Par Hugo Poitout
– « Je suis là pour découvrir votre ferme » dis-je, le sourire aux lèvres en tendant la main.
– « À la bonne heure » répondit-il en me serrant la main.
– « Je suis Hugo Poitout et j’aimerais comprendre ce que vous faites. C’est Carmen qui m’envoie ».
– « Très bien, alors suis-moi » me lança François Lamontagne, conseiller pour les jardins collectifs de Granby et en charge de la ferme Heritage Miner. Il remit son chapeau de paille sur la tête tout en m’invitant à sortir découvrir la ferme. Alors que nous marchions vers la sortie, je lui racontais mon projet de traverser le Québec en voiture électrique afin de comprendre et promouvoir une mobilité durable. Je lui fis part de ma visite aux jardins collectifs de Granby le matin même qui m’a emmenée ici. Je passai la porte donnant sur une partie de la ferme. Je m’arrêtai. Ou, est-ce le temps qui se suspendit ? Mon regard se perdit, devant moi des dizaines de fleurs se balançaient au rythme du vent. À gauche, un enclos où se trouvaient tomates, pois verts, et autres légumes ; encore plus à gauche, derrière un imposant pin, émergeait une grange d’un rouge vif, éclairée par le soleil du midi. Derrière, j’aperçus diverses cultures et au loin, vers la droite, des arbres fruitiers s’échelonnaient jusqu’à la forêt qui se perdait à l’horizon. Paf ! Le claquement de la porte qui se refermait me fit reprendre mes esprits et je lâchai un timide « whaouw ». « Tu me suis ? » m’apostropha François.
Un besoin d’éducation pour demain
La ferme Heritage Miner fait travailler une vingtaine de bénévoles au minimum trois heures par semaine. Le but n’est pas seulement de cultiver des fruits et légumes, mais d’éduquer les gens à l’agriculture. « Les gens ont oublié comment jardiner […] On a perdu trois générations de jardiniers » m’affirma François Lamontagne. Ses paroles déchiraient le silence. François Lamontagne faisait référence à l’exode rural dans les pays occidentaux. En effet, aux États-Unis en 1840, c’était 70% de la population active, soit 12 millions de personnes, qui travaillaient dans les champs. En 1900, ce pourcentage avait déjà baissé à 40 % pour atteindre 1% de la population active en 2010, soit 2 millions de personnes qui nourrissaient 300 millions de leurs concitoyens (Le Club des Bio-Economistes, 2012). Toutefois, la tendance peut se retourner. En effet, si l’agriculture industrielle actuel venait à être remplacée par une production à plus petite échelle et plus respectueuse de l’environnement, donc moins dépendante du pétrole, des pesticides et des engrais chimiques, comme une tendance naissante porte à croire, on aura besoin de plus en plus de fermiers. Et oui, la fête est bientôt finie ! Il faut réapprendre à cultiver. Alors que les jardins du centre-ville de Granby donnaient un avant-goût des activités agricoles de demain, la Ferme Heritage Miner permet l’apprentissage de préceptes de base d’une agriculture durable. D’ailleurs, la vision de François Lamontagne qui vise à atteindre une société plus durable repose sur la participation de tous à la production de nourriture. Pour commencer, que chacun cultive une partie des aliments qu’il consomme serait un bon pas. Dans ce sens, il conseille pour demain de remplacer nos beaux gazons verts qui bordent nos maisons et longent nos routes par des plans de tomates, de kale, de choux, et autres. C’est ainsi que l’on changera, en partie, le système agroalimentaire. Par extension, ce changement aura pour conséquence la réduction du transport de marchandises pour acheminer les aliments entre leurs lieux de production et leurs lieux de consommation. Ainsi, c’est une mobilité durable qui se dessine par cette transition du système agroalimentaire.
Le poids de l’alimentation
François m’emmena ensuite à la dernière parcelle de terrain, au plus profond de la ferme. Tout en poursuivant notre conversation, il s’affairait avec Maria, bénévole retraitée, à planter différentes sortes de courges pour une récolte en octobre. On en vient à discuter des bienfaits écologiques d’une réduction de consommation de viande. La question de l’alimentation reste primordiale ! Au lieu de trouver des solutions compliquées pour réduire le besoin de mobilité, pourquoi ne pas avoir un impact en modifiant simplement son régime alimentaire.
Au-delà d’être guidé par une consommation davantage locale, pourrais-je diminuer mon empreinte carbone par une modification de mon régime alimentaire? C’est la question que je me pose et dont Weber et Matthews de l’Université Carnegie Mellon ont trouvé des éléments de réponse. Entre autres, ils ont cherché à évaluer l’impact d’un remplacement de la consommation de viande rouge et de produits laitiers pour d’autres aliments sur la quantité de C02-eq émis. L’équivalent CO2 (CO2-eq) désigne le potentiel de réchauffement global (PRG) d’un gaz à effet de serre (GES), calculé par équivalence avec une quantité de CO2 qui aurait le même PRG. Par exemple, si on émet 1kg de méthane dans l’atmosphère, on produira le même effet, sur un siècle, que si on avait émis 23kg de dioxyde de carbone (CO2).
