Par Gilles L. Bourque
Coordonnateur général des Éditions vie économique (EVE)
Dans les années 1960, la révolution tranquille a été l’occasion d’une modernisation de l’État et des infrastructures socioéconomiques et réglementaires, ainsi que d’une prise en main des principaux leviers économiques, en particulier dans les secteurs de la finance et des ressources naturelles. Pourtant, le modèle québécois nous apparaît aujourd’hui inapte à répondre aux défis sociaux et environnementaux qui ébranlent la planète. Le Québec a besoin d’un New Deal : un programme ambitieux qui mobilisera les citoyens autour d’un projet de développement durable. Il doit intégrer une dimension négligée et trop longtemps marginalisée : la dimension environnementale. Les bienfaits de la révolution tranquille Il faut dire qu’en comparaison du reste du monde, où l’État providentialiste était depuis longtemps en place, la révolution tranquille a été particulièrement tardive au Québec. C’est probablement pour cette raison qu’a été créé un modèle de développement si original. La période qui a suivi a été marquée par une succession de crises et par une révolution technologique (les TIC) qui ont bouleversé la réalité socio-économique québécoise. Comme partout ailleurs, les institutions du modèle québécois ont été confrontées à de nouvelles problématiques et à de nouveaux enjeux. Pour y répondre, il s’est enrichi d’une dimension sociale innovante. Dans la foulée des politiques de développement de la main-d’œuvre, de développement régional et de développement industriel des années 1990, le modèle québécois s’est ajusté aux changements de valeurs et de pratiques qui ont traversé le monde occidental. C’est ainsi que sont apparus au Québec de nouveaux lieux de concertation réunissant des acteurs économiques, tant sur le plan territorial que sectoriel, qui ont stimulé la participation et l’innovation. Le modèle québécois issu de la révolution tranquille s’est profondément transformé. De l’État entrepreneur, on est passé à un État facilitateur qui a cherché à mettre en place les conditions pour la réalisation des stratégies gagnantes des acteurs économiques et sociaux. La performance du modèle québécois Jusqu’à récemment, le rôle de l’État québécois a été économiquement et socialement performant. Je m’appuie sur les recherches des professeurs Alain Guay et Nicolas Marceau, économistes à l’UQAM pour le démontrer. Selon eux, pendant les 20 dernières années, les principaux indicateurs économiques mesurés per capita montrent que le Québec a su réduire son écart avec la moyenne canadienne, dépassant même cette moyenne lorsqu’on exclut l’Alberta. Plusieurs facteurs expliquent cette performance, mais les principaux découlent directement du rôle joué par l’État québécois. En premier lieu, on retrouve les avantages du système québécois d’innovation : les dépenses en R&D en proportion du PIB sont les plus élevées de toutes les provinces canadiennes grâce à des avantages fiscaux et à des choix stratégiques de l’État. L’autre facteur important est celui de la réduction significative de l’écart des niveaux de la scolarisation de la main-d’œuvre. Évidemment, cette réduction plus significative a exigé des dépenses significatives. Là-dessus, je me permets d’ajouter que les dépenses actuellement plus élevées qu’ailleurs dans le domaine de la petite enfance permettront, dans un avenir rapproché, d’avoir des jeunes plus éduqués qui s’inséreront beaucoup plus facilement dans un marché du travail complexe et exigeant. Mais dans ce domaine, il ne faut pas penser en termes de rendement trimestriel! C’est sur le long terme que ces investissements sont rentables. Enfin, l’étude des professeurs de l’UQAM démontre que la croissance de l’économie québécoise s’accompagne en même temps d’un développement social plus harmonieux. Le Québec dans son ensemble connaît les taux de pauvreté et de criminalité les plus bas au Canada. En somme, le modèle québécois, d’inspiration social-démocrate, a été économiquement et socialement performant pour la population du Québec. L’avenir du modèle québécois Depuis 2003, le gouvernement libéral de Jean Charest s’est appliqué à en découdre avec le modèle québécois. Par contre, il faut convenir que malgré les mesures qui ont été prises, la résilience du modèle n’est plus à démontrer. Cela confirme qu’il est solidement enchâssé dans la culture économique et dans un ensemble d’arrangements institutionnels. Par ailleurs, il faut aussi constater que le PLQ prend maintenant acte d’un retour de balancier concernant le rôle de l’État et s’en fait dorénavant le promoteur, quoique de façon bien modérée. Une nouvelle régulation internationale Les particularités des enjeux actuels, qu’ils soient sociaux ou environnementaux, interdisent cependant de reproduire à l’identique le modèle précédent. À des problèmes globaux, il faut des solutions globales qui ne peuvent être le fait d’un seul pays. La mondialisation n’est pas qu’une idéologie; elle est une réalité concrète, tant pour les problèmes qu’elle suppose que pour les solutions qu’elle propose. Dès lors, la nécessité de la maîtrise des enjeux fait apparaître les conditions d’une nouvelle régulation internationale. Mais est-il possible de mener aujourd’hui à une échelle globale un New Deal qui fut fait à l’époque à l’intérieur des espaces nationaux pour résoudre la crise des années 1930? Un New Deal international est-il possible? Pour une économie verte C’est sous le sous-titre « Investir dans l’environnement, une occasion historique pour relancer l’économie et la création d’emplois au 21ème siècle » que le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) lançait il y a quelques jours un appel à ce New Deal planétaire pour une économie verte qui relancerait l’économie mondiale. À l’image du programme du président Roosevelt dans les années 1930, l’initiative du PNUE appelle à un compromis entre les principaux acteurs sociaux qui permettrait d’engager l’économie mondiale dans un cercle vertueux du développement.
La plus grande réussite du modèle québécois est d’avoir créé de grandes institutions financières collectives : la Caisse de dépôt, Desjardins, la Société Générale de Financement (SGF), Investissement Québec et les deux fonds de travailleurs. En mobilisant une partie significative de leurs actifs et en leur associant une part des actifs des caisses de retraite privées, il est possible de financer des projets d’investissement à long terme dans des infrastructures durables pour transformer le système productif national vers un modèle plus soutenable. Les partis politiques se sont tous appropriés le discours sur le développement durable. Rien de plus normal, puisqu’il s’impose dorénavant à tous. Mais il faut aller au-delà des mots. Il faut établir aujourd’hui des objectifs ambitieux, des cibles qui exigent de changer profondément nos manières de faire. Ce qu’il nous faut, c’est un New Deal québécois pour participer à la transformation radicale de la mondialisation que nous avons subie ces trente dernières années, vers une économie durable. Par Gilles L. Bourque
Coordonnateur général des Éditions vie économique (EVE)
Gilles Bourque détient une maîtrise en sciences économiques et un doctorat en sociologie économique à l’UQAM. Il est l’auteur du livre Le modèle québécois de développement : de l’émergence au renouvellement, paru au PUQ, qui s’est mérité le premier Prix pour la meilleure thèse de doctorat de l’IREC (Institut de recherche en économie contemporaine) en 2000.
La mission de Les Éditions Vie Économique (EVE), coopérative de solidarité, est de créer un groupe de presse visant à soutenir la diffusion des connaissances provenant de la pratique et de la recherche sur la vie économique actuelle, dans une perspective de développement durable. |