Il y a deux ans, Louisa Nesterova n’aurait jamais imaginé prendre son vélo pour aller au travail. Mais la jeune femme traverse désormais Moscou en pédalant au milieu d’automobilistes hostiles, sur des routes peu adaptées aux deux-roues.
Sur le papier, un vélo à Moscou, c’est comme une barque dans le désert. «Moscou n’est pas une ville facile pour les cyclistes», explique Louisa, 30 ans, en énumérant ses principaux désavantages : de la neige six mois par an, d’immenses artères qu’on ne peut traverser que par de longs souterrains et un trafic routier dangereux avec des automobilistes sans grande considération pour les cyclistes.
Chaque jour, Louisa, qui travaille dans la finance, enfourche son vélo vert pastel et parcourt plus de cinq kilomètres sur des routes très fréquentées, sans piste cyclable, été comme hiver.
«Quand il neige, je mets simplement des gants un peu plus chauds», raconte à l’AFP celle qui pédale par -27 degrés.
Afin d’encourager les Moscovites à l’imiter, elle a créé un compte Instagram suivi par plus de 5.400 personnes. Régulièrement interrogée par les médias russes, elle est devenue malgré elle une «ambassadrice» du cyclisme.
«Mon rêve c’est que les cyclistes deviennent la norme et qu’on ne me voit plus comme quelqu’un qui a du courage», dit-elle. «De plus en plus de gens voudraient utiliser leur vélo mais ils ont très peur des voitures : ici, on n’apprend pas aux automobilistes à partager la route avec les cyclistes», regrette Louisa, qui roule toutefois sans casque. Moscou, avec ses 12 millions d’habitants, «est une ville créée pour les voitures», juge-t-elle.
Investissements
Depuis quelques années, la mairie de Moscou investit pour contrer cette image et développer le cyclisme, un projet mené de pair avec le renouvellement accéléré de ses infrastructures urbaines en vue de la Coupe du monde de football que la Russie accueille en 2018.
«La demande de pistes cyclables vient de la population, elle est très forte et constante», assure Alexeï Mitiaïev, chargé des infrastructures cyclistes auprès du département municipal de transport de la capitale russe. Avec le soutien du maire Sergueï Sobianine, M. Mitiaïev, lui-même cycliste, a lancé en 2014 «VeloBike», un système de vélos partagés sur le modèle des «Vélibs» à Paris ou des «Santander cycles» à Londres.
Pour 30 roubles (0,70$) le trajet, ou 150 roubles (3$) la journée, les Moscovites peuvent louer de simples bicyclettes, mais aussi des vélos électriques. Les premières années de Velobike, 80% des trajets étaient offerts, afin de fidéliser les utilisateurs. Une méthode qui a porté ses fruits : les adeptes de Velobike étaient quatre fois plus nombreux en 2016 (196.000) qu’en 2014 (47.900).
Au total, la mairie dépense 150 millions de roubles (3 millions de dollars) par an pour ce système de vélos partagés, qui compte 330 stations et 3.200 vélos.
En parallèle, la mairie développe les pistes cyclables, dont la longueur a quadruplé : 203 km aujourd’hui – dont 133 dans des parcs – contre 52 km en 2012. Une augmentation fulgurante, mais à relativiser, car Moscou est parti de zéro et reste loin derrière les 400 km d’Amsterdam et les 740 km de Paris, des villes pourtant bien plus petites que la capitale russe.
«Moscou ne sera peut-être jamais une capitale du vélo comme Amsterdam, mais nous espérons que pédaler y sera de plus en plus agréable», promet Alexeï Mitiaïev sur son vélo. Pourtant, les cyclistes constatent que les travaux gigantesques menés à Moscou depuis 2015, n’incluent pas la construction de nouvelles pistes cyclables, malgré les promesses municipales.
Il n’y a pas de chiffres connus d’accidents impliquant des cyclistes. Mais pas plus tard que le 5 juin, un député moscovite, Vladimir Baouchev, a été tué par une voiture alors qu’il roulait à bicyclette sur une route.
«La liberté»
Pour Nadia Jérébina, qui a lancé avec des amis l’association «Let’s Bike It» («Allons-y en bicyclette»), la mairie doit encore accentuer ses efforts pour que les vélos aient leur place sur la route, faute de quoi ils utilisent les trottoirs, au grand agacement des piétons. «Cela provoque des conflits et des situations dangereuses inutiles», regrette-t-elle auprès de l’AFP.
Selon le bureau d’études russe Urbica, le fait qu’il neige ou qu’il pleuve n’est pas un obstacle pour développer le cyclisme à Moscou car les habitants sont habitués au mauvais temps, mais l’état des routes reste un frein.
«Avant, nous utilisions déjà le vélo, pour nous promener dans des parcs. Nous ne le prenions pas pour aller d’un point A à un point B. La nouveauté pour nous c’est de penser au vélo comme moyen de transport», explique Mme Jérébina. Ainsi, une autre requête de «Let’s Bike It «est de «déneiger en priorité les pistes cyclables, avant les voies automobiles, pour encourager les Moscovites» à utiliser leur vélo, ajoute-t-elle.
«Des villes comme Oslo, Montréal, connaissent un hiver aussi froid que le nôtre et possèdent pourtant une grande culture vélo, alors pourquoi pas nous ?» Aux yeux d’Alexeï Mitiaïev, le récent engouement des Moscovites pour les bicyclettes prouve «leur envie de s’approprier leur ville.» «C’est aussi une question de génération : celle de nos parents privilégiait la voiture», qui symbolisait l’expression de l’individu après des décennies de communisme, remarque-t-il.
«Notre génération, elle, préfère la liberté», assure le jeune cycliste.
Source : AFP