Alors que s’achève la COP23 à Bonn, les scientifiques s’alarment du manque d’initiatives pour lutter contre les gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Pourtant, il y a trente ans, c’est lors d’une conférence comme celle-ci que politiques et scientifiques ont sauvé la couche d’ozone d’une disparition attendue.
«Tirer la sonnette d’alarme», «marteler», «prévenir»… En 2017, c’est aussi cela, le job de scientifique. Surtout quand il étudie le réchauffement climatique. Lundi 13 novembre, plus de 15 000 chercheurs, issus de 182 pays, ont ainsi signé une tribune demandant d’agir en urgence pour enrayer le phénomène. Ils y dressent un rapide bilan de ce qui a été fait pour sauver la planète depuis la publication d’un «premier avertissement», il y a vingt-cinq ans.
Depuis 1992, à l’exception de la stabilisation de la couche d’ozone stratosphérique, l’humanité n’a pas réussi à faire des progrès suffisants dans la résolution générale de ces défis environnementaux prévus et (…) la plupart d’entre eux deviennent bien pires. Tribune de 15 000 scientifiques pour le climat
Démoralisante, cette phrase convoque un lointain souvenir : celui d’un monde terrifié à l’idée de finir carbonisé par les rayons ultraviolets du soleil, en raison du trou de la taille d’un continent dans notre couche d’ozone. Et qui a réagi. Selon la Nasa, ce dernier est bien parti pour se résorber totalement d’ici 2030-2050 (lien en anglais). L’occasion de revenir sur la façon dont scientifiques, politiques et industriels ont sauvé le monde une première fois. Qui sait, peut-être en sont-ils toujours capables?
«L’industrie chimique a rapidement été alertée»
Quand la présidente de la Commission internationale sur l’ozone, Sophie Godin-Beekmann, démarre sa carrière de scientifique, à la toute fin des années 80, l’humanité vient de prendre conscience de l’ampleur des dégâts causés sur la couche d’ozone par les gaz CFC (ou chlorofluorocarbures). Elle se souvient d’une terrifiante conférence lors de laquelle un chercheur avait présenté l’ampleur de la diminution d’ozone à l’échelle planétaire. «Il s’agissait d’un signal tellement fort que nous étions tous très, très inquiets», se rappelle-t-elle.
L’homme qui tire la sonnette d’alarme s’appelle Paul Crutzen. Le Néerlandais fait partie de ces quelques chercheurs qui, au début des années 70, ont évoqué publiquement la détérioration de la couche d’ozone sous l’effet des CFC. Et ce, à une époque où les gouvernements envisageaient de développer des flottes d’avions supersoniques – tel le Concorde – dévastateurs pour la couche d’ozone…
«Jusqu’au milieu des années 70, on considère que les CFC sont des composés très sûrs au niveau du process industriel», relève la spécialiste, directrice de recherche au CNRS. Leur utilisation est très developpée. On en trouve à la fois dans les aérosols et les réfrigérateurs. Les accusations des chercheurs, qui se basent sur des «modèles rudimentaires» et non des preuves tangibles, embarrassent donc l’industrie chimique. Cette dernière se défend en arguant que le secteur pèse quelques centaines de milliers d’emplois et plusieurs milliards de dollars, rappellent les auteurs de Protecting the Ozone Layer : The United Nations History.
Dès 1975, la mauvaise réputation de ce composé provoque toutefois la chute des ventes d’aérosols aux Etats-Unis. L’entreprise SC Johnson fait même le pari de se débarrasser des CFC. Au Canada comme en Scandinavie, on discute de la pertinence de ce composant. «L’industrie chimique a rapidement été alertée des soupçons qui pesaient sur le CFC et a alors commencé à travailler sur des substituts», poursuit la spécialiste.
L’industrie a choisi d’accompagner les scientifiques. Elle a notamment payé des instruments de mesures et a suivi l’avancée des travaux dans ce domaine. Moi-même, j’ai utilisé un laser financé par le CMA, l’association de l’industrie chimique.
– Sophie Godin-BeekmanN A FRANCEINFO
Pour les industriels, il s’agit alors de garder la main sur le secteur en développant de nouveaux produits et «leurs propres modèles scientifiques». «Ils voulaient anticiper et comprendre ce qu’il se passait», souligne encore la chercheuse.
«Le monde a compris qu’on mettait l’espèce humaine en danger»
Le débat bascule à partir de 1985, avec la publication d’un article du scientifique Joseph Farman, puis deux ans plus tard, avec les premières campagnes de mesures réalisées dans l’Antarctique. La science rapporte enfin la preuve de l’implication des CFC dans la diminution de la couche d’ozone. Elle tranche les théories discutées entre experts en établissant un lien entre quantité de chlore dans l’atmosphère et diminution de l’ozone. En août et en septembre 1987, un avion effectue deux vols à 17 km au-dessus de l’Antarctique et révèle avec précision l’ampleur du trou dans la couche d’ozone.
Quand bien même certains, comme le très populaire vulcanologue Haroun Tazieff, martèlent à tort que les données scientifiques ne permettent pas d’incriminer l’homme, ces nouvelles images entraînent la sensibilisation express du grand public. «Elles ont frappé les esprits», note la scientifique.
La couche d’ozone, c’est quand même le seul filtre qui nous protège des rayonnements ultraviolets. Tout le monde a compris que si on l’endommageait, on mettait directement en danger l’espèce humaine.
– Sophie Godin-Beekmann A franceinfo
Un protocole ratifié par tout le monde
La même année, en mars, une première conférence intergouvernementale se penche sur le problème et se solde par la ratification d’un traité, toujours en œuvre aujourd’hui : le protocole de Montréal. «Au départ, il ne permet pas d’éliminer les CFC», précise la directrice de recherche. En effet, le texte instaure «une baisse de la production des CFC de 30% et le principe d’une révision de ces objectifs tous les quatre ans, afin de faire évoluer les règles en fonctions de nos connaissances.» Surtout, il met en mouvement «un cercle vertueux».
Source: Franceinfo.