L’évaluation environnementale des gaz de schiste

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Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

 

Mots-clés : Évaluation environnementale, BAPE, Gaz de schiste, participation publique, accès à l’information, développement durable.

Début septembre 2010, le gouvernement du Québec a mandaté le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) de « proposer un cadre de développement de l’exploration et de l’exploitation des gaz de schiste » et « des orientations pour un encadrement légal et réglementaire qui assure, pour les volets d’exploration, d’exploitation et d’infrastructures de collecte de gaz naturel, le développement sécuritaire de cette industrie dans le respect du développement durable ». Étant donné les questions juridiques soulevées par le mandat, ainsi que celles concernant les modalités de la procédure d’évaluation environnementale suivie et l’ampleur des questions environnementales entourant le développement éventuel de l’industrie des gaz de schiste au Québec, la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’université Laval (CRCDE) et le Centre québécois du droit de l’environnement (CQDE ont décidé de préparer un mémoire conjoint. L’auteur, actif dans les deux organismes, en résume ici les principales constatations et recommandations.

La procédure suivie

Ce mandat du BAPE ne relève pas de la procédure régulière d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement [1], mais est plutôt donné en vertu des pouvoirs généraux du ministre et de l’article 6.3 de la Loi sur la qualité de l’environnement (ci-après LQE). Au Québec, faute d’un encadrement législatif et réglementaire d’une procédure d’évaluation environnementale stratégique, permettant l’évaluation de plans, politiques ou programmes gouvernementaux, c’est en vertu de ce pouvoir discrétionnaire du ministre qu’on peut espérer faire l’analyse d’une filière, comme celle des gaz de schiste, en amont des projets de développement particuliers. Cependant, la décision ministérielle de limiter le mandat à cinq mois, de ne couvrir que trois régions administratives et de donner un mandat écartant par avance toute remise en question du développement de cette industrie est irrespectueuse de nombreux principes entourant la participation publique et l’évaluation environnementale.

Par ailleurs, l’absence d’information préalable à la consultation du public est une autre lacune fondamentale du processus suivi. Aucun document de consultation n’existait au début du mandat et, contrairement à ce qui s’est vu par le passé, le BAPE n’avait ni les moyens, ni le temps, ni le mandat d’en réaliser un. Le document devant servir de base à cette consultation a été déposé par le Ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) le 15 septembre, soit 8 jours après le début officiel du mandat du BAPE [2]. Ce document comporte de sérieuses lacunes et ne correspond pas à ce que l’on est en droit de s’attendre d’une étude d’impact environnemental ou d’un document devant servir de base à une consultation publique. Par exemple, il passe totalement sous silence la Loi sur le développement durable [3], la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection [4] ainsi que les engagements formels du gouvernement du Québec et du Canada en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES). Pour sa part, le Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP) a produit son document le jour même du début des audiences publiques, le 4 octobre [5].  Cela ne respecte pas les principes juridiques entourant l’évaluation environnementale et peut difficilement permettre d’atteindre les objectifs recherchés.

Un cadre légal et réglementaire inadapté à cette industrie naissante

Présentement, le cadre juridique entourant l’industrie naissante des gaz de schiste est inadapté. La Loi sur les mines a fait la preuve de son inaptitude à assurer la protection de l’environnement, celle des ressources naturelles collectives visées ainsi que l’information, la consultation et la participation du public dans ce domaine. Elle contient d’importantes dispositions dérogatoires [6] à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [7], annule différents pouvoirs des municipalités [8] et donne à l’industrie un pouvoir d’expropriation qui lui assure un rapport de force exceptionnel pour négocier avec les propriétaires des ententes « gré à gré » concernant l’utilisation des terrains nécessaires aux activités de l’industrie [9].

Quant à la Loi sur la qualité de l’environnement, les forages exploratoires réalisés ont montré son inadaptation face aux réalités de cette industrie. Les audiences ont permis de se rendre compte de la confusion qui existait, au sein de différents ministères (MDDEP et MRNF) ou de régions administratives différentes (MDDEP), quant aux types d’autorisations nécessaires. Le ministre a dû émettre une « note d’instruction » pour tenter de clarifier les exigences quant au certificat d’autorisation à accorder selon l’article 22 de la LQE. La LQE prévoit actuellement un traitement différent selon ce qu’un forage est « exploratoire » ou pour « l’exploitation », en présumant que les impacts environnementaux des premiers sont minimes par comparaison aux seconds. Or, comme l’ont montré les audiences, une telle distinction ne tient pas la route pour les forages effectués par l’industrie des gaz de schiste. L’hydraufracturation, soit l’injection de milliers de mètres cubes d’eau sous haute pression dans le sous-sol, est essentielle à tout forage effectué pour trouver des gaz de schiste, que ce soit en mode exploratoire ou d’exploitation. Au contraire de ce qui se passe en milieu minier traditionnel, l’essentiel des impacts environnementaux et sociaux occasionnés par cette industrie se déroule au moment des forages dits « exploratoires ».

