Sortir l’écologie des mouvements écologiques et environnementaux! De l’écologie à l’écoumène

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Par Roméo Bouchard
Coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions



Mots clés : écologie, développement durable, crise économique, ressources, écosystèmes, écoumène, démocratie, Québec (province).

On est écologiste ou environnementaliste comme on est féministe, nationaliste, créationniste ou gauchiste! C’est à dire rêveur, marginal, sectaire ou unilatéral. C’est bien sûr le jeu de ceux qui préfèrent distribuer des étiquettes plutôt que remettre en question leur pratique. Mais c’est aussi la faute des militants environnementalistes qui continuent encore trop souvent à dissocier les problèmes écologiques des problèmes économiques, sociaux et démocratiques.

La crise, une opportunité de repositionner l’écologie

La crise financière et économique actuelle nous fournit peut-être l’occasion de rompre cet isolement qui mine la crédibilité du mouvement écologique et l’empêche de contribuer au changement comme il le pourrait et le devrait.


En effet, le système financier et économique qui s’effondre n’est rien d’autre qu’une vaste entreprise de colonisation de la planète par une poignée de multinationales visant à piller ses ressources par-delà les frontières et les peuples pour enrichir le plus rapidement possible une poignée de grands actionnaires anonymes. Comment les riches détruisent la planète, écrit si justement Hervé Kempf.  


Ce système colonial repose sur trois axes complémentaires qui ont tous un lien direct avec l’équilibre des écosystèmes et la gestion de l’écoumène, notre « maison commune », la petite planète Terre.

Trois dogmes destructeurs

Le premier axe, le dogme de la croissance illimitée, implique un pillage sans précédent de l’ensemble des ressources et des peuples de la planète, sans égard pour leur caractère limité, pour répondre aux besoins vitaux de populations de plus en plus nombreuses et évoluées. C’est une économie irresponsable et suicidaire pour la planète et l’espèce humaine.


Le second axe, le dogme de la productivité, s’établit sur la concentration des opérations, une délocalisation systématique de la production et une standardisation non moins systématique de la consommation, sans égard pour le rapport vital et souverain des collectivités à leur territoire. Le cercle infernal de cette économie apatride, qui va de la production au plus bas prix aux dividendes les plus élevés, en passant par la consommation maximale stimulée par une publicité débridée et un crédit illimité, conduit inexorablement au saccage des territoires et de l’identité des peuples.


Le troisième axe, le dogme de la privatisation et du libre marché, s’appuie sur le transfert systématique du pouvoir de l’État et du citoyen aux dirigeants économiques et au marché libre, seuls capables d’assurer la richesse collective, sans égard pour la souveraineté du peuple et son droit absolu de se gouverner et de contrôler son milieu de vie. Le marché et le consommateur se substituent ainsi à la démocratie, au citoyen et au bien commun.

Réformer le système

De Nicolas Sarkozy à Barack Obama, le discours est le même : il faut réformer le système financier et s’attaquer aux causes qui ont provoqué la crise de façon à en éviter la répétition. Hervé Kempf va plus loin : pour sauver la planète, sortez du capitalisme. Les écologistes en profitent pour rappliquer avec leur programme habituel : pour sortir de la crise, investir dans les énergies vertes, les transports en commun, les habitations vertes, la bourse du carbone. Québec solidaire va un peu plus loin : investir dans l’économie sociale.


Comme si la crise n’était qu’un accident de parcours et si la vie allait reprendre son cours normal à plus ou moins court terme. Comme si l’impasse écologique et sociale n’existeront plus si jamais on arrive à rescaper le système financier. Comme si l’écologie ne devait pas être au cœur d’une incontournable redéfinition de l’économie elle-même, de la gestion des territoires et de la restauration de la démocratie.


En fait, c’est toute notre société qu’il faut rebâtir  sur des bases démocratiques, écologiques et sociales.



Éco-logie et  éco-nomie

Économie et écologie, étymologiquement, réfèrent tous deux à la gestion de la « maison commune » (oixos), l’écoumène, la terre habitée, notre habitat commun et unique, cette petite planète bleue qui nous est apparue si fragile et improbable du haut de l’espace. Comment assurer notre survie et notre épanouissement à tous en utilisant ses ressources, sans mettre en danger l’équilibre fragile de ses écosystèmes? En ce sens, économie et écologie ne devraient pas s’opposer mais se fondre. Un développement économique qui va à l’encontre de l’écologie ne peut conduire qu’à une impasse, et une action écologique qui ne passe pas par l’économie est condamnée à demeurer une croisade morale et à rester marginale.

