L’exploitation des gaz de schiste : une menace pour l’eau potable?

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Par Stéphane Gagné


Mots-clés : eau, hydrofracturation, gaz de schiste, rivière Bécancour, Coalition Eau Secours, Programme d’acquisition de connaissance des eaux souterraines.

 

Août 2010. Un rapport de la Pennsylvania Land Trust Association révèle que 1 435 infractions ont été enregistrées en deux ans et demi lors de forages dans cet État américain. Un grand nombre de ces infractions ont trait à l’eau : bassins de rétention des eaux usées non étanches, bassins trop pleins, contamination des ruisseaux. Une question se pose : saurons-nous assurer une meilleure protection de notre eau souterraine et de surface lorsque viendra le temps d’exploiter les gaz de schiste, ici?

Bien que l’industrie se veuille rassurante à ce chapitre, plusieurs en doutent et alignent plusieurs raisons. D’une part, le Québec présente un manque flagrant de connaissances sur les impacts liés à l’hydrofracturation. D’autre part, nous n’en savons pas plus sur les effets combinés des produits chimiques contenus dans l’eau servant à l’extraction des gaz. Enfin, les données de caractérisation des eaux souterraines dans les régions où seront exploités les gaz de schiste sont incomplètes et ne permettraient pas de tracer un portrait juste des impacts de l’exploration.

«  Le malheur, c’est qu’on n’en connaît très peu sur le sujet, déplore Martine Chatelain, présidente de la Coalition Eau Secours. Où se situent les aquifères, les rivières souterraines, quelles sont leur étendue, leur vulnérabilité? Or, sans ces informations essentielles, on ne sera pas en mesure de protéger adéquatement ces aquifères lorsque l’exploitation des gaz de schistes débutera », craint-elle.

 

Un inventaire partiel en cours

Au ministère du Développement durable de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), le Programme d’acquisition de connaissance des eaux souterraines en cours (et ce jusqu’en mars 2011), devrait produire des informations plus exhaustives sur le sujet. Doté d’un budget de 7,5 millions de dollars, le programme doit établir la qualité et la quantité de la ressource souterraine, de même que l’utilisation et les pressions humaines qui s’exercent sur celle-ci, de manière à évaluer le potentiel d’utilisation ainsi que les risques de contamination et de surexploitation des aquifères.

 

On n’aura tout de même qu’une vue partielle de la situation lorsque débutera l’extraction des gaz de schiste dans la région de Lotbinière, quoique le bassin versant de la rivière Bécancour soit sous investigation. « D’ici un an, on aura un portrait général, affirme Simon Lemieux, directeur du Groupe de concertation des bassins versants de la zone Bécancour, zone visée par l’exploitation des gaz de schiste. Les bassins versants limitrophes au nôtre, ceux de Nicolet et Duchêne ne font toutefois l’objet d’aucune étude de ce genre. »

 

Des zones grises demeurent

M. Lemieux se questionne aussi sur les effets de l’exploitation de ces gaz sur les milieux humides, présents en bonne quantité dans sa région. En fait, il avoue ne pas avoir une opinion précise sur ce dossier, car il manque trop d’informations pour réaliser une analyse rigoureuse des risques.

Jean Landry, président du Regroupement des d’organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ) n’est guère plus loquace. Bien qu’il ne soit pas contre cette exploitation du gaz de schiste, de prime abord, il exprime plusieurs questionnements. « Comment être sûr que les autres usages de l’eau comme l’agriculture, les besoins des municipalités, ne seront pas pénalisés par les grands captages d’eau liés à l’exploitation des gaz de schiste (la Loi sur les mines donne préséance aux entreprises minières sur les autres usages du territoire)? Peut-on avoir la certitude que l’eau injectée dans le sol (dont 35 à 50 % y demeureront) restera confinée dans les formations de schiste et ne contaminera pas les eaux souterraines? » interroge-t-il.

 

Des craintes non fondées

Selon Paul Glover, professeur agrégé au Département de géologie et de génie géologique de l’Université Laval et pétrophysicien (lié à l’industrie pétrolière et gazière jusqu’à il y a un an), il y a très peu de risque que l’eau utilisée pour l’hydrofracturation contamine les eaux souterraines. « Les schistes sont situés à environ 2 000 mètres sous terre alors que les nappes phréatiques sont beaucoup plus près de la surface. De plus, il y a entre les deux, au Québec, une importante couche de roche imperméable. »

Qu’en est-il du forage vertical qui traverse les nappes phréatiques? lui avons-nous demandé. « Il est entouré de plusieurs couches de béton qui rend la contamination presqu’impossible, si les travaux sont exécutés avec rigueur. » Avec une bonne réglementation, M. Glover croit que les risques seront beaucoup réduits.

 

Des risques insolvables

Malgré ces assurances, le scepticisme perdure. « Aux États-Unis, huit États ont des problèmes de contamination de leurs eaux depuis le début de l’exploitation des gaz de schiste, affirme Mme Châtelain. Et lorsqu’un puits ou des puits sont contaminés, il est très difficile d’établir par la suite l’origine du problème et, par conséquent, d’obtenir des condamnations pour les entreprises fautives. »

Selon Mme Châtelain, les problèmes d’eau liés aux gaz de schiste existent, ils sont nombreux et documentés. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, 65 puits ont été asséchés à la suite de prélèvements d’eau par l’industrie des gaz de schiste

C’est pourquoi la présidente d’Eau Secours milite pour la prudence et l’application du principe de précaution, de préférence à la gestion des risques. « Ne vaudrait-il pas mieux attendre la publication d’études crédibles sur le sujet, dont celle de l’EPA prévue pour la fin 2012? »

 

 


Sept États sont aux prises avec une contamination de leurs nappes phréatiques. Il s’agit de l’Alabama, du Colorado, du Montana, du Nouveau-Mexique, de l’Ohio, du Texas et du Wyoming (88 puits affectés). L’État de la Pennsylvanie a une rivière contaminée en raison de la fuite des eaux d’un bassin de rétention.

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