Infrastructures routières durables : peut-on construire autrement?

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Par Valérie Ouellet



Mots-clés : bitume végétal, développement durable, infrastructures routières, ministère des Transports, échangeur Turcot.

Le ministère des Transports du Québec (MTQ) n’exige pas des entrepreneurs privés en infrastructures routières qu’ils utilisent des matériaux plus écologiques, comme le bitume végétal. Trois ans après l’adoption de la Loi sur le développement durable, le Québec rebâtit toujours ses routes selon des techniques traditionnelles et polluantes.


Alors que les critères écologiques sont de plus en plus sévères en construction de bâtiments, notamment avec les certifications LEED et ISO 14 000, tout reste à définir dans le cas des infrastructures routières. Au MTQ, aucune nouvelle norme de construction ne viendra modifier les règles d’ingénierie des grands chantiers de la province, comme l’échangeur Turcot, l’autoroute 30, le prolongement de l’autoroute 25 et le pont Galipeault.


Les ingénieurs du gouvernement préfèrent le recyclage et la réutilisation des matériaux à l’intégration de technologies vertes et prometteuses. « Il n’existe présentement aucune structure de référence ou encore de critères reconnus qui servent à définir ce qu’est une infrastructure durable », confirme David Hubble, gestionnaire au Centre de recherche sur les infrastructures durables, un laboratoire mis sur pied par le gouvernement canadien.


Pourtant, les connaissances scientifiques pour intégrer des technologies écologiques au réseau routier sont bel et bien existantes. « Pour construire vert, il faut d’abord allonger la durée de vie de nos ponts, routes et autres ouvrages d’art. Il doit y avoir une volonté réelle de la part des compagnies de prolonger la vie des matériaux existants. Si l’on doit reconstruire l’infrastructure à tous les dix ans, ce n’est pas viable », croit Clément Demers, professeur au département d’architecture de l’Université de Montréal.

Coupe d’une route

Source : Le Dictionnaire Visuel


Lorsqu’on lui demande s’il connaît une infrastructure routière durable, Clément Demers cite le Viaduc de Millau, un immense pont à péage d’une longueur de 2 500 mètres reliant Paris à Perpignan et surnommé le Pont du Gard du 21e siècle. « Contrairement à ce qui se passe au Québec, une grande importance a été donnée à l’étape de la conception pour ce viaduc. Non seulement cette structure répond à un besoin, mais c’est un ouvrage d’art magnifique. Le viaduc est devenu une attraction touristique, les gens viennent de partout pour l’admirer et y circuler.»


Le développement durable prend sa place dans le milieu de la construction, affirme pour sa part le vice-président en développement durable chez la firme d’ingénieur-conseil Roche, Gaston Déry. « Avant, les trois questions qu’on devait se poser sur un chantier étaient : est-ce solide? Est-ce qu’on respecte les échéances et le budget? À présent, on se demande si la structure va durer, si elle est esthétique, quel est son cycle de vie. »

Le bitume végétal : la route renouvelable


La solution pour concilier développement durable et infrastructure routière? Construire nos routes, viaducs et ponts à partir de matériaux renouvelables. C’est ce que proposait en 2002 le Campus scientifique et technique Colas avec le Végécol, un bitume végétal conçu à base de résine et d’huile végétale sans dérivé pétrochimique.


Les citoyens de la ville de Dorval marcheront sur ce bitume écologique grâce à un projet-pilote mené cet été au centre-ville de la municipalité. « Près de 500 mètres carrés de traverses piétonnières seront pavés de bitume végétal», explique Pierre Berthé, coordonnateur marketing pour Sintra, distributeur du bitume végétal au Canada, et compagnie à l’origine du projet.


Ce bitume écologique est une matière renouvelable, contrairement au mélange de bitume traditionnel fait à base de pétrole et de granulats. L’usage d’un bitume sans pétrole permet non seulement de s’affranchir des compagnies pétrolières, mais aussi d’éliminer les émissions toxiques sur les chantiers et d’éviter de contaminer l’eau de ruissellement. Le Végécol présenterait les mêmes qualités et avantages que le bitume traditionnel et pourrait devenir un substitut au bitume dans de nombreuses applications, explique la firme CST Colas sur son site Internet.


