La participation publique au Québec : quels enjeux pour les groupes environnementaux?

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

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Mots clés : Droit de l’environnement, Participation publique, Évaluation environnementale, Groupes environnementaux.

 

La procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) font actuellement l’objet de nombreuses critiques, tant des milieux économiques qu’environnementaux. La Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement (CRCDE) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE) ont voulu contribuer au renforcement de la participation publique au Québec en organisant, le 14 novembre dernier, un atelier s’adressant aux groupes voués à la protection de l’environnement. En effet, ces ONG sont laissées à elles-mêmes face aux procédures de participation et ont peu l’occasion de se retrouver pour en discuter des enjeux. Des conférenciers expérimentés en cette matière y ont présenté leurs réflexions, constats et propositions de réforme. Par la suite, les participants ont discuté de leurs demandes au sujet d’une éventuelle réforme du BAPE et de la procédure d’évaluation environnementale. Il nous semble important de faire connaître le plus largement possible le contenu de ces discussions, car la question de la participation publique est un enjeu fondamental de la mise en œuvre du développement durable. La Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement affirme d’ailleurs que « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient » (1). En effet, chaque citoyen contribue à la dégradation de l’environnement, mais chacun a aussi la possibilité d’en assurer la protection, si on met en place les procédures le lui permettant.

 

La position des conférenciers

D’entrée de jeu, Paule Halley, professeure à la Faculté de droit et titulaire de la CRCDE, a souligné que le régime québécois d’examen et d’évaluation des impacts environnementaux n’a pas beaucoup évolué depuis ses débuts, en 1978, alors que les exigences légales encadrant la participation publique se sont beaucoup développées ailleurs dans le monde. Puis, chaque conférencier devait dégager trois priorités en vue d’une éventuelle réforme de la procédure d’évaluation environnementale au Québec.

Pour André Beauchamp, ex-président du BAPE, il faut :

  • Élargir l’intervention du BAPE à toutes les étapes de la procédure, de l’avis de projet déposé par le promoteur jusqu’aux suivis à faire après l’autorisation;
  • obliger toute commission à revoir tous les rapports du BAPE sur des sujets antérieurs similaires pour identifier les lignes de force, les impasses et les échecs et aussi pour mesurer l’évolution des attentes du public;
  • autoriser le BAPE à réfléchir de façon critique sur sa propre expérience.

Quant à Michel Venne, directeur de l’Institut du Nouveau Monde, il priorise les actions suivantes :

  • Améliorer la diffusion et l’accès de l’information pour les citoyens;
  • faire en sorte que les citoyens puissent se doter d’organisations qui leur permettent d’améliorer leur capacité à intervenir et aient, les ressources financières, humaines et matérielles pour créer une certaine égalité entre les acteurs;
  • faire en sorte que les organisations qui s’occupent de la participation soient puissantes et aient les moyens de jouer le rôle de gardien du bien commun.

Finalement, selon le chroniqueur spécialisé en environnement du Devoir, Louis-Gilles Francoeur, il faut prioritairement :

  • Réformer la présidence du BAPE, qui doit bénéficier de plus larges pouvoirs et dont la nomination doit relever de l’Assemblée nationale plutôt que du Conseil des ministres;
  • instaurer l’évaluation environnementale de tous les projets et programmes politiques du gouvernement. Il faut une évaluation en amont de celle des projets spécifiques;
  • mettre en place un système d’aide financière pour les participants.

 

Les réactions des participants

Suite à ces conférences, les participants ont fait état de leurs préoccupations, voire de leur « désillusion » par rapport au processus d’évaluation environnementale et de participation publique, particulièrement en ce qui a trait au manque d’indépendance des commissaires du BAPE relativement aux promoteurs et aux intérêts gouvernementaux. En même temps, tout le monde tient à la survie du BAPE et considère qu’il faut le renforcer. Tout le problème est là : comment critiquer le BAPE comme il le mérite à l’occasion, sans l’affaiblir face au milieu des affaires et aux tentations gouvernementales de restreindre son champ d’action et son financement?

Si la question du manque d’indépendance des commissaires est revenue le plus souvent, manifestée principalement par le désir de voir le président du BAPE nommé par l’Assemblée nationale plutôt que par le premier ministre, d’autres points importants furent soulevés. Ainsi, l’absence de financement des groupes de citoyens permet difficilement la réalisation de contre-expertises rigoureuses en prévision des audiences publiques. Au moment de l’adoption de la procédure, en 1978, un article de la Loi sur la qualité de l’environnement donnait au ministre de l’Environnement le pouvoir d’établir et d’administrer un fonds visant à favoriser la participation des personnes, groupes ou municipalités, mais il n’a jamais été mis en vigueur. (2) Au fédéral, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale administre, pour les projets touchant le gouvernement fédéral, un programme de soutien financier pour la participation aux commissions d’examen. Enfin, la multiplication des mécanismes de consultation (municipal, régional, sectoriels, commissions parlementaires, etc.) et des audiences publiques entraîne une « banalisation » de la consultation publique ainsi qu’un « essoufflement » des groupes de citoyens qui peinent à suivre le rythme, sans aide aucune.

Les participants ont noté aussi l’absence d’étude sérieuse sur les alternatives aux projets majeurs soumis au processus québécois d’évaluation. Par exemple, pour son projet hydroélectrique sur la Romaine, Hydro-Québec a déposé une étude d’impact comptant plusieurs milliers de pages, mais dont seulement deux traitaient des alternatives à la construction des barrages et les rejetant du revers de la main.

L’absence d’évaluation environnementale stratégique à l’étape de l’élaboration des politiques, plans et programmes gouvernementaux, en amont des projets particuliers, est aussi fortement dénoncée. Par exemple, la filière éolienne a donné lieu à une multitude d’audiences sur des projets particuliers, mais sans vision d’ensemble préalable et sans évaluation des impacts cumulatifs. L’absence de suivi des autorisations par les autorités gouvernementales est également relevée par les groupes. Finalement, la qualité de l’information est aussi préoccupante. Il est pratiquement impossible aujourd’hui de comparer les avis du BAPE, les autorisations finales émises par décret gouvernemental et l’exécution réelle de ces autorisations par le promoteur au cours des années. Pas étonnant qu’il soit alors difficile, pour tout le monde, de répondre à la question « L’évaluation environnementale; qu’est-ce que ça donne? ».

 

Conclusion

Selon nous, la participation publique est fondamentale au projet de développement durable et commande une réforme de la Loi sur la qualité de l’environnement à ce sujet. Comme une telle réforme tarde à venir et paraît difficile à réaliser politiquement, il est important de ne pas se tromper de cibles. Les conventions internationales sur la question de la participation du public aux décisions environnementales, ainsi que les développements survenus à l’étranger, particulièrement en Europe, méritent un examen attentif de la part des ONG et de tout citoyen souhaitant participer à un développement qui soit durable. Au-delà des critiques « spontanées », dictées par le comportement d’un commissaire ou d’un président du BAPE, il est nécessaire de travailler à développer une procédure qui soit plus transparente et indépendante. De façon à répondre aux problèmes identifiés, le Québec doit élever ses procédures de participation publique au niveau de celles qui se développent sur la scène internationale. Le sujet est important et la CRCDE encourage les ONG environnementales à poursuivre leurs réflexions et actions en vue de renforcer la participation publique au Québec.


Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »


Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement.



(1) Déclaration de Rio, Doc. NU A/CONF.151/26/Rev.1 (1992), art. 10.

(2) L.R.Q., c. Q-2, art. 2 d.1)

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