Par Caroline De Vit et Frédéric Gagnon-Lebrun, ÉcoRessources Consultants
Mots-clés : gaz à effet de serre (GES), pays émergents, Accord de Copenhague, atténuation, changements climatiques, pays visés à l’Annexe 1.
Depuis quelques mois, les pays émergents [1], non soumis à des obligations de réductions d’émissions de gaz à effet de serre (GES) sous le Protocole de Kyoto, annoncent des mesures nationales de réduction de leurs émissions de GES. Bien que ce signal politique ait son importance à la veille de la 16ème session des négociations internationales sur le climat qui a lieu à Cancún, il ne permettra sûrement pas à lui seul un déblocage des négociations puisqu’il s’agira d’abord de rétablir la confiance entre les pays. Les pays visés à l’Annexe 1 de la Convention Climat de 1992, considérés comme des pays développés, et comme principaux bailleurs de fonds pour la réalisation d’actions d’atténuation dans les pays en développement, souhaitent une reddition de compte de la part de ces pays sur les mesures menées. Contestant tout droit de regard sur leurs politiques intérieures, les pays en développement (PED) répliquent avec véhémence que certains pays développés ne pourront pas garantir le respect des objectifs de réduction ambitieux auxquels ils se sont engagés à Kyoto en 1997.
Le climat : une affaire nationale? La défense des intérêts nationaux n’est pas surprenante au sein des forums internationaux, même lorsque les négociations portent sur un bien commun tel l’environnement, et plus précisément sur le climat. Et lorsqu’il faut décider d’un régime international de réglementation des émissions de GES pour la période après 2012, cette tendance ne pas fait exception. Rappelons que, depuis l’adoption du Protocole de Kyoto, de nombreux pays non soumis aux cibles de Kyoto occupent désormais un rang plus élevé qu’en 1997 sur la liste des plus grands émetteurs de GES. Leur situation économique a également évolué de façon remarquable. À ce titre, la Chine occupe le premier rang d’émetteur mondial depuis 2005 [2].
Les avancées depuis Copenhague Ce constat alimente de vifs désaccords qui bloquent les négociations internationales sur le climat depuis la conférence de Bali en 2007. Et quoiqu’en disent les impatients, l’Accord de Copenhague a engendré une importante avancée sur les responsabilités à départager entre les pays grands émetteurs de GES. En effet, depuis la déclaration politique de «l’Accord de Copenhague» il y a un an, plusieurs pays émergents ont démontré à la communauté internationale leur volonté de se pourvoir d’objectifs de réductions d’émissions de GES. Par exemple, le Brésil propose une réduction des émissions de GES de 36,1 % à 38,9 % par rapport au cours normal des affaires d’ici 2020. La Chine indique également une réduction des émissions de dioxyde de carbone par unité de Produit Intérieur Brut (PIB) de 40 à 45 % d’ici à 2020 par rapport à 2005. De telles annonces, même si elles ne constituent pas des engagements contraignants et qu’elles maintiennent à leur faveur une implication financière de la part des pays développés, sont encourageantes pour la suite des négociations. Elles répondent à une attente répétée de la plupart des pays visés l’Annexe 1 qui conditionnent leur prise d’engagements ambitieux à l’action des pays émergents.
L’impasse pour les pays développés Mais il semble que cette démonstration de bonne foi ne suffira pas. Les pays développés se retrouvent aujourd’hui dans une situation inconfortable. L’attentisme qu’ils ont pratiqué depuis 1997 alourdit le poids des cibles qu’il leur est demandé de prendre et ils ne souhaitent pas avancer des cibles qu’ils ne pourront pas intégrer aux législations nationales. Ainsi, à Cancun, il n’est pas attendu des États-Unis qu’ils avancent une cible supérieure à 17 % de réduction par rapport aux émissions de 2005 d’ici à 2020, (soit une réduction de prés de 4 % par rapport aux émissions 1990) [3], un niveau de réduction inférieur au 5 % exigé des pays développés par le Protocole de Kyoto, d’ici à 2012. D’autres pays développés, comme le Canada ou l’Australie, sont maintenant certains de ne pouvoir respecter leurs cibles de Kyoto d’ici à 2012 [4]. Ce constat inspire la méfiance des pays en développement qui doutent des engagements des pays développés pour l’atténuation et le financement.
Dénouer le blocage Pour dénouer le blocage, les négociateurs devront trouver des moyens de renforcer la confiance des pays les uns envers les autres. Comme l’augmentation de l’ampleur des objectifs des pays développés est improbable à Cancún, cela passera forcément par une preuve tangible de soutien de la part des pays développés et par un compromis sur le niveau de transparence requis des pays en développement. Ce défi sera énorme dans un contexte où les États sont aux prises avec des restrictions budgétaires et des dettes nationales qui les fragilisent. Devant cet état de fait, il n’est pas gagné d’avance que les garanties de financement puissent seules inciter les pays en développement au compromis recherché sur un éventuel droit de regard sur leurs politiques nationales. Il faut donc s’attendre à ce que les pays avancent sur les tables de négociation des propositions visant à créer ce climat de confiance en vue de la signature d’un accord dans les prochains mois. Ce temps supplémentaire permettrait aussi aux législations nationales de ne plus constituer des obstacles à l’atteinte d’un consensus sur l’ampleur et le partage de l’effort d’atténuation. Dans un tel contexte, faire avancer l’agenda national de chaque pays sur le climat s’avère crucial.
Par Caroline De Vit, ÉcoRessources Consultants Analyste sénior chez ÉcoRessources Consultants, Caroline concentre son expertise sur les négociations internationales en changements climatiques, notamment sur les problématiques liées à un régime des changements climatiques post-2012 et à leurs implications pour divers secteurs de l’industrie. Co-auteure du guide des négociations de l’IEPF, elle participe à la 16e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), à Cancùn, Mexique. Caroline est titulaire de deux Masters en droit international et comparé de l’environnement ainsi qu’en relations internationales et politiques publiques.
et Frédéric Gagnon-Lebrun, ÉcoRessources Consultants Frédéric Gagnon-Lebrun est directeur changements climatiques de ÉcoRessources Consultants. Frédéric Gagnon-Lebrun a plus de neuf ans d’expérience dans les problématiques et projets liés au marché du carbone et aux changements climatiques. Co-auteur du guide des négociations de l’IEPF, Frédéric a participé aux sessions de négociation en changements climatiques de Bonn (Allemagne) en août dernier et de Tianjin (Chine) en octobre dernier. Il est également présent à la 16e Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), à Cancùn, Mexique. Frédéric Gagnon-Lebrun est titulaire d’un baccalauréat en sciences atmosphériques et océaniques de l’Université McGill et d’une maîtrise en environnement et développement de la London School of Economics (LSE). [1] Tels par exemple, la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, mais aussi le Mexique, la Corée du Sud, etc. [3] Selon un calcul effectué avec les données du Climate Analysis Indicators Tool (CAIT) Version 7.0. [En ligne] [4] Entre 1990 et 2005, les émissions de GES (excluant le secteur de l’Utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie – UTCATF) du Canada ont augmenté de 27 % et celles de l’Australie de 38,7 %.
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