Un journaliste (J) interroge le président de Quesslac (Q) sur la nouvelle technique d’hydrofractage en cours d’implantation sur 20 000 lacs au Québec.
J. Vous détenez 15% des permis de pêche sur les 20 000 lacs que le gouvernement a vendus récemment à l’industrie. Parlez-nous de votre compagnie et sa nouvelle technique de pêche.
Q. Oui 15% seulement; hélas nous n’avons pas été assez rapides pour acheter tous les permis en même temps. Dès que les autres se sont aperçus qu’une nouvelle technique, appliquée avec les trous des règlements existants au Québec, permettait de faire la passe du siècle, elles se sont toutes précipitées aussi, y compris d’anciens ministres bien au courant des trous dans la loi existante!
Quesslac Ltd est une multinationale des pêcheries établie à St-John, Newfoundland. Récemment, nous avons acheté une licence d’utilisation de la technique inventée par Texas Lakes and Gulfcoast Ltd, qui permet de récupérer le poisson des lacs à bien moindre coût que la pêche à la ligne traditionnelle.
J. Quelle est cette technique révolutionnaire?
Q. La méthode d’hydrofractage consiste à disposer sur la surface des lacs à tous les 100 m des petites bouées contenant un mélange tout à fait formidable et secret de composés chimiques. Pour un lac de 10 Km2 ça demande donc un millier de ces petites bouées. Une fois les bouées mises en place sur le lac à exploiter, un émetteur déclenche l’ouverture simultanée de tous les petits contenants. La poudre dense descend dans l’eau et, à trois mètres de profondeur exactement, une réaction chimique avec l’eau produit simultanément dans l’ensemble du lac une très brève onde de choc qui tue instantanément les poissons de l’ensemble du lac et …
J. Monsieur Quesslac je vous interromps ! Votre technique c’est la pêche à la dynamite et c’est interdit !
Q. Monsieur le journaliste, à mon tour de vous interrompre. Notre technique, n’est absolument pas de la pêche à la dynamite; il y a des règlements qui interdisent la dynamite. Non, notre mélange secret ne contient aucun ingrédient de la dynamite. Nous utilisons seulement des produits du même type que ceux que vous avez sous votre évier de cuisine. De plus, après avoir réagi, les produits de la réaction chimique avec l’eau forment des petits granules noirs plus denses que l’eau, qui vont se sédimenter tout doucement au fond du lac. Nous avons testé l’eau des 18 lacs où nous avons fait les premiers essais et c’est conforme à toutes les normes existantes. En ce qui a trait aux poissons, en moins d’une heure, ils flottent à la surface et nous les récupérons en raclant la surface du lac avec un filet flottant.
J. Tous les poissons sont récupérés de cette façon?
Q. Non pas tous les poissons. La technique permet de récupérer 20% des poissons. Quatre poissons sur cinq coulent plutôt à pic, et ceux-là c’est trop compliqué et pas rentable de tenter de les récupérer. Mais vos lacs sont tellement poissonneux qu’avec 20%, c’est malgré tout très rentable comme opération; il faut dire que les permis de pêche ne sont qu’à 10¢/jour.J. Seulement 10¢/jour ! N’est-ce pas ridicule comme prix?
Q. On a des grosses dépenses; il faut se rendre aux lacs les plus éloignés en hélico, etc. On paie le même tarif établi pour les pêcheurs à la ligne; eux n’ont qu’une chance sur cent d’attraper une truite par jour, il est vrai; c’est pour ça que le tarif a été établi si bas, mais bon, ils n’ont qu’à acheter notre brevet si ils ont vraiment l’esprit d’affaire et d’entreprise comme nous. Avec de l’esprit d’entrepreneuriat nous avons perfectionné la technique et en une heure, nous pouvons récolter 100 000 truites. Ça fait cruellement défaut ça au Québec l’esprit d’entrepreneuriat. Nous on vient créer des jobs chez vous : presque tous les ramasseurs de poissons, c’est de la main- d’œuvre locale.
J. Payez-vous des redevances sur la ressource exploitée?
Q. Oui, c’est 15% de la valeur des poissons vendus. Cependant on a bien négocié avec le Québec et comme notre technique est nouvelle, on leur a expliqué qu’en fait, on fait de la recherche. Comme je le disais récemment à nos actionnaires, tous nos frais d’exploitation sont ainsi déductibles d’impôt et nous avons même en prime un congé de redevance pour les cinq premières années.
J. Mais vous ne faites pas de la recherche ! Les lacs sont déjà trouvés, inventoriés et cartographiés par le gouvernement. Les compagnies forestières avec leurs droits de coupe ne font pas de l’exploration pour trouver les forêts, pas plus que vous pour trouver les lacs!
Q. Les compagnies forestières sont très mal organisées côté lobbyistes; ils n’ont qu’un ancien ministre pour discuter avec le gouvernement; nous on a payé le gros prix pour avoir un ancien premier ministre!
J. La détonation simultanée de centaines, voire de milliers, de ces petits contenants doit faire un bruit terrible?
Q. Seulement un léger bruit sourd et très atténué; comme je vous l’ai expliqué, ça se passe sous la surface du lac; en surface on entend presque rien. L’orignal qui brame produit beaucoup plus de décibels ! En termes de décibels, cela se compare plutôt à un pet d’orignal.
J. Tous ces granules chimiques qui sédimentent au fond des lacs, n’y a-t-il pas un risque à long terme?
Q. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de l’environnement. Ils n’ont pas encore de fonctionnaires qui connaissent ce dossier, mais c’est une opportunité pour eux de venir sur nos bateaux; nous avons une occasion unique de les former et de les informer avec ce nouveau procédé. Nous avons même invité des hauts fonctionnaires et ministres à venir s’informer aussi des autres techniques de pêche que notre division « mers tropicales » utilise sur notre bateau des Îles Vierges. Pour la question des granules chimiques, les inspecteurs du gouvernement font des tests d’eau en surface une semaine après l’hydrofractage et ça passe les normes existantes; de toute façon nos ingrédients sont secrets et je ne pense pas qu’ils sont inclus dans ces analyses. Pour le long terme, on n’y connais rien, les fonctionnaires non plus. De toute façon, nous une semaine plus tard on est déjà rendus au lac suivant. N’insistez pas trop je vous prie sur ces questions; on l’a bien expliqué aux fonctionnaires : si vous chipotez sur ces questions
et imposez des normes trop embêtantes, notre multinationale ira créer ces jobs dans des pays moins pointilleux.
J. Justement certains pays, comme la France récemment, remettent en question la méthode d’hydrofractage des lacs…
Q. Oui certes c’est leur droit. Vous connaissez les Français; ils chipotent sur les détails. Ils prétendent que le poisson ainsi exploité a un goût altéré. Notre division mise en marché des produits finis congelés transforme ce poisson en excellents bâtonnets qui se retrouvent dans tous les supermarchés en Amérique du Nord. Le poisson est un bon produit, un aliment santé recommandé comme excellent substitut pour la viande, avec une empreinte écologique bien moindre aussi. C’est pour ça que par Texas Lakes and Gulfcoast Ltd a pu obtenir que sa technique d’hydrofractage soit soustraite de l’application de la loi Clean Lakes Act aux USA. Il y a un seul hic sur l’aspect commercial; depuis que la technique d’hydrofractage des lacs s’est répandue partout sur la planète, le prix du poisson a baissé.
Lac Plan Nord, comté Grande-Baleine, juin 2011
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