Il faut redéfinir l’économie en fonction des possibilités de notre planète, des équilibres de ses écosystèmes et des besoins vitaux de tous les peuples, ce qui signifie privilégier un nouveau mode de vie et un nouvel ordre politique mondial. Ce nouvel ordre mondial va bien au-delà de ce que les écologistes définissent comme économie verte, et surtout, de ce que les dirigeants économiques et politiques appellent le « développement durable », en prenant bien soin de préciser qu’il s’agit, selon eux,  d’un « équilibre » entre la croissance économique, la paix sociale et la protection de l’environnement, ce qui est une autre façon d’assurer la « durabilité de leurs entreprises et de leurs profits », sans remettre en question le dogme de la croissance illimitée et de la compétition sauvage qu’elle entraîne.  Il s’agit, au contraire, d’assujettir l’efficacité et la « croissance » économique au respect inconditionnel de la capacité de support des écosystèmes et à la satisfaction des besoins essentiel de tous. En d’autres mots, une économie et un développement responsable, responsable de l’écoumène.


L’objectif de la révolution économique qu’exige la crise actuelle va donc bien au-delà d’une révision des règles du marché. En plus de rétablir la juridiction du politique sur l’économie, il faut redéfinir les finalités même de l’économie. De plus, il faut dès maintenant commencer à  réduire la croissance matérielle, pour préserver l’avenir de notre planète limitée, tout en s’assurant d’en répartir plus équitablement les bienfaits, puisque les pays sous-développés et les classes défavorisées ont le droit de partager le niveau de vie des pays développés et des mieux nantis. Pour ce faire, il faut modifier et même briser le cercle vicieux qui va de l’investissement aux dividendes en passant par production – publicité – crédit – surconsommation.

L’écoumène


La planète Terre, Gaia, est notre
seule demeure, notre maison commune : l’écoumène, selon l’admirable expression grecque, oikouménè. Elle est aux prises plus que jamais avec un réseau puissant de prédateurs. Il faut reprendre en main notre maison commune. Redonner la Terre aux humains qui l’habitent. Redonner leur territoire aux collectivités et aux peuples. Redonner le pouvoir au peuple.


L’écologie ne se limite pas à une série de mesures pour protéger l’environnement : elle n’est possible que dans une projet global où économie, territoire et démocratie sont redéfinis en fonction de la gestion responsable de l’écoumène.


Diminuer la croissance matérielle ne veut pas dire diminuer le développement, mais l’orienter autrement, vers les besoins essentiels plutôt qu’artificiels ou superflus, vers une meilleure répartition des biens, vers des modèles d’entreprises dont la rentabilité est conditionnelle au respect des écosystèmes et de l’équité sociale.  Le système actuel a fait la preuve que la création de la richesse, loin d’entraîner automatiquement l’amélioration des conditions de vie de tout le monde, favorise le luxe et l’enrichissement abusif d’une oligarchie. Il faut assujettir tout le processus économique à la satisfaction des besoins essentiels des peuples d’aujourd’hui et de demain plutôt qu’à la production de dividendes toujours plus élevés pour des actionnaires toujours plus limités. « Ce n’est qu’en brisant le pouvoir des grandes firmes et en les soumettant au contrôle social que nous serons capables de surmonter la crise environnementale (1) ».


Une telle réforme, visant en définitive à redonner la Terre aux humains qui l’habitent, passe forcément par des mesures concrètes pour limiter les profits et privilèges des dirigeants et actionnaires économiques (revenu maximum admissible, évasion fiscale, etc), restreindre la croissance matérielle inconciliable avec les ressources limitées de notre planète (produits inutiles ou nocifs, publicité, gaspillage, consommation de viandes, de matériaux et d’énergies non renouvelables, etc.), protéger les écosystèmes et diminuer les inégalités sociales (revenu minimum garanti) ainsi que la concentration de la richesse (commerce équitable).


Comme le suggèrent Hervé Kempf et Jean-François Lisée dans leurs récents écrits, il est possible de rétablir cette finalité sociale et écologique de l’économie tout en maintenant le marché et l’entreprise grâce à un nouveau pacte entre l’économique et le social. En échange de mesures visant à aider l’entreprise à compétitionner, celle-ci doit consentir à des mesures de redistribution sociale et d’assainissement écologique de façon à ce que chaque être humain puisse profiter de la richesse produite, maintenant et plus tard.

Écologie et territoire

Dans l’économie coloniale mondiale qui sévit, les collectivités et les peuples se voient également désappropriés de leur territoire et de leurs ressources. La concentration et la délocalisation des activités de production et de transformation par des multinationales apatrides aboutissent à une désintégration des territoires et des collectivités qui les habitent depuis toujours. Dans ce régime de concession des ressources pour quelques emplois, les profits provenant de l’exploitation des ressources territoriales fuient le plus souvent vers l’étranger au lieu de servir au développement des populations dont c’est le principal gagne-pain. De plus, la poursuite d’objectifs de rendements maximaux entraîne systématiquement une surexploitation, un gaspillage et même l’épuisement de ressources non ou difficilement renouvelables. Enfin, les dommages causés aux écosystèmes par une telle exploitation hypothèquent lourdement la possibilité de développement pour les populations des territoires concernés.


