Par Mariève Paradis,
Journaliste indépendante
Mots-clés : Gaz à effet de serre (GES), réchauffement climatique, géo-ingénierie, captage de carbone, aérosols de sulfure. L’humanité saurait comment abaisser le thermostat de la Terre grâce à des technologies de modification du climat. Des projets issus de la géo-ingénierie pourraient être testés à grande échelle d’ici quelques années. Par contre, cette science demeure sous haute surveillance. Lors du congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) qui s’est tenu récemment à San Diego en Californie, les sceptiques étaient nombreux à demander aux scientifiques d’expliquer ces moyens de refroidir la température de la Terre, craignant qu’ils ne causent d’autres catastrophes planétaires. La géo-ingénierie consiste à modifier le climat de façon intentionnelle à l’aide de technologies, dans le but de renverser les effets du réchauffement climatique. Il existe deux grandes familles de recherche en géo-ingénierie : la gestion des radiations solaires et le captage de carbone. Chaque branche inclut différentes techniques pour réduire l’escalade de la température de la planète ou la quantité de carbone dans l’atmosphère. Refroidir l’espace Certains scientifiques croient qu’envoyer de minuscules miroirs dans l’espace reflèterait les rayons, les empêchant ainsi de pénétrer l’atmosphère pour le réchauffer. Toutefois, peu d’études analysent l’impact environnemental d’une telle technologie en termes de pollution orbitale. Selon David Keith, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’énergie et l’environnement à l’Université de Calgary, le déploiement d’aérosols de sulfure dans la stratosphère serait la méthode la plus probable pour restaurer le climat à ce qu’il était à son niveau préindustriel, soit vers les années 1850. Des chercheurs ont poursuivi des recherches entamées par Paul J. Crutzen, prix Nobel de chimie de 1995, qui avait découvert un refroidissement de 0.5°C, de la température de la terre à la suite de l’éruption volcanique de Pinatubo aux Philippines en 1991. Partant de cette prémisse, des scientifiques comme Keith testent l’hypothèse qu’en propulsant des aérosols de sulfure dans la haute atmosphère, on pourrait contrôler à la baisse le réchauffement de la planète. D’autres chercheurs – il y a entre 50 et 100 scientifiques qui effectuent des travaux sur la géo-ingénierie dans le monde - considèrent deux autres techniques pour éviter une surchauffe du climat : blanchir les nuages et la surface de la Terre. Les bateaux, commerciaux ou ceux de la garde côtière, ensemenceraient les nuages de microparticules d’eau de mer; le sel de l’eau causant ainsi un effet blanchissant. De plus, des scientifiques prétendent que repeindre toutes les toitures du monde en blanc pourrait aider à refléter les radiations solaires, contrairement aux autres couleurs qui absorbent davantage la chaleur. Le rapport de la Société Royale de Grande-Bretagne mentionne que les théories de captation et de stockage du carbone seraient quant à elles plus sécuritaires pour l’environnement. Il s’agit d’intercepter les émissions de carbone directement des cheminées des industries et de les enfouir dans le sol. Une technique de cette famille soulève la controverse : la fertilisation des océans par le fer. En ajoutant ce minerai dans les océans, les chercheurs en géo-ingénierie ont remarqué que les algues prolifèrent plus rapidement et captent alors plus de carbone. Par contre, des études réalisées en mer au large de l’Australie ont démontré que le fer s’oxyde hâtivement – avant d’atteindre les algues – occasionnant une autre pollution à l’océan sans effet bénéfique pour l’environnement. Hausser les budgets de recherche « Il faut davantage de recherche pour mieux connaître les risques et les conséquences environnementales associés à la géo-ingénierie », lance David Keith. Le rapport de la Société Royale de Grande-Bretagne recommande d’ailleurs d’accorder aux scientifiques travaillant sur cette science du climat un budget de 10 millions de dollars par année pour approfondir les connaissances en géo-ingénierie. « Nous dépensons, dans le monde entier, un trillion de dollars – un milliard de milliards – par année pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce que nous demandons est moins qu’un millième de l’argent dépensé », argumente vivement David Keith. Il doute cependant que l’argent actuellement investi en recherche et développement n’arrive à réduire les émissions de GES. « Nous réduirons nos émissions au moment où les gouvernements passeront des lois qui empêcheront d’utiliser l’atmosphère comme un dépotoir pour le carbone », martèle-t-il, convaincu. Cependant, David Keith s’empresse de préciser que la géo-ingénierie ne se veut pas une science pour remplacer les efforts de réduction des GES, ni pour bouleverser l’investissement dans les technologies vertes. « Les changements climatiques ne sont pas un problème à résoudre, mais plutôt une situation qu’il faut apprendre à gérer. La géo-ingénierie est un autre outil pour y arriver », croit-il. Sans statut juridique protecteur des abus Puisque déployer des telles technologies aura des conséquences inconnues aux quatre coins de la planète, certains s’inquiètent du présent vide juridique international pour encadrer de telles manipulations. Le problème de gouvernance est décrié à l’unanimité par la communauté scientifique et par les experts en droit international. « Il n’y a aucun traité ni institution qui pourrait avoir le mandat de gérer les opérations de recherche et le déploiement de la géo-ingénierie en ce moment », explique Catherine Redgwell, professeure en droit international à l’University College of London. Sans gouvernance globale ni cadre juridique pour baliser la recherche, la géo-ingénierie pourrait ajouter une pierre de plus à l’instabilité de l’ordre mondial. Par exemple, la Grande-Bretagne et l’Allemagne possèdent des programmes nationaux de recherche en géo-ingénierie pour refroidir le climat et planifient les déployer d’ici quelques années. Détenant les brevets de ces technologies, les gouvernements instigateurs seraient en droit d’imposer des redevances à toutes les autres nations bénéficiaires. « Le transfert gratuit des technologies d’un pays à l’autre n’est pas un concept très populaire », explique l’avocate Redgwell. Pire, il serait totalement possible qu’un laboratoire privé détienne les droits de propriété intellectuelle d’une technologie que les États voudraient utiliser. Ainsi, anticipe Mme Redgwell, les nations du monde seraient obligées de payer des redevances à des entreprises pour les sauver des catastrophes climatiques qu’elles contribuent à créer par leurs modes de production.
Par Mariève Paradis, Journaliste, chroniqueuse, blogueuse et globe-trotter, Mariève Paradis s’est rapidement intéressée au journalisme scientifique. En 2008, elle remporte la bourse Fernand-Seguin, un prix de journalisme de vulgarisation scientifique pour un article sur la santé des travailleurs dans un dépotoir électronique du sud de la Chine. Elle cumule les expériences sur plusieurs plateformes médiatiques. Mariève habite maintenant à Los Angeles d’où elle couvre l’actualité américaine. En savoir plus. |