génie physique, avec une concentration en géoscience à l’université Laval. Lors de ces études, il a travaillé dans le programme d’acquisition de connaissances sur les eaux souterraines au Québec avec l’université Laval, ainsi qu’en remédiation des sites contaminés chez Enutech. Il a aussi été éco-volontaire au Pérou pour Ikamapéru.

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