Par Mélanie Chabot
Rédactrice en chef de la revue Développement social
Mots-clés : temps, travail, Le droit à la paresse, Alexandre le bienheureux
En février 2008, un article paru dans Le Devoir2 allait me faire découvrir un militant peu connu de la gauche européenne du XIXe siècle, un dénommé Paul Lafargue qui, en 1883, publiait un petit ouvrage qui allait être, pendant un bon moment, « l’ouvrage le plus traduit après le Manifeste du parti communiste (1848) ». L’ouvrage en question? Le Droit à la paresse. Par cet article, j’allais apprendre que Lafargue remettait alors en question « cette passion pour le travail qui semble avoir perverti ce qu’il concevait comme la mission historique du prolétariat : établir un nouvel ordre social afin d’utiliser les progrès technologiques générés par le capitalisme dans l’intérêt des travailleurs ». Or, près de 150 ans plus tard, et malgré les avancées techniques, des études nous apprennent que les travailleurs québécois travaillent de plus en plus, pour gagner souvent moins qu’il y a 30 ans3. D’autres nous informent que près du tiers des Canadiens se disent être des bourreaux de travail4, que le temps passé en famille fond comme neige au soleil5 et que les Québécois, tout comme les Canadiens, sont de moins en moins nombreux à offrir du temps pour l’entraide ou le bénévolat6. Pourtant, dans une entrevue accordée à TVA en octobre 2006, Lucien Bouchard déclarait que les Québécois ne travaillent pas assez. On travaillerait moins que les Ontariens, infiniment moins que les Américains. Il faudrait travailler plus! En plus de cette rencontre avec Lafargue à travers l’article cité plus haut, ce sont ces paradoxes qui m’ont récemment incitée à revoir cette ode à la vie qu’est le film d’Yves Robert : Alexandre le bienheureux. Et près de 50 ans plus tard, en plus de constituer une véritable bouffée d’air frais, ce petit film m’est apparu d’une actualité criante. Car un constat s’impose : qu’on parle de temps social, de temps personnel, de temps en famille, de temps travaillé, emprunté ou consommé, mon entourage – tant personnel que professionnel – semble vivre une insatisfaction généralisée quant au temps disponible, nécessaire, souhaitable, espéré. D’où le présent numéro sur la question du temps et, surtout, sur celle de sa compression. Le temps n’affecte pas que les individus. Il constitue également un enjeu important pour le développement social en agissant sur la capacité de nos communautés à s’organiser et à se mobiliser sur divers enjeux. C’est ainsi qu’en première partie de ce numéro, on s’intéresse à l’impact de la compression du temps sur les pratiques de développement collectif, sur la conciliation travail-famille-vie personnelle, sur l’égalité hommes-femmes, sur l’engagement social et la participation citoyenne. Puis, nous vous présentons comment plusieurs communautés, en usant d’imagination collective, réussissent à couper court à l’accélération du temps. Projets de conciliation travail-famille-vie personnelle, services de proximité et services à la personne, entraide, troc et échanges de services, voilà autant d’astuces qui font appel à la solidarité et que vous prendrez plaisir à découvrir en deuxième partie de ce numéro. Faites des émules de vos communautés! Et inspirez-vous!
Références bibliographiques
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