 

De nouvelles obligations dont l’État doit tenir compte

Par ailleurs, l’analyse de la filière des gaz de schiste et de son éventuel développement doit impérativement tenir compte de la Loi sur le développement durable et des 16 des principes juridiques qui y sont affirmés. Le mémoire passe en revue chacun de ces principes juridiques qui, selon nous, trouvent tous application dans ce cas-ci. Le mémoire s’attarde particulièrement sur ceux « d’équité et solidarité sociales », de « participation et engagement », « d’accès au savoir », de « précaution » et de « pollueur-payeur ». L’analyse de ces principes montre l’ampleur des questions soulevées et la faiblesse des réponses apportées jusqu’ici. De nombreuses informations manquent toujours pour permettre de prendre une décision éclairée.

Ces informations sont aussi essentielles pour évaluer si le développement de l’industrie des gaz de schiste peut respecter les principes juridiques établis dans la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection. Cette loiinvestit l’État de nouvelles responsabilités relativement à la protection et à la gestion de l’eau, définissant ainsi avec davantage de précision son rôle de «gardien de la ressource eau», et lui attribue de nouveaux pouvoirs pour remplir ce rôle. Après avoir rappelé le contenu de ces nouvelles obligations, le mémoire conclut que l’État québécois ne joue pas correctement son rôle de gardien de cette ressource commune dans le processus actuel d’autorisation entourant les gaz de schiste. On y propose donc de renforcer le contrôle environnemental du MDDEP sur l’industrie des gaz de schiste. De même, le mémoire fait clairement ressortir que de nombreuses informations manquent afin d’évaluer correctement si les objectifs du Plan d’action du gouvernement sur les changements climatiques [10] peuvent être atteints, advenant le développement des gaz de schiste.

La nécessité d’une véritable évaluation environnementale stratégique

L’analyse de ces divers engagements et obligations de l’État amène à conclure qu’il faut pousser beaucoup plus loin la collecte d’information avant d’autoriser le développement de cette industrie. Cette filière nécessite la mise en place d’une véritable évaluation environnementale stratégique, avec des délais et des moyens permettant la participation de l’ensemble de la population québécoise. Selon nous, une évaluation environnementale stratégique de la filière des gaz de schiste, satisfaisant aux critères développés internationalement et ayant la crédibilité nécessaire pour que ces conclusions rassemblent la population, plutôt que de la diviser, est la meilleure solution pour l’ensemble des intervenants. Ce type d’évaluation sert aussi à tenir compte des impacts cumulatifs, alors que l’évaluation par projet s’attarde généralement aux impacts directs et indirects d’un projet précis. De plus, des centaines de petits projets qui n’atteignent pas les seuils de déclenchement d’une étude d’impact peuvent avoir à la longue un impact très important qui risque de n’être jamais évalué. À cet égard, les multiples forages nécessaires pour extraire le gaz de schiste nécessitent certainement un tel type d’évaluation préalable. Le BAPE lui-même, en 2005, avait proposé au ministre de procéder à un tel type d’évaluation pour la filière éolienne [11]. Le ministre s’y est alors refusé et on s’est retrouvé avec de nombreux conflits sociaux entourant le développement de cette filière, pourtant prometteuse au départ. On ose à peine imaginer ce qui risque de se passer avec le développement d’une filière controversée comme celle des gaz de schiste, à défaut d’une évaluation stratégique environnementale crédible. Étant donné que le gouvernement dit vouloir s’inspirer des meilleures pratiques existantes en ce qui concerne les gaz de schiste, c’est ce type d’évaluation environnementale stratégique que doit proposer le BAPE. Il l’a d’ailleurs déjà fait pour la question des hydrocarbures dans le St-Laurent [12].