Pour revenir à l’étude, ils ont démontré qu’en remplaçant sa consommation de viande rouge de 21 à 24% par du poulet, poisson, ou autres régimes végétariens sans lactose, on réduirait le niveau d’émission de GES à un niveau similaire à celui d’un régime inchangé, mais composé seulement de produits locaux. Cela représenterait, dans les conditions de l’étude, une réduction d’émission de gaz à effet de serre de près de 0,36 tonnes par foyer et par an. En d’autres mots, cela équivaut à l’émission associée à un passager en avion en seconde classe pour un aller-retour Montréal -Tampa en Floride. Par cette étude, il faut retenir l’importance de notre alimentation sur notre empreinte carbone, et par extension, sur notre environnement. Le graphique ci-dessous présente l’empreinte carbone en fonction du produit consommé. En haut, les produits issus de l’élevage de ruminants sont intensifs en carbone (entre 8-20 kg de CO2-éq émis par kilo). En bas, les végétaux ont une empreinte écologique plus faible (Konieczny P. et al, 2013). Ainsi, chaque individu, en diminuant sa consommation de viande rouge et de produits laitiers pour d’autres sources, a le pouvoir de réduire facilement son empreinte carbone.
Quel régime alimentaire suivre pour être eco-friendly?
Si je comprends bien, tant que je mange des légumes et des fruits, mon empreinte carbone sera toujours plus basse ? Comme souligné dans l’étude de Peter Scarborough de l’Université d’Oxford et consorts en 2014, la majorité des études suggèrent que la réduction de la consommation de produits d’origine animale réduirait les émissions de GES (Scarborough Peter, 2014). Peter Scarborough en 2014 conclut d’ailleurs qu’il y a une corrélation positive entre les émissions de GES et la consommation de produits carnés pour un régime standard de 2,000Kcal. En d’autres mots, en réduisant sa consommation de viande, on réduit son empreinte carbone.
Et concernant mon empreinte écologique?
Par l’arrêt de ma consommation de viande, pourrais-je donc atteindre une empreinte écologique minimisée ? Ce n’est pas si simple que cela. En effet, il existe d’autres facteurs à regarder comme la gestion de l’eau, de l’énergie, ou de la qualité des sols. Par exemple, l’élevage sous forme de pâturage contribue au développement de prairies, qui absorbent le CO2. Ainsi, « 1 hectare de pâturage dédié à l’élevage contribue à réduire fortement le CO2 atmosphérique quand 1 hectare de culture contribue à l’augmenter légèrement » (Clément Fournier, 2016). D’ailleurs d’après Vincent Colomb, ingénieur évaluation environnementale des produits agricoles et alimentaires à l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (Ademe), «la tendance générale serait surtout de manger moins de viande, mais de meilleure qualité. Il ne faut pas faire la promotion du zéro viande, l’élevage peut maintenir les prairies et la biodiversité, et donc stocker du carbone. Mais pas l’élevage intensif. Il faut faire attention aux types d’élevages ».
Le bon sens pour mon régime alimentaire
Il apparait difficile de proposer un régime alimentaire type qui respecte les besoins nutritionnels tout en étant respectueux de l’environnement. « Selon la provenance des produits, la technique de culture ou l’élevage utilisé, la quantité consommée, on peut obtenir des résultats très différents » (Clément Fournier, 2016). Par exemple, à calories égales, un régime contenant un peu de viande de bonne qualité peut être moins nocif pour la planète qu’un régime végétarien riche en soja et en légumes ; inversement, un régime omnivore contenant beaucoup de boeuf élevé de façon industrielle aura des « conséquences beaucoup plus profondes sur l’environnement qu’un régime végétarien, bio et locavore ». (Clément Fournier, 2016). C’est donc le bon sens qui prédomine comme souligné dans les très bons articles de Clément Fournier en 2016 et 2018. Question alimentation, pour reprendre encore les mots de Clément Fournier, il faut « consommer de tout, avec modération, et dans le respect des spécificités éco-systémiques locales ».
Mobilité durable et alimentation
La question de l’alimentation est importante à soulever car c’est elle qui dicte notre consommation et les besoins associés en mobilité. Il faut bien aller chercher, plus ou moins loin, tout aliment que l’on mange, n’est-ce pas ? Concernant la mobilité durable, par ces études, ce qui est intéressant de soulever est le poids relatif du transport dans l’empreinte carbone en fonction du produit. En effet, il faut souligner que bien que l’étude de Weber et Matthews démontre les bienfaits du changement de régime alimentaire relativement à un changement vers des produits locaux, elle montre aussi l’importance du transport dans le système agroalimentaire. En effet, les deux chercheurs estiment même que le transport d’aliments compte pour 50% des émissions totales de gaz à effet de serre pour les fruits et les légumes, mais seulement 10% pour les viandes rouges (Matthews, 2008). Logiquement, associer réduction de consommation de viande rouge et consommation locale de produits végétariens serait un équilibre souhaitable afin de diminuer l’empreinte carbone par citoyen.
