Évaluation environnementale stratégique et Loi sur la qualité de l'environnement

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Par Me Jean Baril, LL.M.
Doctorant à la faculté de droit de l’Université Laval et chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement


Mots clés : Évaluation environnementale stratégique, Gaz de schiste, Participation publique, Droit international, Loi sur la qualité de l’environnement

 

Suite au rapport, en mars 2011, de la commission d’enquête du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE) sur l’industrie des gaz de schiste, le gouvernement du Québec a annoncé, en mai, la formation d’un comité pour piloter une évaluation environnementale stratégique (ÉES) de cette industrie [1]. Cependant, le mandat, le processus de sélection, la composition et la nomination des membres de ce comité font l’objet de nombreuses critiques, particulièrement au sein des milieux environnementaux [2]. Il nous apparaît important de situer ces débats dans un cadre plus large afin de montrer l’importance d’exiger l’inclusion formelle d’une procédure d’évaluation environnementale stratégique dans la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE).

 

Historique de l’évaluation environnementale stratégique

Dans son rapport, le BAPE n’a pas « sorti un lapin de son chapeau » en proposant une évaluation environnementale stratégique du développement de l’industrie des gaz de schiste. Sur le plan international, la volonté d’inscrire l’évaluation des impacts en amont des projets particuliers, dès l’étape de la planification des projets de politiques, des plans et des programmes est de plus en plus présente, de façon à favoriser une planification territoriale, sectorielle ou régionale. On nomme alors cette procédure « évaluation environnementale stratégique ».  Ainsi, le programme Action 21, adopté à Rio de Janeiro en 1992, favorise l’évaluation des impacts environnementaux non seulement des projets de développement, mais aussi des politiques et programmes gouvernementaux [3]. Dès 1998, la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (Convention d’Aarhus) prévoit « que le public participe à l’élaboration des plans et programmes relatifs à l’environnement dans un cadre transparent et équitable, après lui avoir fourni les informations nécessaires » [4]. En 2001, l’Union européenne adopte une directive sur l’évaluation de certains plans et programmes sur l’environnement, pour se conformer aux engagements pris en vertu de la Convention d’Aarhus [5]. Puis, faisant suite à la Convention sur l’évaluation d’impacts sur l’environnement dans un contexte transfrontière, 35 pays membres de la Commission économique des Nations unies pour l’Europe ont signé, en mai 2003, le Protocole sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement des décisions stratégiques [6], qui est entré en vigueur, le 11 juillet 2010. L’Union européenne l’ayant ratifié, ce Protocole fait maintenant partie de l’encadrement juridique des 27 pays membres.

Au Canada, une Directive du Cabinet sur l’évaluation environnementale des politiques, des plans et des programmes existe depuis 1990. Une nouvelle directive adoptée en 1999 vient renforcer cette préoccupation. Elle vise tout projet de politique, plan ou programme qui requiert l’approbation d’un ministre ou du Cabinet et dont la mise en œuvre peut entraîner des effets significatifs, tant positifs que négatifs, sur l’environnement [7].

Au Québec, il n’y a pas de procédure spécifique d’évaluation environnementale stratégique. Pourtant, les rapports de la Commission Lacoste [8] et de la Commission de l’aménagement et de l’équipement [9] l’ont proposée il y a déjà longtemps.  En 1998, le Comité interministériel sur le développement durable a créé un groupe de travail sur cette question, qui a remis son rapport en 2000 [10]. Aucune suite n’y a été donnée. Le rapport 2003-2004 du Vérificateur général du Québec déplorait que l’évaluation environnementale stratégique ne soit pas employée dans les processus décisionnels du gouvernement provincial. Actuellement, le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs utilise, quand il le veut bien, son pouvoir général de demander au BAPE de tenir une enquête et des audiences [11], pour soumettre à l’examen public des plans, politiques ou programmes (ex. : la production porcine, la question de l’eau, la valorisation des déchets, etc.). On parle alors « d’audiences génériques » du BAPE, généralement déclenchées sous la pression populaire et pour répondre à des crises sociales, comme ce fût le cas pour le mandat donné au BAPE concernant l’industrie des gaz de schiste.

 

Les effets néfastes de l’absence d’encadrement légal de l’ÉES au Québec

Contrairement à ce qui existe pour l’évaluation et l’examen des impacts sur l’environnement des projets particuliers de développement, il n’existe donc aucune procédure encadrant légalement la tenue d’une ÉES au Québec. En effet, aucune règle de droit n’assujettit les plans, politiques ou programmes du gouvernement à l’évaluation de leurs impacts, aucun organisme officiel n’a le mandat de mener ces évaluations, aucune règle de procédure ne formalise les droits à l’information et à la participation du public et il n’y a pas de code d’éthique encadrant les membres pilotant ce type d’évaluation. Cela fait en sorte qu’un ministre a toute discrétion pour décider des sujets, du type de mandat, de la durée, de la composition et de la nomination des membres devant mener à bien de telles évaluations. C’est d’ailleurs pourquoi le ministère des Ressources naturelles et de la Faune mène présentement un Programme d’évaluations environnementales stratégiques sur la mise en valeur des hydrocarbures en milieu marin [12] avec des modalités tout à fait différentes de celles annoncées par le MMDEP concernant les gaz de schiste. Avec un point commun cependant : un manque d’information et de participation du public.

