Par Me Jean Baril, LL.M.
Doctorant à la faculté de droit de l’Université Laval, chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement[1].
Mots clés : Droit international de l’environnement, Conférence des Nations Unies sur le développement durable, Sommet de la terre, participation publique, société civile.
Vingt ans après le Sommet de la terre de 1992, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté la tenue d’une Conférence des Nations Unies sur le développement durable (CNUDD)[2], aussi appelée «Rio + 20», qui se tiendra au même endroit, du 4 au 6 juin 2012. Cette conférence cherchera à obtenir des engagements politiques renouvelés en faveur du développement durable, à évaluer les progrès et les lacunes dans la mise en œuvre des engagements déjà existants et à voir comment relever les défis émergents. À cet égard, l’Assemblée générale de l’ONU a décidé que les deux thèmes retenus pour la conférence seraient « une économie verte dans l’optique du développement durable et de l’éradication de la pauvreté » ainsi que « le cadre institutionnel du développement durable ».
Rappelons que le Sommet de Rio de 1992 marque un jalon extrêmement important dans l’histoire du droit international de l’environnement et la prise de conscience planétaire des enjeux environnementaux. Outre les conventions sur les changements climatiques et la biodiversité qui y furent signées, la déclaration finale sur l’environnement et le développement produite à cette occasion représente toujours un document de référence incontournable. En plus de consacrer à l’échelle internationale le développement durable comme nouveau paradigme, ce sommet a conduit à de nombreuses transformations dans les États nationaux. Par exemple, le Québec s’est doté d’un commissaire au développement durable, d’une loi sur le développement durable explicitant les principes juridiques essentiels pour le réaliser[3], d’une stratégie, de plans et d’indicateurs, etc. Il faut donc être conscient que même si le droit international de l’environnement peut paraître « lointain » et « désincarné », il peut aussi influencer profondément les actions de nos gouvernements ainsi que notre environnement immédiat.
Un processus de préparation qui donne une place aux sociétés civiles
Le droit de l’environnement et du développement durable considère essentiel la participation du public et de la société civile et cela même dans les instances internationales autrefois réservées aux représentants des États. La préparation de « Rio + 20 » ne fait pas exception et le Secrétariat chargé de l’organisation de la conférence a mis en place un certain nombre de mesures visant à consulter les ONG ainsi que les représentants de la société civile et recueillir leurs contributions. Le 1er novembre 2011 marquait la date limite pour ce faire. Au Québec, c’est le 21 septembre dernier qu’a eu lieu une des dix réunions de consultations tenues à travers le Canada par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement en collaboration avec le Réseau canadien de l’environnement et le Centre de droit international du développement durable[4]. Seulement une trentaine de représentants de la société civile y ont participé, ce qui laisse deviner un manque d’information quant à la tenue de cette consultation ou un manque d’intérêt. Ou les deux…
À titre de comparaison, à la fin septembre, nous avons eu le privilège d’assister à la « 3e réunion mondiale des juristes et des associations de droit de l’environnement » qui s’est tenue à Limoges (France) et qui visait, là aussi, à préparer Rio+20 en soumettant des propositions devant influencer les débats entourant cette conférence internationale. Dans le passé, une réunion mondiale semblable avait aussi été organisée pour préparer le Sommet de Rio de 1992 ainsi que celui de Johannesburg de 2002. Plus de 230 juristes des cinq continents y étaient présents (dont seulement deux du Canada) et l’ambitieux programme des 3 jours de réunion était sans aucune mesure avec ce qui s’est passé à Montréal. Discussions autour de nouveaux principes juridiques à faire adopter sur la scène internationale, tel que le principe de non-régression en droit de l’environnement, ainsi que de nouvelles conventions internationales contraignantes à mettre de l’avant, comme, par exemple, le projet de convention mondiale sur l’environnement de l’UICN, celui sur la pollution d’origine tellurique des mers et des océans ou l’élargissement de la Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice en matière d’environnement[5]. Mais aussi, discussions et propositions autour de la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, d’une Cour internationale de l’environnement ainsi que du poids et de la place de la société civile et des ONG en droit international de l’environnement, etc. Le tout résultant dans un texte intitulé « L’appel de Limoges » qui a été remis au comité préparatoire de Rio+20 de l’ONU et qui continuera certainement d’alimenter les réflexions et les débats[6].
