La notion de Justice Climatique et les négociations internationales sur le climat

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Par Martine Duquette, candidate à la maîtrise en sciences de l’environnement, UQAM                                                                                                                              


Mots-clés : 17e Conférence des Parties (17e CdP), Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), Durban en Afrique du Sud, équité, justice environnementale,justice climatique.

La 17e Conférence des Parties (17e CdP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’ouvrira dans moins d’une semaine à Durban en Afrique du Sud. Ce pays, profondément divisé pendant plus de 40 ans par l’apartheid, cherchera-t-il à mettre l’accent sur les notions d’équité et de justice qui le caractérisent aujourd’hui?

 

De la justice environnementale à la justice climatique

Le concept de justice environnementale s’est répandu dans les discours du début des années 1980 aux États-Unis. À cette époque, les mouvements de droits civiques réclamant la fin de la discrimination raciale attiraient l’attention sur les inégalités de qualité de vie. Les populations les plus défavorisées, souvent afro-américaines, se plaignaient de devoir subir les effets néfastes des industries sur leur environnement alors que les quartiers plus huppés en étaient épargnés.

Avec la popularisation de la notion de « développement durable » à l’échelle mondiale, la justice environnementale devint non seulement horizontale – entre les peuples – mais également verticale – entre les générations. Cette logique s’est vue renforcée avec l’adoption de la CCNUCC et les travaux du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Ce dernier a permis de confirmer l’existence des changements climatiques et leurs impacts, qui s’aggraveront au courant du siècle. Alors que la notion de justice environnementale référait à des mécanismes locaux de dégradation du milieu de vie, où le « coupable », soit l’industrie ou le gouvernement, était plus facilement identifiable, la justice climatique intervient à un tout autre niveau. Les populations qui subiront les effets néfastes des changements climatiques sont celles qui ont le moins contribué au phénomène. De plus, même si on connaît les responsables historiques (les États parties à l’Annexe 1), ces derniers peuvent plus facilement se relancer la balle du « dédommagement ».

 

Une justice à deux niveaux

La notion de justice peut se décliner en deux niveaux : la justice distributive et la justice procédurale. Neil Adger, chercheur réputé travaillant sur les questions d’adaptation aux changements climatiques, explique que la première réfère à la  « distribution des bénéfices et des effets divers des changements climatiques et de l’adaptation » et la seconde au « degré de reconnaissance et de participation »[1]. Les deux niveaux sont tout aussi importants. La justice distributive devrait permettre à tous les États et les populations au sein de ces États de subir une part égale des impacts des changements climatiques. Mais cette dernière ne peut se réaliser que s’il y a justice procédurale, car comment les résultats peuvent-ils être équitables si toutes les parties prenantes ne sont pas représentées également?

 

La justice dans la CCNUCC

La CCNUCC aborde, au sein même du texte de la Convention, la notion de justice. À l’article 3, on identifie le principe de « responsabilités communes mais différenciées », « sur la base de l’équité ». On reconnaît ainsi que certains États ont davantage contribué à émettre des gaz à effet de serre et qu’en conséquence, ces derniers doivent mettre plus d’efforts dans leur réduction. Est également reconnue l’importance d’atténuer les impacts des changements climatiques sur les populations les plus vulnérables. Toutes les bases de la justice distributive sont ainsi contenues dans la Convention. Celles de la justice procédurale également, car chaque partie à la Convention a une voix de même importance.

On peut tout de même se demander dans quelle mesure ces principes sont réellement mis en application. La 15e CdP à Copenhague et la 16e CdP à Cancun ont permis d’établir à deux degrés Celsius d’augmentation des températures globales le seuil au-delà duquel des effets néfastes se feront sentir sur les États les plus vulnérables. Cependant, il a été reconnu à Cancun que les engagements actuels des États ne suffiraient pas à atteindre cet objectif. Nous savons donc que l’augmentation des températures mettra en péril les populations des pays les plus vulnérables, dont certains sont même menacés de voir leur territoire rayé de la carte par une augmentation du niveau de la mer.

 

L’enjeu du genre

Il y a donc injustice distributive dans les conditions actuelles, non seulement entre les États, mais également au sein de ces derniers. La question du genre (égalité homme-femme) est de plus en plus prise en compte par les parties prenantes. On reconnaît aujourd’hui que les femmes sont souvent plus vulnérables que les hommes, particulièrement dans les pays en développement, de par leur rôle de pourvoyeuse de l’eau, des repas, des ressources en énergie, etc. Cependant, cela ne se traduit pas encore par des programmes spécifiques adressés aux femmes dans les fonds d’adaptation.

Finalement, il y a également injustice procédurale, à la fois dans la question du genre et de la représentation des États. Les femmes sont sous-représentées dans les différentes délégations assistant aux négociations. Il est ainsi difficile d’insister sur l’importance de prendre en compte la question du genre, lorsque personne n’est présent pour l’amener sur la table. De plus, les pays en développement et les pays les moins avancés n’ont pas les moyens ou les effectifs pour amener de grandes délégations à la CdP et ne peuvent ainsi assister à toutes les séances en parallèle, réduisant leur capacité d’intervention.

 

Espérer un après-Kyoto

Beaucoup de chemin reste donc à faire au sein de la CCNUCC, et les attentes de voir se concrétiser une entente ambitieuse en vue de l’après-Kyoto sont grandes. Dans une perspective de justice, la 17e CdP devra non seulement s’assurer d’un financement adéquat de l’adaptation et des mécanismes de développement propres, mais aussi de prendre des engagements pour maintenir la hausse des températures sous la barre des deux degrés.

Parce que pour les États les plus vulnérables, le financement à lui seul n’est pas une option. C’est ce qui a amené le représentant de l’archipel de Tuvalu, territoire menacé de disparition à moyen terme, à affirmer, à la 15e CdP, « notre avenir n’est pas à vendre ».



[1]
Adger, W. Neil, Jouni Paavola, Saleemul Huq et M. J. Mace, dir. 2006. Fairness in Adaptation to Climate Change. Cambrige : The MIT Press, 319 p.

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