Cette absence d’encadrement réglementaire peut facilement mettre en péril l’utilité et la légitimité d’une ÉES et c’est d’ailleurs ce qui risque de se produire avec celle en cours concernant les gaz de schiste. Nous constatons que trois mois après la nomination du comité devant piloter cette ÉES, il n’existe toujours aucun site internet informant le public des travaux effectués et à venir, des modalités de consultation du public, des enjeux qui seront analysés, des échéanciers et des documents d’analyse utilisés, etc. Il s’agit de lacunes importantes aux principes de participation publique et d’accès à l’information que l’on retrouve pourtant dans la Loi sur le développement durable.

Selon nous, ce n’est pas sur les personnes nommées pour mener cette évaluation que le débat et les critiques devraient porter. Ce type de débat, malheureusement récurrent au Québec, occulte les enjeux de fond, contribue au cynisme ambiant, tout en ne dégageant pas de perspectives d’avenir ni de modifications profondes et durables à nos modes de fonctionnement en société. Il faut se souvenir des critiques sévères faites par certains concernant le passé, ou les affiliations supposées, des personnes nommées pour siéger à la « Commission Coulombe sur la forêt », à la « Commission Pronovost  sur l’agriculture » ou encore à la récente commission du BAPE sur les gaz de schiste. Pourtant, les rapports de ces commissions ont été ensuite généralement fort bien accueillis et les milieux environnementaux en exigent d’ailleurs l’application par le gouvernement.

 

Pour éviter de toujours recommencer les mêmes débats

Il nous apparaît donc important d’insister pour que la société civile et les différents milieux qui la composent s’unissent pour réclamer l’intégration dans la Loi sur la qualité de l’environnement d’un cadre formel pour l’évaluation environnementale stratégique des politiques, plans et programmes gouvernementaux, à l’instar de ce qui existe pour l’évaluation de projets particuliers [13]. Cela permettrait à tous de connaître quand, comment et sur quels sujets de telles évaluations seraient obligatoirement entreprises et de s’y préparer en conséquences. Au lieu de mettre autant d’énergie et d’attirer l’attention des médias autour de questions liées à des individus, nous pourrions alors nous consacrer plus à fond à l’évaluation des enjeux fondamentaux. Que ce soit ceux reliés au gaz de schiste, au Plan métropolitain d’aménagement et de développement ou au Plan Nord…

 


[2] En réaction à ces critiques, le ministre Pierre Arcand vient de nommer un membre devant « représenter les groupes environnementaux ». Voir, en ligne : http://www.mddep.gouv.qc.ca/infuseur/communique.asp?no=1926

[3] NATIONS UNIES, Action 21, Rio de Janeiro. Chapitre 8.5. [En ligne].  http://www.un.org/french/events/rio92/agenda21/action8.htm   

[4] COMMISSION ÉCONOMIQUE DES NATIONS UNIES POUR L’EUROPE, Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, Aarhus, 1998, Doc. UN ECE/CEP/43 (1998), Art. 7 [En ligne]. http://www.unece.org/env/pp/documents/cep43f.pdf

[5] Directive 2001/42/CE

[6] NATIONS UNIES,  Doc. ECE/MP.EIA/2003/2. [En ligne]. http://www.unece.org/env/eia/documents/protocolfrench.pdf

[8]Paul LACOSTE, L’évaluation environnementale : une procédure à généraliser, une procédure d’examen à parfaire, rapport du Comité de révision de la procédure d’évaluation des impacts environnementaux, Québec, Gouvernement du Québec, 1988, 169 p.

[9]GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, La procédure d’évaluation des impacts sur l’environnement, Rapport de la Commission parlementaire de l’aménagement et des équipements, Québec, Gouvernement du Québec, 1992, 72 p.

[10] Pierre ANDRÉ, Claude E. DELISLE et Jean-Pierre REVÉRET, L’évaluation des impacts sur l’environnement : Processus, acteurs et pratiques, Montréal, Presses internationales Polytechnique, 2e éd., 2003, p. 413.

[11] Loi sur la qualité de l’environnement, L.R.Q., c. Q-2, art. 6.3

[13] L’Association québécoise pour l’évaluation d’impacts (AQÉI) milite depuis des années en ce sens. Voir : http://www.aqei.qc.ca/posit/LettreAuMinistreArcand2011.htm

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