Mieux encore, en plus d’être écologique, le bitume végétal peut être littéralement… vert! « Une fois coulé, le revêtement prend la couleur des granulats qui le composent. Selon la région où il est appliqué, le bitume peut être ocre, rouge ou même vert », complète Pierre Berthé.


Toutefois, le bitume végétal ne pavera pas les routes du Québec de sitôt. Son caractère expérimental et son prix élevé sont loin de plaire à la plupart des constructeurs d’infrastructures routières, se désole Pierre Berthé. À preuve, paver les 7,7 kilomètres du nouvel échangeur Turcot de Végécol serait aussi cher que d’y poser du pavé uni!

Le MTQ sort ses bacs bleus


Au MTQ, on privilégie le recyclage et la réutilisation des matériaux de construction, un procédé utilisé depuis 1998 sur les chantiers. « Jusqu’à 20 % des vieux pavages d’asphalte entrent dans la fabrication des nouvelles routes », précise Michel Paradis, ingénieur civil responsable de l’enrobage au MTQ.


De manière générale, les matériaux de construction conventionnels comme l’acier, le béton et l’asphalte sont recyclables et utilisent des éléments recyclés dans leur fabrication. Par exemple, l’acier de structure est remodelé à partir d’aciers recyclés. Le béton concassé peut être utilisé pour des remblais. « Une fois décontaminés, les matériaux de construction qu’on veut remplacer sont réutilisés ou encore concassés et mêlés au nouveau mélange d’asphalte, s’il s’agit de ciment, de béton ou de bitume », ajoute le professeur à l’École Polytechnique de Montréal, Bruno Massicotte.


D’autres matériaux sont aussi récupérés dans les chantiers québécois et intégrés aux nouvelles constructions : les scories, retailles de métallurgie, remplacent la pierre dans de nombreux mélanges et les bardeaux d’asphalte jetés par certaines usines sont concassés puis mêlés au bitume.


La technique de l’enrobé tiède est également une pratique favorisée par le MTQ. « En diminuant la température de coulage de l’asphalte de 160 à 130 degrés, cela réduit la consommation de carburant et les émissions de gaz lorsque le mélange de granulats et de bitume est répandu sur la route », explique Michel Paradis.

Une goutte dans l’océan


Toutefois, la part de matériaux de construction recyclés ou réutilisés dans les chantiers routiers demeure infime. Depuis dix ans, le MTQ estime avoir construit près de 400 kilomètres de fondations et d’accotements à l’aide de matériaux recyclés, soit l’équivalent de la distance entre Québec et Matane. Aujourd’hui, environ 15 % de la quantité d’asphalte produite annuellement serait constituée en partie de matières recyclées, soit l’équivalent de 90 000 tonnes. Quant à l’enrobage tiède, on en a étendu sur seulement 11 kilomètres de chaussées en 2008.

Le réseau routier au Québec : longueur des routes automobiles

 Autoroutes 5 000 km
 Routes nationales 9 000 km
 Routes régionales 5 700 km
Total    30 200 km


Le réseau cyclable au Québec : longueur des voies cyclables

 Chaussées désignées 1 532 km
 Accotements asphaltés 1 500 km
 Pistes cyclables 3 024 km
Sous-total    3 500 km
Total*    7 100 km


* incluant la route verte, qui s’étend sur plus de 3 600 km (donnée statistique MTQ).

(Source : ministère du Transport du Québec)


Cette année, le gouvernement provincial injectera près de 4 milliards de dollars dans le réseau routier québécois. Difficile d’évaluer quelle part de cette enveloppe intégrera les technologies écologiques, le MTQ renvoyant la question aux autorités municipales dans ce dossier épineux.


Par contre, les écologistes en ont une idée. « Il est tout à fait possible pour un client de fixer et d’exiger des objectifs précis en terme de développement durable aux compagnies de construction. Le gouvernement pourrait imposer un pourcentage de réutilisation des matériaux de construction ou encore poser des critères quant au chantier », réclame André Porlier.


