Par Ugo Lapointe
B.Sc. génie géologique, Candidat à la maîtrise, Institut des sciences de l’environnement (UQAM)
Membre et porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine!
Au-delà du discours d’intentions, qu’est-ce que le Plan Nord amène réellement de nouveau dans la façon d’entrevoir le développement du nord? Quels enjeux concrets soulève-t-il sur les plans social et environnemental? Quel est d’ailleurs le bilan des Libéraux à cet égard depuis leurs élections en 2003? Et surtout, peu importe les partis élus, comment assurer un développement véritablement « viable, durable et équitable » du Nord québécois? Prendre acte du passé et régler le passif environnemental Bâtir un nouvel espace de développement durable passe avant tout par la reconnaissance et la réparation des torts environnementaux déjà occasionnés. La région de Matagami-Chibougamau-Mistissini compte, par exemple, des dizaines de sites d’accumulation de résidus miniers dont la restauration est plus que nécessaire pour éviter la pollution des cours d’eau et des écosystèmes avoisinants. Plus au nord, au Nunavik, un groupe de chercheurs identifiait en 2005 près de 300 sites abandonnés contenant potentiellement de l’équipement, des abris, des véhicules et autres déchets (3). Le Nord-du-Québec connaît d’ailleurs un boom minier sans précédent depuis quelques années. De 2002 à 2007, le nombre de projets d’exploration minière y a pratiquement triplé, passant de quelque 90 à plus de 250 projets (4). Forages, décapages, équipements lourds, chemins de pénétration, levés aéroportés, campements, etc. : quels sont les impacts cumulatifs associés à l’accroissement de ces activités sur le territoire? Malheureusement, à défaut d’études sur le sujet, la question demeure toujours sans réponse. Choisir la voie du « développement durable nordique » implique également de prendre acte des impacts occasionnés par les coupes forestières excessives en forêt boréale, de même que par le harnachement et/ou l’ennoiement de près du tiers des grandes rivières du Nord québécois (Eastmain, Rupert, La Grande Rivière, Caniapiscau, Koksoak, etc.). Le Plan Nord actuel des Libéraux ne reconnaît pas clairement le legs environnemental et les enseignements tirés de l’histoire récente de cette région. Bâtir sur de nouvelles bases? Tel que proposé jusqu’à maintenant, le Plan Nord de Jean Charest s’aligne prioritairement sur une vision classique de l’économie : accélération de l’extraction des ressources d’une région éloignée pour le principal bénéfice des populations consommatrices du sud. Autrement dit, plus de routes, plus d’énergie et plus de ressources consommées pour la conquête économique d’un « nouveau » territoire, jusqu’ici encore relativement peu exploité. Difficile d’envisager comment cette vision puisse être véritablement viable, durable et équitable dans un contexte de dégradation régionale et planétaire de l’environnement. Conservation de la biodiversité et partage du territoire Les objectifs de conservation du Plan Nord n’ont rien de rassurant non plus. Outre l’engagement ferme de protéger 12 % du territoire selon des standards internationaux – un objectif louable et également partagé par le Parti Québécois – le Plan Nord n’indique aucunement comment il compte encadrer les 38 % du territoire destinés exclusivement aux activités « récréotouristiques » – activités dont la définition même demeure ambiguë dans le Plan Nord. Bien que des activités telles que la chasse, la pêche et le tourisme puissent sembler anodines par rapport aux activités industrielles, leurs impacts cumulatifs peuvent être tout aussi dévastateurs pour les écosystèmes et les populations locales si elles ne sont pas bien encadrées (5). Le Plan Nord n’indique pas non plus pour le moment comment se conjugueront les priorités entre la création d’aires protégées, les activités récréotouristiques et le développement de projets industriels. Le premier ministre Charest protègera-t-il, comme le vise son homologue ontarien, 50 % de chacune des zones écologiques d’importance, telles que la forêt boréale nordique, la taïga et la toundra, tous d’importants réservoirs de carbone contribuant à l’équilibre climatique mondial? Actuellement, l’objectif général de mettre 50 % du territoire « à l’abri du développement industriel » apparaît flou et pourrait s’avérer vide de sens, puisqu’on sait déjà qu’au moins 50 % dudit territoire présente un faible potentiel minier, énergétique et forestier. Enfin, contrairement au premier ministre ontarien, Jean Charest n’enjoint pas à ses objectifs de conservation celui de réformer les cadres législatifs désuets, telle la Loi sur les forêts et la puissante Loi sur les mines; des réformes pourtant essentielles dans l’optique d’un partage concerté et équilibré du territoire. Plus de transparence nécessaire Les Libéraux disent vouloir mettre en oeuvre leur Plan Nord « de manière concertée » (1). Cependant, l’information arrive au compte-gouttes et ni les groupes environnementaux, ni les associations industrielles, ni même les populations locales et les nations autochtones – pourtant les plus directement touchées par ce plan – n’ont été véritablement consultés jusqu’à maintenant. Contrairement au processus mis de l’avant en Ontario (6), aucune table de concertation multipartite n’a été annoncée dans le cadre de l’élaboration et la mise en oeuvre du Plan Nord. Ce dernier ne prévoit pas non plus de soutien aux collectivités – les nations autochtones en particulier – pour la mise sur pied de plans d’aménagements du territoire qui seraient à la fois conformes à leurs droits/intérêts et aux objectifs de préservation du patrimoine naturel. Prétendre à une vision durable du Nord québécois doit également passer par l’acquisition de nouvelles connaissances et par une compréhension rigoureuse du milieu, notamment selon les savoirs scientifiques et autochtones. Le Plan Nord ne prévoit toutefois que très peu de mesures en ce sens et aucun soutien à la recherche n’est prévu, par exemple, pour évaluer le potentiel d’absorption de gaz à effet de serre du territoire visé, ou pour mieux en caractériser sa biodiversité (7). Somme toute, il faut s’inquiéter des répercussions potentielles de l’actuel Plan Nord sur l’environnement et le milieu social. Plutôt que d’ancrer le Plan Nord dans la lignée des stratégies de développement qui datent d’une autre époque, les Libéraux sont invités à repenser et renouveler l’économie pour un Plan Nord véritablement viable, durable et équitable. Consulter de « Nation à Nation » les Autochtones affectés, de même que respecter l’ensemble des principes directeurs de la Loi sur le développement durable du Québec, que les Libéraux ont eux-mêmes adoptés en 2006, constitueraient « un minimum » avant d’aller plus loin avec le Plan Nord.
Par Ugo Lapointe
B.Sc. génie géologique, Candidat à la maîtrise, Institut des sciences de l’environnement (UQAM) Membre et porte-parole de la Coalition pour que le Québec ait meilleure mine!
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