Menacée par les inondations, la pampa argentine est en voie de disparition. Redessinant les cartes, l’eau fait naître de nouvelles rivières, engloutissant tout sur son passage: les vaches, les champs, les routes et les villages. Un phénomène hydrologique rare que pourraient freiner les gauchos, ces mythiques gardiens de troupeaux.
«On s’est réveillés un matin et il y avait de la boue partout, à perte de vue. Tout était brillant autour de la maison, comme un miroir. On aurait dit une plage à marée basse », raconte Nora Luna Bosco en tirant nerveusement sur sa cigarette. Une image qui n’a rien d’idyllique : « Ça donnait envie de pleurer de rage », ajoute son époux Daniel Bosco, les yeux fixés sur la rivière qui a émergé en plein milieu de leur propriété, la coupant littéralement en deux.
Les Bosco exploitent 150 hectares de pampa, dans la province de San Luis, au cœur de l’Argentine. En une nuit, en septembre 2015, ils en ont perdu les deux tiers sous plus de 1 m de boue. Seuls leur maison et un maigre champ de maïs ont été épargnés. Pourtant, quand ils ont acheté cette propriété, il y a 20 ans, San Luis était une province semi-aride.
Aujourd’hui, 373 000 hectares de la province (près de 5 %) sont sous l’eau. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg : toute la pampa, cette vaste plaine fertile et plate couverte de steppe herbeuse, est dans l’œil du péril humide.
« Les inondations sont le plus important désastre naturel qui menace l’Argentine. Elles représentent 60 % des désastres actuels et 95 % des pertes économiques », signale la Banque mondiale dans un récent rapport sur l’état de l’environnement argentin. Pourtant, « la dernière décennie n’a pas été particulièrement humide, elle a plutôt été dans la moyenne », indique Esteban Jobbagy, chercheur au CONICET, le Conseil national de recherche scientifique et technique de l’Argentine. Alors d’où vient toute cette eau ?
Avec le soutien de fonds canadiens du Centre de recherches pour le développement international(CRDI), M. Jobbagy et son équipe ont parcouru toute la pampa du nord au sud pour trouver la source de l’eau.
La piscine déborde
Leur conclusion ? La province de San Luis est confrontée à la hausse vertigineuse de la nappe phréatique. Déboisé et consacré presque exclusivement à la monoculture de soya et de maïs transgéniques, le sol particulièrement plat de la région n’absorbe plus l’eau. La moindre pluie submerge tout.
Plus que des inondations passagères, la hausse des nappes provoque la naissance rapide et imprévisible de lacs et de cours d’eau qui ne disparaissent plus. En se formant, ceux-ci charrient d’impressionnantes quantités de sédiments.
« C’est comme une piscine qui se remplit et qui, à un moment donné, commence à déborder. L’eau emporte alors avec elle la terre, les sédiments et tout ce qu’elle trouve sur son passage », explique l’ingénieur agronome Osvaldo Barbosa, de l’Institut national de technologie agricole (INTA), qui fait équipe avec Esteban Jobbagy.
Ce phénomène rare se nomme sapping. Certaines parties du Grand Canyon, aux États-Unis, sont nées ainsi, de même que certaines rivières asséchées de la planète Mars. Mais San Luis est le seul endroit au monde où il peut être observé en pleine action.
L’eau remonte partout, même en milieu urbain, provoquant une crise sanitaire. Dans le quartier le plus pauvre de la province, qui porte le nom de l’idole nationale Eva Perón, le phénomène est criant. L’eau envahit tout, répandant le contenu du système d’égout.
« Devant chez moi, la nappe est à 12 cm [sous la surface du sol]. Un camion s’est enfoncé juste là, la semaine dernière », raconte Jimena Robira, en montrant l’étendue d’eau grisâtre où flottent les immondices devant sa maison.
Source: Québec Science. Auteur: Anne Caroline Desplanques