Selon le directeur général du Conseil régional de l’environnement de Montréal, pour construire des infrastructures routières vertes, le MTQ doit d’abord revoir ses choix d’investissements. Et préférer les transports collectifs aux transports traditionnels. À son avis, le verdissement des ruelles et des stationnements par la plantation d’arbres et d’arbustes, ou l’aménagement de voies réservées aux transports en commun, par tramway par exemple,  sont des projets qui respectent l’environnement et les principes de développement durable, contrairement à la reconstruction de l’échangeur Turcot.  « Un projet jugé réactionnaire par plusieurs intervenants tant sociaux, politiques que professionnels ». insiste-t-il.


Soucieux de doter la société québécoise  d’infrastructures moins polluantes à construire et à entretenir, André Porlier a déposé une proposition claire qu’il réitère. « Pourquoi rajouter 20 000 voitures sur notre route quand on pourrait investir dans nos transports en commun ou étendre notre réseau cyclable? »


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 Lexique l

Asphalte

Mélange de bitume et de granulats. Le mélange ainsi formé est porté à très haute température (fusion), puis étendu sur les fondations routières en un procédé appelé enrobage. Son épaisseur varie selon la surface où il est étendu.


Bitume

Visqueux et noir, le bitume est l’élément liant qui permet à l’asphalte de se solidifier pour former un pavage. Il est un sous-produit du pétrole. Son coût varie également en fonction des prix de l’essence.

 
Bitume végétal

Le bitume végétal est composé de résine et d’huile végétale et sert d’alternative au bitume conventionnel. Mélangé au granulat, il sert à l’enrobage des routes. Il est de couleur miel ou sirop d’érable. Produit mis au point et breveté par le campus scientifique et technique Colas et commercialisé en France sous le nom Végécol.


Liens utiles :
CST Colas : le Végécol, un substitut vert au bitume (Caradisiac)
Un bitume écologique, végétal (Echo Nature)

Cycle de vie

Le cycle de vie d’un ouvrage regroupe toutes les différentes parties de sa vie utile. Le cycle de vie d’un ouvrage comporte 5 phases : conception, construction, exploitation (utilisation), rénovation, démantèlement ou déconstruction. Le cycle de vie est utilisé par les ingénieurs et urbanistes pour calculer la durée de vie et l’entretien d’une infrastructure.

Lien utile :
Comment se forment les nids-de-poule?


Eau de ruissellement

Désigne l’eau de pluie qui s’écoule à la surface du sol.


Enrobage

Procédé industriel consistant à appliquer une couche de liquide ou de poudre sur la surface d’un produit de base de forme quelconque afin de lui conférer des propriétés particulières. L’enrobage est notamment utilisé dans les secteurs métallurgique, chimique, parachimique, pharmaceutique et agroalimentaire.


Enrobé tiède

Technique d’enrobage novatrice consistant à diminuer, à l’aide d’additifs, la température à laquelle l’asphalte ou le revêtement (le mélange de bitume et de granulats) peut être répandu sur une surface.     


Granulats

Fragments de roche de petite taille (moins de 125 mm). Mêlés au bitume, les granulats permettent de former un mélange appelé asphalte que l’on coule sur la surface des ouvrages d’art, viaducs, routes et ponts.


Ouvrage d’art

Construction de grande envergure (pont, viaduc, tunnel, écluse, etc) qui implique la mise en place d’une voie de communication (route, voie ferrée, canal). De tels ouvrages sont qualifiés « d’art » parce que leur conception et leur réalisation font intervenir des connaissances où l’ingéniosité du créateur est aussi important que la théorie.


Quelques photos d’ouvrages d’art célèbres :
Viaduc de Millau (France)
Pont du Gard (France)
Viaduc de Garabit (France)

Pavage

Mélange cimenté entre la roche, la pierre et le bitume. Selon les normes en vigueur, le pavage est généralement constitué de 95 % de roches et de pierres et de 5 % de bitume.


Scorie (d’acier)

Résidus ou retailles provenant de la soudure de l’acier. Les scories d’acier prennent la forme de petites pierres poreuses.  


Valorisation

Terme générique recouvrant l’ensemble des techniques qui permettent le réemploi, la réutilisation, le recyclage ou la régénération des déchets. (Source : Recyc-Québec)

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