Pourquoi est-ce que certaines personnes détestent les écologistes, les environnementalistes, les verts?
Cette semaine, nous apprenions que le gouvernement du Québec était prêt à aller jusqu'à contredire sa propre politique gouvernementale pour menacer de couper le soutien à une dizaine d'organismes communautaires en environnement. Sous le couvert de l'austérité, le Parti libéral semble emprunter la stratégie du gouvernement Harper: faire taire les voix dissidentes par tous les moyens possibles. Certes, certains de ces organismes oeuvrent depuis plus de trente ans à éduquer, promouvoir des alternatives écologiques, combattre le gaspillage et contribuent finalement à améliorer la qualité de vie de la population du Québec. Mais on s'en fout, c'est des écolos! Des é-co-los!
Ce mépris me laisse dubitatif. Même si on oublie les autres espèces, l'être humain – n'importe qui – a besoin d'air, d'eau, de nourriture, n'a pas envie de tomber malade et aspire à la meilleure qualité de vie possible. Vouloir un environnement sain, c'est instinctif, c'est normal et c'est dans l'avantage rationnel de tout le monde.
Mais lorsque des personnes et des groupes – appelons-les des écologistes – s'activent pour valoriser et défendre cet environnement sain, alors là, c'est trop. On se moque d'eux et d'elles, on les profile, les poursuit, les assassine et les fait passer pour des terroristes.
Des personnalités publiques, comme l'ancien ministre Jacques Brassard, Ezra Levant ou Éric Duhaime, font une carrière simplement à les insulter sur la place publique en lançant des théories de conspiration. Et vous savez, que trois hommes blancs trouvent une tribune pour cracher du venin ne me surprend pas particulièrement, il y a après tout environ 300 000 psychopathes au Canada et il n'est pas rare de voir des gens qui semblent incapables de ressentir de l'empathie dans des positions de pouvoir… ou àdroite.
Ce qui m'étonne, c'est que cette haine des écologistes trouve un écho. Une partie significative de la population semble tout à fait à l'aise avec l'idée que les écologistes sont, irrévocablement, des personnes abjectes qu'il faut liquider pour le bien-être de… l'économie? Ce dernier point n'est pas clair, la haine ne s'embarrasse pas toujours d'arguments. Vous n'avez qu'à consulter les commentaires de n'importe quel de mes billets, ou ceux de Daniel Breton, Bertrand Schepper ou Karel Mayrand pour constater la hauteur de la discussion.
Or, les sondages ne nous éclairent pas davantage. D'un côté, 89% des gens disent approuver du travail des groupes environnementaux au Québec. Mais de l'autre, l'environnement traînait en 11e position dans les priorités électorales en 2014. Une autre façon de dire qu'on s'en fout, dans le fond.
Pour essayer de comprendre cette dissonance cognitive, retenons deux angles: le rationnel et l'irrationnel.
D'un côté, on sait que l'environnementalisme a un rapport intime avec la science. Depuis le Silent Spring de Rachel Carson en 1962, de la perte massive de biodiversité à la pollution et aux changements climatiques: la science pèse beaucoup dans l'argumentaire. Toutefois, cinquante ans plus tard, on réalise que les faits ne parviennent pas à convaincre les gens. Le problème réside finalement dans la résistance au changement.
Cette résistance au changement est un phénomène complexe mais on peut dire qu'il y a une part liée à la nature abstraite des problématiques environnementales. Celles-ci ne sont pas toujours faciles à percevoir directement, au quotidien, avec nos sens. Quoiqu'une fois qu'on a le cancer, la maladie de Lyme, que notre eau est contaminée, qu'un réacteur nucléaire fond, il est trop tard pour éviter le pire. La nature même de ces problèmes demande qu'on cherche plutôt à prévenir, ce qui force les écologistes dans un rôle de Cassandres qui n'est pas joyeux et finit par déplaire.
Puis, il y a une part de gigantisme. C'est gros. Si on ne fait rien, la moitié des espèces vivantes sur Terre risque de s'éteindre. Le climat va s'emballer et d'ici 2050 et c'est foutu. La guerre, la famine, la maladie attendent des milliards d'humains. Parallèlement, la pollution est une des causes d'autisme, de schizophrénie, de maladies chroniques. Mais quel contrôle avons-nous, vous et moi, sur des phénomènes si grands?
Même là, on a même pas besoin d'être en désaccord avec les écologistes sur le plan scientifique. Suffit d'ignorer. On veut des jobs. Plus de jobs. N'importe quelle job. Et puis fuck l'environnement.
La psychologie offre certainement l'autre partie de la réponse. Selon Nadia Bashir de l'Université de Toronto, ce n'est pas tellement que les gens sont contre l'environnement, c'est surtout qu'ils sont mal à l'aise avec les activistes qui représentent la cause. C'est l'identité, la perception qu'on a des environnementalistes.
L'étude cite:
La nature même de l'activisme mène à des stéréotypes négatifs. En promouvant agressivement le changement et en argumentant pour des pratiques non conventionnelles, les activistes sont associés à une militance hostile, la marginalité et l'excentricité […] cette tendance […] réduit la motivation des individus à adopter un comportement pro-changement que les activistes souhaitent.
En d'autres mots, la psychologue explique que même si plusieurs de ses sujets étaient ultimement d'accord avec les revendications du mouvement environnemental, ils percevaient les environnementalistes comme des "hippies", des "gens pas propres", même des "terroristes" et ne voulaient aucunement y être associé.
Alors si d'une part, présenter des arguments rationnels ne suffit pas à convaincre les gens, et que d'autre part, on réussit à discréditer les environnementalistes avec de vieux clichés stupides… est-ce que l'environnement est simplement condamné?
Mes propositions ne vont dans ce sens. Je n'ai pas non plus espoir en ces environnementalistes qui peaufinent leur image publique en revêtant veston cravate et vont faire affaire avec le Conseil du patronat.
Et même si la majorité de la population du Québec approuve le travail des groupes écologistes, on sait que les lobbys extractifs et la droite conservatrice vont tout faire dans les années qui viennent pour nous démoniser.
Alors quoi? Il n'y a plus de projet de société au Québec. Tout est à l'extraction des ressources naturelles, à la consommation et au gros cash. Quand ce qu'on nous présente ressemble plutôt à un long suicide collectif, qu'est-ce qu'on peut faire d'autre, sinon se défendre?
Après tout, ces « méchant(e)s écologistes », c'est vous, c'est moi, c'est quiconque a envie d'un monde où il faut bon vivre. Nous n'allons jamais plaire à ceux qui profitent de sa destruction.
Source: Bruno Massé, Réseau québécois des groupes écologistes (RQGE)