Au terme de ce processus de délocalisation, les collectivités territoriales et leurs citoyens  sont dépossédés de leur autonomie et de leur identité et perdent jusqu’à la volonté de participer à la vie collective.  


Avec la crise du pétrole et des gaz à effet de serre, l’économie délocalisée dont nous héritons mène aujourd’hui à un cul-de-sac en raison de la circulation aberrante des produits et des personnes qu’elle entraîne. Le retour au local est désormais incontournable.
Dans ce contexte, il est plus urgent que jamais de redonner à nos collectivités territoriales une existence politique, économique et culturelle fondée sur ce que chaque territoire a de propre et d’unique. Au Québec, le Rapport de la Commission Bélanger-Campeau (1995), et d’autres rapports de commissions, tout comme le Livre blanc inédit de René Lévesque sur la décentralisation (1977) ont démontré depuis longtemps qu’il s’agit là d’une revendication fondamentale des populations et des instances régionales du Québec.


Ce virage implique une vaste réforme territoriale qui englobe le statut politique et le développement économique des territoires, ainsi que le régime de cohabitation avec les Premières Nations établies bien avant nous sur ces territoires. Mais sous la domination du pouvoir économique, les États se font plus centralisateurs et plus serviles que jamais. Les régions et les instances régionales et locales sont le plus souvent réduites à des entités administratives, à des clientèles, tout au plus des partenaires.


Le premier changement qui s’impose est une révision du partage des pouvoirs de l’État avec les collectivités territoriales. Autrement dit, la décentralisation ou la démocratie territoriale comme outil de base pour permettre aux collectivités territoriales de prendre en charge leur propre développement et de prendre leur place dans la dynamique collective. Il ne s’agit pas pour l’État de se départir de ses responsabilités en faveur du privé, ni de se déresponsabiliser, mais bien de partager ses responsabilités avec des instances territoriales démocratiques, à l’intérieur de politiques et d’institutions nationales communes.


En outre, la réappropriation de nos territoires passe par la réappropriation de leurs ressources naturelles : la mer, la forêt, les mines, l’eau, l’énergie, l’agriculture, la nature et les paysages, le terroir et le patrimoine, notre métropole et notre capitale. En continuant à nous comporter comme une colonie envers sa métropole outre-mer, nous favorisons le pillage, le gaspillage, la détérioration et l’exportation brute des ressources qui font la richesse de nos territoires et de nos pays. Dans plusieurs régions, les dégâts environnementaux produits par les industries forestière, minière, agricole et autres compromettent déjà les développements futurs. Le capital nature demeure pourtant une des ressources fondamentales de beaucoup de ces régions.


La crise économique qui frappe les multinationales doit être l’occasion de reprendre le contrôle de notre marché par une production diversifiée, locale et de plus-value, qui met en valeur ce que le Québec et chacune de ses régions ont d’unique et de particulier.


En dernier lieu, il faut remettre à l’ordre du jour la cohabitation territoriale avec les Nations autochtones. Malgré la récente déclaration des Nations Unies à cet effet, peu de gens sont vraiment au fait de cet enjeu. Mais il est urgent, au Québec comme partout ailleurs en Amérique et dans le monde, de rétablir le contact avec les autochtones, de les reconnaître comme nations autonomes et de réapprendre à partager avec eux l’usage et le développement de nos territoires communs. Ces autochtones sont encore disposés à collaborer, malgré tout ce qu’on leur a fait subir, si on veut bien tenir compte de leurs droits de premiers occupants. Ils ne veulent pas s’approprier tout le territoire : ils veulent tout simplement avoir leur part, celle qui leur permettra d’assurer l’autonomie et le développement de leurs peuples et de sortir de l’état de misère, de discrimination et de dépendance où nous les avons placés.


En conclusion, la sauvegarde des écosystèmes passe aussi par la restauration de la souveraineté des collectivités territoriales.



Écologie et démocratie

Ce qui est en cause, en effet, c’est le pouvoir. Nous avons laissé aller le pouvoir aux financiers, aux investisseurs, aux machines des partis politiques, aux médias : il faut le redonner au peuple comme l’exige la démocratie. Le seul outil qui peut permettre aux citoyens de limiter l’emprise de tous ces prédateurs du pouvoir et de la planète, c’est la démocratie. Faire fonctionner la démocratie.


