Les températures qui prévalent actuellement à la limite nord de l'Amérique du Nord sont les plus chaudes du dernier millénaire. C'est ce que suggère une étude publiée le 24 octobre par des chercheurs du Centre d'études nordiques dans Proceedings of the National Academy of Sciences. Les chercheurs arrivent à cette conclusion après avoir reconstitué l'évolution de la plus grande plateforme de glace de l'Arctique sur une période de huit millénaires.
Le nord de l'île d'Ellesmere, au Nunavut, est bordé par une plateforme de glace depuis quelques milliers d'années. Formée par l'accumulation d’eau de mer gelée et de neige, cette étendue de glace couvrait une superficie de 8900 km2 au début du 20e siècle. Au cours des cent dernières années, la plateforme a fondu et elle s'est morcelée en six plateformes distinctes. Leur érosion s'est poursuivie depuis si bien que les plateformes restantes ne couvrent plus que 700 km2.
Ce qui était jusqu'à cet été la plus grande des plateformes subsistantes, Ward Hunt, se trouve à l'embouchure du fjord Disraeli, où elle faisait office de barrage. Le «lac» ainsi formé était composé d'une couche supérieure d'eau douce (63 mètres), provenant de la fonte de la neige et de la glace du bassin versant, et d'une couche d'eau salée (plus de 300 mètres par endroits). Des organismes d'eau douce et d'eau salée coexistaient donc dans ce «lac», le plus grand du genre dans l'hémisphère Nord, jusqu'à ce que la rupture de la plateforme, en 2001, en provoque la vidange.
Pour déterminer si pareil scénario s'était déjà produit dans le passé, Dermot Antoniades, Pierre Francus, Reinhard Pienitz et Warwick Vincent, du CEN, et leur collègue Guillaume St-Onge, de l'UQAR, ont analysé des carottes de sédiments prélevées au fond du fjord Disraeli. La présence de la plateforme de glace influence la géochimie des eaux du fjord et le type d'organismes vivants qu'on y trouve, explique Reinhard Pienitz. Il est donc possible d'établir s'il y avait présence ou absence de la plateforme à différentes époques en étudiant les sédiments déposés au fil des siècles.
Selon les analyses des chercheurs, la plateforme de glace Ward Hunt s'est formée il y a environ 4000 ans à la faveur d'un refroidissement du climat. Elle est demeurée stable pendant trois millénaires avant de se fracturer il y a 1400 ans. «Cette fracturation correspond au réchauffement climatique de l'époque médiévale, souligne le professeur Pienitz. On l'attribue à des phénomènes naturels comme le volcanisme, l'activité solaire ou la configuration orbitale de la Terre.» La plateforme s'est toutefois reformée il y a 800 ans et elle s'est maintenue jusqu'au début du 21e siècle. Son érosion aurait repris dans les années 1950 et elle a conduit à sa fracturation et à la vidange totale du lac il y a 10 ans.
«La disparition des plateformes de glace de l'île d'Ellesmere à laquelle nous assistons depuis quelques années n'est donc pas sans précédent, commente le professeur Pienitz. Par contre, nos données indiquent que la plateforme Ward Hunt était présente pendant la plus grande partie des 4000 dernières années. Sa fracturation et la disparition du lac qui a suivi sont des événements importants qui indiquent que le climat à la limite nord de l'Amérique du Nord n'a jamais été aussi chaud depuis 1000 ans. La rapidité avec laquelle ces événements sont survenus suggère fortement que les activités humaines sont en cause.»
Le chercheur n'exclut pas que ces plateformes puissent se reformer si le climat se refroidissait. «Leur désintégration a été très rapide, mais il faudrait probablement des siècles pour qu'elles se reconstituent», précise-t-il toutefois.