Par Anny Schneider
Auteure et herboriste
Débuté sous nos cieux avec des pluies battantes et quelques tempêtes de vent, cet été nous offre une abondance de revirements en dents de scie : à l’occasion, nous vivons quelques bons coups de chaleur, mais aussi des évènements et des rencontres agréables qui alternent avec de moins bonnes nouvelles.
Voyons le bon côté des choses! Cet afflux d’eau en trombes abondantes a fait verdir les feuillages et grandir à merveille nombre de petits feuillus surgis de ma forêt voisine : bouleaux, frênes, tilleuls et sorbiers sont apparus par dizaines dans ma pelouse (très sauvage, bien entendu), comme par enchantement.
Combien d’entre eux survivront? Je ne le sais pas. Néanmoins, cette observation m’amène à m’étonner du fait que, vue leur croissance facile, ce type de feuillus ne soit pas plus disponible lors des distributions d’arbres par nos associations de bassins versants et autres ministères de l’environnement, lorsqu’il est question de reverdir les bandes riveraines.
Photo : Anny Schneider
Entre deux mégas averses, il y a eu quelques floraisons express! Hélas, je n’ai ni vu ni eu le temps de cueillir par temps assez sec les fleurs d’aubépine, ni la brunelle, ni même le tilleul… Quel dommage!
Je me suis toutefois rattrapée avec ces vigoureuses tard-venues, bien acclimatées à nos extrêmes : tussilages, mélilots, trèfles et sureaux.
Et que dire de notre précieuse fleur vedette, décrétée plante de l’année par la Guilde des herboristes du Québec : l’achillée millefeuille, plus aromatique, plus forte et lumineuse que jamais? Et la valériane, notre Valium naturel, la si calmante, charmante et odorante, si répandue cette année, surtout aux abords des villes dont les habitants auraient grand besoin, si seulement ils savaient…!
Photo : Anny Schneider
Les petits fruits des rosacées aussi seront charnus et nombreux, comme le promettent déjà les framboises, en premier les noires, autant que les roses, et l’abondance des mûres encore vertes.
Déçue et satisfaite
Comme la vie n’est pas un jardin de roses, où plutôt si, avec leurs épines, mes irritants de l’été sont en lien avec mes deux métiers principaux : l’auteure et l’herboriste.
Ayant publié il y a un peu plus d’un an, notre superbe (sans fausse modestie) ouvrage commun intitulé Ces fleurs qui soignent, co-écrit avec mon mentor et formidable herboriste Danièle Laberge, j’ai eu la terrible déception de voir qu’il s’était très peu vendu dans cette province.
C’est pourtant un incomparable hommage aux fleurs présentées sous toutes leurs coutures dans un portrait unique et des plus fidèles à leur magnifique diversité. Tout y est : anthropologie, botanique, biochimie, herboristerie, horticulture, littérature, psychothérapie… Immense déception, considérant les trois ans, minimum, d’efforts qu’on y a mis. Après un quatrième livre publié à ce jour, je peux affirmer qu’il est presque masochiste d’écrire des livres pratiques dans ce pays, car jamais subventionné dans cette province peuplée de trop peu d’habitants et encore moins de lecteurs. Pire encore, à une époque où chacun rétentionne ses avoirs, pour s’en tenir à l’immédiat nécessaire et où l’on nous insuffle jour après jour dans les médias, l’idée du manque (sauf sur GaïaPresse bien sûr!), alors que nous vivons presque tous dans l’encombrement de matière, souvent inutile et polluante d’ailleurs…
L’autre irritant de cette saison est sans conteste le bill C 51, une nouvelle trouvaille de Santé Canada, qui zigonne et tergiverse depuis plus de dix ans, à concocter une loi aussi complexe qu’hermétique sur la réglementation de produits de santé naturels. Tapez www.stopc51.com et vous trouverez tous les détails et la pétition reliée à ce sujet qui soulève la question de notre liberté de choix thérapeutique que les compagnies pharmaceutiques rechignent à nous laisser, invoquant la sécurité. Parce que trop payante, la maladie… et elles veulent à tout prix contrôler l’usage que nous faisons des remèdes naturels, pourtant gratuits et en usage depuis des millénaires pour notre plus grand bien!
Tout de même, au niveau local, pour moi et mes concitoyens, il y a eu du positif côté action écosociale : dans ma belle municipalité de Shefford, avec quelques concitoyens éveillés, nous avons finalisé et présenté notre code d’éthique du citoyen responsable, bonne initiative à imiter, d’ailleurs annoncée sur Gaïapresse le 18 juin passé (voir texte détaillé sur cantondeshefford.com).
Belle surprise, à la suite de cette implication citoyenne, j’ai reçu de la part de la municipalité une demande d’inventaire de la flore médicinale de notre parc écologique. Je ferai cet inventaire avec bonheur, car je sais qu’il restera dans les annales et qu’il servira de document éducatif pour les citoyens et leurs enfants. Je le vis comme une juste récompense pour mes engagements depuis trente ans !
Photo : Anny Schneider
Ateliers en nature
Comme à chaque été, je donne plusieurs ateliers d’identification en nature dans plusieurs coins du Québec. Un des plus mémorables fut celui de TerraVie (www.terravie.org), une éco-communauté située à Weir, au Nord de Morin Heights. Dans ce projet fascinant, plusieurs visionnaires, regroupés autour de Nicole Fafard, ont acquis ensemble une forêt ancienne, zébrée d’une rivière superbe, et ont aussi réussi à décréter une forêt protégée une zone humide, un lac et une forêt centenaire pour la postérité.