Il faut rétablir le pouvoir de l’État, non l’État providence et contrôleur, mais l’État démocratique, rassembleur, qui partage le pouvoir avec des gouvernements territoriaux démocratiques. Une véritable démocratie, où les citoyens et leurs représentants exercent un contrôle véritable sur les décisions politiques, sur les ressources et les activités économiques de leur territoire. Une démocratie où les collectivités territoriales ont la possibilité de participer aux décisions du gouvernement et de prendre en charge leur développement local et régional à partir des ressources et des besoins propres de leur territoire. Une démocratie qui fonctionne à partir de la base, comme l’exige la souveraineté du peuple, ne peut être que territoriale, c’est-à-dire se construire à partir des collectivités locales et régionales.


L’alternative au néo-libéralisme actuel et à la centralisation des États n’est donc pas de favoriser encore davantage la privatisation et le marché libre, mais plutôt de faire fonctionner la démocratie territoriale et d’empêcher ainsi le libre-échange actuel et l’État centralisé, qui lui obéit aveuglément, de détruire toutes les économies locales et régionales, toutes les identités culturelles et toute les responsabilités citoyennes pour, au bout du compte, mettre en danger l’équilibre des écosystèmes de la planète elle-même.


Beaucoup estiment que seul l’État peut forcer les acteurs locaux à prendre soin des écosystèmes. Force est d’admettre cependant que l’État, soumis à tous les lobbies économiques et les stratégies de partis, s’acquitte plutôt mal de cette tâche.


Et si c’était le contraire! Si la mise en place d’une véritable démocratie locale et régionale était l’outil essentiel pour susciter une prise en charge de nos écosystèmes!


Après tout, la protection des écosystèmes est essentiellement un problème territorial, un problème d’aménagement et de gestion du territoire. Les mieux placés pour identifier et protéger ces écosystèmes ne sont-ils pas les communautés locales et régionales et leurs élus, qui sont les premiers affectés? Et l’aménagement du territoire, incluant la gestion de l’eau, n’est-il pas le mandat premier des municipalités régionales? D’ailleurs, à bien y penser, la plupart des luttes environnementales ne sont-elles pas issues des citoyens qui sentaient leur milieu de vie menacé par les arrosages forestiers, les porcheries industrielles, les ports méthaniers, les mini-barrages, les méga-parcs éoliens, la pollution de leurs cours d’eau, l’utilisation des pesticides et des OGM, les déversements industriels, les développements urbains dévastateurs. etc.?


Mais pour que cette démocratie locale et régionale soit efficace, il faut qu’elle soit réelle. Nos structures de pouvoir local et régional sont présentement largement désuètes, incomplètes et démunies. La plupart des municipalités sont désormais trop petites pour disposer des moyens nécessaires à cette prise en charge. Les  dirigeants des municipalités régionales de comtés, tout comme ceux des Conférences régionales des élus, ne sont pas élus par les citoyens, et n’ont ni les pouvoirs, ni l’imputabilité, ni l’autonomie financière pour agir. Les maires refusent même presque partout d’élire leur préfet au suffrage universel. Les instances urbaines ne sont pas moins fragmentées et anarchiques. De plus, ces instances consultent peu leur population : à part la possibilité très circonscrite de référendums municipaux, elles n’ont pas mis au point de mécanismes de participation directe des citoyens.


Il  faut réclamer haut et fort une mise à jour de nos structures de démocratie territoriale et une révision profonde de la répartition des pouvoirs et des ressources dans nos collectivités, afin d’assurer une prise en charge des écosystèmes par nos collectivités locales et régionales.


En somme, il faut que le peuple et ses représentants locaux, régionaux et nationaux reprennent le pouvoir par une  révision complète de nos institutions démocratiques et territoriales. La démocratie territoriale est la configuration de base qui doit succéder à ce qu’on appelait jusqu’ici la démocratie libérale, si l’on veut décoloniser la planète.



Par Roméo Bouchard
Coordonnateur de la Coalition pour un Québec des Régions


Cofondateur et ex-président de l’Union Paysanne, Roméo Bouchard est auteur, agriculteur biologique, enseignant, militant bien connu pour ses luttes en faveur, notamment, du développement régional. Il a publié aux Éditions Écosociété Plaidoyer pour une agriculture paysanne et Y a-t-il un avenir pour les régions? Ce diplômé de philosophie, de théologie, d’histoire et de sciences politiques est né au Lac-Saint-Jean et vit depuis de nombreuses années dans le Bas-du-Fleuve. Organisateur du Symposium de peinture de Saint-Germain-de-Kamouraska, collaborateur du Mouton noir, il est impliqué dans toutes les associations qui interviennent dans les problèmes de développement local dans son village, sa région, au Québec et même en Europe.



Sources :
(1) Robert Newman, History of Oil, cité dans Comment les riches détruisent la planète de Hervé Kempf, Seuil, 2007, p.124

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