 

Un moratoire permettant l’amélioration des connaissances et du climat social

Finalement, pour ramener la paix sociale et la sérénité d’esprit nécessaire à un débat public honnête et rigoureux quant au développement éventuel de cette industrie, il faut instaurer un moratoire jusqu’à la conclusion de l’évaluation environnementale stratégique à tenir. Ce n’est pas de l’immobilisme que de vouloir être pleinement informé avant de prendre une décision, surtout lorsqu’elle engage des ressources essentielles comme l’air et l’eau. Par ailleurs, l’Assemblée nationale du Québec a tous les pouvoirs et les outils légaux en main pour instaurer un tel moratoire sans encourir de responsabilité financière à l’égard des différents promoteurs de cette industrie. Les audiences ont démontré que nous sommes encore loin « boom économique » promis par certains politiciens et qu’un délai additionnel ne serait pas néfaste à l’industrie. Selon nous, la Commission doit recommander la présentation d’un projet de loi imposant un moratoire, visant à la fois la suspension de toute activité d’exploration des gaz de schiste actuellement autorisée et l’interdiction de délivrer tout nouveau permis. Ce moratoire devrait être en vigueur jusqu’à ce qu’un nouvel encadrement juridique soit adopté par l’Assemblée nationale, suite à une évaluation environnementale stratégique permettant l’information et la participation du public les plus complètes.

Conclusion

La question du développement de l’industrie des gaz de schiste au Québec touche deux domaines fondamentaux pour l’environnement et le développement durable: l’eau et l’énergie. Contrairement à ce qui se passe dans l’Ouest canadien, on vise ici à forer en milieu fortement habité et comptant parmi les meilleures terres agricoles du Québec. Les premiers forages exploratoires ont donné lieu à de nombreuses critiques et le soutien inconditionnel démontré par le gouvernement envers l’industrie a augmenté le niveau de méfiance de la population. Malheureusement, le mandat accordé au BAPE, son cadre restreint, tant en durée qu’en contenu, n’a fait qu’augmenter le cynisme des citoyens. En outre, il apparaît inadmissible que des documents ministériels fassent si peu de cas des engagements légaux du gouvernement. Nous vivons dans un État de droit et il est primordial de tenir compte de tous ces engagements pour évaluer correctement un éventuel développement de l’industrie des gaz de schiste et proposer un cadre législatif et réglementaire adéquat. La lecture de ce mémoire conjoint est un incontournable pour quiconque veut comprendre l’évaluation environnementale des gaz de schiste au Québec.


Par Jean Baril, LL. M.
Avocat et auteur du livre « Le BAPE devant les citoyens »

Jean Baril est doctorant à la faculté de droit de l’université Laval, avec comme sujet de thèse le droit d’accès à l’information environnementale. Son mémoire de maîtrise, portant sur la procédure d’évaluation environnementale et le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, lui a valu le Prix Jean-Charles Bonenfant et la médaille de l’Assemblée nationale pour le meilleur mémoire de maîtrise touchant le domaine politique en 2006. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2006 et un citoyen impliqué dans des groupes liés à la protection de l’environnement.

 


Sources : 

[1] Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q. c. Q-2, art. 31.1 à 31.9 et règlements afférents.

[2] MINISTÈRE DES RESSOURCES NATURELLES ET DE LA FAUNE, Le développement des gaz de schiste au Québec. Document technique, 15 septembre 2010, 30 pages.

[3] L.R.Q., c. D-8.1.1.

[4] L.R.Q., c. C-6.2.

[5] MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE, DE L’ENVIRONNEMENT ET DES PARCS, Les enjeux environnementaux de l’exploration et de l’exploitation gazières dans les basses-terres du Saint-Laurent, octobre 2010.

[6] Loi sur les mines, L.R.Q., c. M-13.1, art. 215 al. 3 et art. 228. À ce sujet voir : Jean BARIL, Un trou béant dans le droit d’accès à l’information environnementale, GaïaPresse. [En ligne].

[7] L.R.Q., c. A-2.1.

[8] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, L.R.Q., c. A-19.1, art. 246.

[9] Loi sur les mines, précitée, note 7, art. 235 et 236.

[10] Le Québec et les changements climatiques : un défi pour l’avenir, Plan d’action 2006-2012, Juin 2006,. L’Assemblée nationale a aussi adopté des moyens pour atteindre ces objectifs, par la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement et d’autres dispositions législatives en matière de changements climatiques, L.Q. 2009, c.33. [En ligne].

[11] BAPE, La participation du public au processus d’évaluation et d’examen des impacts sur l’environnement dans une approche de développement durable au Québec, Document interne remis au ministre de l’Environnement en 2005.

[12] BAPE, Les enjeux liés aux levés sismiques dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent, Rapport # 135, p. 95. Cette évaluation environnementale stratégique est d’ailleurs en cours et a permis de conclure que ce type d’activité devait être prohibé dans l’estuaire.

 


Cette analyse est rendue possible grâce à une collaboration entre GaïaPresse
et la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement de l’Université Laval,
dans l’esprit d’améliorer la compréhension des enjeux environnementaux avec rigueur et pertinence.

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