Même si, la moitié du temps, nous avons dû nous réfugier à cause de la pluie, dans une authentique yourte mongole, ce fut un bonheur d’interpréter les plantes en compagnie d’une trentaine de personnes, dont d’adorables garçonnets, tous sincèrement fascinés par les plantes.
Mon autre coup de coeur va à Monsieur Zayat de Bromont, grand aromatologue et truculent conteur philosophe reconnu internationalement, et à la dizaine de sourcières en herbes, qui m’ont accompagnée dans la découverte d’une superbe friche fleurie qui en plein été recèle, sur à peine quarante mètres carrés, au moins quarante sortes de plantes guérissantes. Comme la nature est luxuriante quand on la laisse pousser en paix!
Découvertes enchanteresses
En juin, avant tout le monde, pressentant le programme chargé d’activités à venir, je me suis offert une petite virée-vacances avec mon ami Luc Fournier, tourneur sur bois et auteur. Ce fut une occasion de découvertes enchanteresses où la beauté des êtres s’est associée à celle de la nature !
Voyez vous-mêmes tout ce qu’on peut vivre en 8 jours de voyage découverte. À Trois-Pistoles, outre le grand fleuve, nous avons fait deux belles rencontres : d’une part, nous avons eu le plaisir de causer et de rigoler avec la sympathique Denise Guénette qui répétait son One Woman Show au Théâtre de VLB. Ensuite dans un café, nous avons déjeuné avec Maurice, ex–prof d’il y a trente ans de mon ami Luc (!) et un des truculents chroniqueurs du Mouton Noir qui venait de publier un superbe numéro spécial sur la forêt.
Le lendemain nous avons visité, tout près d’un méga champs d’éoliennes, une communauté de jeunes colons rigolos du XXIe siècle, nichés dans l’arrière-pays de la péninsule Gaspésienne, où plusieurs petites familles vivent en presque autarcie et font même rouler leurs véhicules à l’huile usée de patates frites. Nous avons particulièrement apprécié la rencontre d’un autre collègue écrivain, l’écoforestier Bob Eichenberger de Maria, candidat local des Verts, qui revitalise une forêt d’arbres clonés, sûrement un paradis forestier-modèle dans quelques années.
Photos : Anny Schneider
Nous avons baigné avec délice notre regard et nos pieds fatigués, dans moult eaux différentes : le fleuve Saint-Laurent à Ste Flavie, les rivières Cascapédia et Bonaventure, le lac Brillant et bien sûr, dans la belle mer Atlantique, encore glacée mais toujours magnifique, de Bonaventure à New Richmond.
Que dire de ces autres vedettes de Maria, le truculent John Forest et sa douce Noï, célèbres arboriculteurs, jardiniers et apiculteurs hydromeliers bio locaux! Leur domaine, leurs beaux enfants et leurs bons produits parlent pour eux!
Photo : Luc Fournier
J’ai aussi eu l’honneur d’herboriser dans les marais salants avec Rose Hélène Tremblay, une autre herboriste écrivaine, et avec qui j’ai appris l’existence, ô merveille! de plusieurs plantes nouvelles aux noms et à l’aspect encore inconnu, dans ces très rares écosystèmes à préserver absolument.
À New Carlisle, nous avons reçu un superbe accueil de ma copine Geneviève St Hilaire, ardente activiste écologiste, jadis de Granby, maintenant heureuse exilée là-bas mais toujours très active politiquement, figure de proue charismatique et méthodique. Geneviève a contribué à faire fermer le dépotoir Belledune et à sauver le petit train local!
Sur la route du retour, en bonne « gourmette » à jamais Française, je me suis délectée d’un fameux repas gastronomique à une des meilleures tables du Bic, Chez St Pierre, où les produits du terroir et les plantes sauvages sont à l’honneur, grâce à une cueilleuse étonnante et à l’ouverture d’esprit des chefs.
Étrangement, un de mes plus grands moments de réel bonheur fut une danse spontanée dans la rosée matinale, pieds nus en jaquette, dans une prairie fleurie au bord de la mer, avec Gabriel, un adorable petit bonhomme de cinq ans, qui a ranimé en quelques bonds, mon cœur d’enfant.
Ce fut un réel plaisir de me remémorer mon début d’été mouvementé d’herboriste-écologiste, en pensées, en photos et par écrit, plaisir je le souhaite, partagé?
Bonne suite de belle saison à vous tous, à la mesure de vos aspirations : vertes, conviviales et fleuries, je l’espère!
Auteure et herboriste
Anny est née et a été élevée dans un village forestier d’Alsace (France) et s’est installée au Québec, dans les Cantons de l’Est, il y a déjà trente ans. Elle pratique plusieurs métiers conjugués : auteure, chroniqueuse en santé naturelle et pour les magazines, les radios et télévision. Elle est reconnue comme experte dans l’identification de la flore médicinale sauvage partout au Québec, qu’elle parcourt tous les étés depuis une vingtaine d’années, en tant que spécialiste et passionnée de la nature. Anny est aussi une polémiste très engagée pour l’environnement et la justice sociale, fantaisiste et poétesse à ses heures.