Sur les coups de 14h00, Carmen arriva enfin. La question du moment tournait autour des courges ? Quels types choisir ? Il y a la spaghetti que l’on peut faire style lasagne ou même sauté avec un peu de sirop d’érable. Ou alors, la butternut ! Ou bien, la ‘Pink Jumbo Banana’ pour faire des gnocchis orangés. Et que penser de ‘La Marina di Chioggia’ ? Carmen et Maria ont l’air d’aimer les courges spaghetti ! Il faut trouver désormais l’emplacement pour les planter. Alors que la discussion redoublait entre les trois travailleurs du jour, je regardai ma montre. Il était temps de partir vers Standford East afin de rencontrer Claire et Nasser, deux fermiers bio. Je fis mes adieux. Carmen sortit de terre quatre radis, qu’elle rinça et me tendit. Voilà un bon casse-croûte pour la route ! En quittant cette ferme, je repensais à ce que je venais d’apprendre. Le besoin d’éduquer les gens à l’agriculture. L’importance de l’alimentation pour atteindre une empreinte carbone acceptable. Enfin, le poids relatif du transport en fonction de la nature du produit. Concernant la mobilité durable, un effort doit être donc fait pour produire davantage localement les fruits et légumes pour réduire le besoin de transport. La question est donc le type de transport utilisé jusqu’à l’assiette. Je m’en vais aux jardins d’Arlington afin de répondre à cette dernière question.
Remerciements
Je remercie François Lamontagne de m’avoir fait découvrir la Ferme Heritage Miner. Je remercie les bénévoles de m’avoir accueilli. Je remercie Marie Alliman et Ginette Riopelle pour leurs critiques utiles et leur aide. Je remercie Cécile Paulin pour la relecture.
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Bibliographie :
- Annika Carlsson-Kanyama, M. P. (2002, October 24). Food and life cycle energy inputs: consequences of diet and ways to increase efficiency. (E. S. B.V, Éd.) Ecological Economics , 44, pp. 293-307.
- Batal, J.-C. M. (2016). La consommation d’aliments transformés et la qualité de l’alimentation au Québec. Université de Montréal, Rapport soumis au Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS). Montréal: TRANSNUT.
- Fournier, C. (2016, Mai 19). Végétarien, omnivore, bio, locavore : l’impact environnemental de notre alimentation décrypté. Consulté le 07 31, 2018, sur E-RSE La plateforme de l’engagement RSE et développement durable: https://e-rse.net/regime-alimentaire-ecologique-vegetarien-omnivore-19772/#gs.J1pyYwg
- Fournier, C. (2018, 07 10). Le régime végan n’est pas le plus écologique, selon les scientifiques. Consulté le 07 31, 2018, sur E-RSE La plateforme de l’engagement RSE et développment durable: https://e-rse.net/regime-vegan-est-pas-plus-ecologique-270644/#gs.tNc27yM
- Heller, M. (2013). Food Product Environmental Footprint Literature Summary: Food Transportation. Center for Sustainable Systems, University of Michigan . USA: State of Oregon – Department of Environmental Quality.
- Matthews, C. W. (2008, 04 16). Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States. (A. C. Society, Éd.) ENVIRONMENTAL SCIENCE & TECHNOLOGY, 42(10), pp. 3508–3513.
- Konieczny P., Dobrucka R., Mroczek E., 2013, Using carbon footprint to evaluate environmental issues of food transportation. LogForum LogForum 9 (1), 3-10. From : http://www.logforum.net/vol9/issue1/no1
- Le Club des Bio-Economistes (2012) ; ‘Les «triples A» de la bio-économie : efficacité, sobriété et diversité de la croissance verte’; Ouvrage coordonné par Claude Roy ; préface de Jacques Brulhet ; ISBN 9782296997394 ; Paris : Harmattan, 2012.
- Scarborough Peter, P. N. (2014, June 11). Dietary greenhouse gas emissions of meat-eaters, fish-eaters, vegetarians and vegans in the UK. (Springer, Éd.) Climatic Change (2014), 179-192.
- Vieux F, Soler L-G, Touazi D, Darmon N (2013) High nutritional quality is not associated with low greenhouse gas emissions in self-selected diets of French adults. Am J Clin Nutr 97:569–583
À propos de l’auteur: Hugo Poitout est étudiant en Master en Economie et Administration des Affaires – Environnement, Energie, et Ressources Naturelles - à la Norwegian School of Economics, il s’intéresse de près aux sciences de l’environnement. Sa Devise : Le savoir est genèse de l’action.