Il est impossible de résumer ici la teneur de l’ensemble des discussions tenues à Limoges et tel n’est pas notre objectif. Cependant, il est étonnant de voir de si importantes différences entre les réunions préparatoires de Limoges et de Montréal, tant au niveau de la participation des juristes spécialisés en environnement que de celle des ONG et de la société civile. Il s’agit pourtant d’une rare occasion de participer à l’organisation d’une importante conférence internationale pour le développement du droit de l’environnement et du développement durable.
L’importance de la société civile pour faire bouger les États
La préparation de Rio +20 mérite d’autant plus l’attention de la société civile que les États semblent actuellement loin d’avoir les niveaux de préparation et d’ambition qui prévalaient en 1992 et qui ont conduit aux résultats que l’on sait. Faute d’une implication et de pressions vigoureuses des sociétés civiles du monde entier, « Rio +20 » risque de n’être que la simple célébration d’un anniversaire ou de tomber dans l’oubli comme la conférence onusienne de Monterrey de 1982. Pourtant, de nombreux problèmes environnementaux, économiques et sociaux nécessitent, plus que jamais, une intervention vigoureuse sur le plan international. De nouveaux outils doivent être adoptés, une nouvelle impulsion doit être donnée et Rio +20 doit faire une place à la société civile et à ses revendications.
Il faut aussi nous questionner sur l’implication des gouvernements canadien et québécois dans la préparation de cette conférence. Le Canada a fait connaître sa position officielle[7] et elle est franchement décevante, ce qui n’est guère surprenant compte tenu des positions conservatrices en matière d’environnement. Cependant, l’environnement est une compétence partagée au Canada et le premier ministre du Québec a déjà déclaré, concernant le sommet de Copenhague sur les changements climatiques, que le gouvernement fédéral ne peut pas engager les provinces dans leurs domaines de compétences et que le Canada devait consulter les provinces pour déterminer une position commune à défendre sur la scène internationale[8]. M. Charest ayant assisté au sommet de Rio de 1992, à titre de ministre de l’Environnement du Canada à l’époque, nous souhaitons vivement que son gouvernement joue un rôle actif et se joigne à la société civile pour forcer le Canada à jouer un rôle plus positif dans l’organisation de Rio +20. Par exemple, le Canada pourrait annoncer qu’il s’engage à ratifier la Convention d’Aarhus ce qui enverrait un signal fort à la communauté internationale et entraînerait des changements non négligeables au pays quant à l’accès à l’information et à nos mécanismes de participation publique en matière d’environnement. D’ailleurs, les signataires de cette convention ont l’obligation de défendre l’information et la participation des ONG dans les instances internationales, ce qui explique aussi l’importance de la participation actuelle des ONG européennes dans la préparation de Rio +20 comparé à ce que nous observons au Québec et au Canada.
Conclusion
Plusieurs problématiques environnementales ne connaissent pas le cadre étroit des frontières étatiques et exigent, pour leurs solutions, des ententes internationales négociées. À Rio, en 1992, l’humanité a fait un pas en ce sens. À l’approche de 2012, la population de la planète vit au quotidien les conséquences sociales, économiques et environnementales de nos modes de production et de consommation néfastes. Les représentants de la société civile doivent faire entendre la voix des plus démunis et exiger des États qu’ils prennent toutes les mesures pour faire du sommet « Rio +20 » un succès et un jalon supplémentaire dans l’édification d’un droit international qui préserve la survie de l’humanité.
[1]L’auteur prononcera une conférence au sujet de Rio +20 à l’université Laval, le 17 novembre. Voir : http://www.crcde.ulaval.ca
[2]NATIONS UNIES, A/RES/64/236, 31 mars 2010.
[3]Le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se sert d’ailleurs de ces 16 principes juridiques comme grille d’analyse.
[4]On peut trouver le compte-rendu de cette réunion au….
[5]Sur cette convention, voir : http://www.gaiapresse.ca/analyses/une-convention-internationale-sur-la-participation-publique-a-decouvrir-et-a-ratifier-114.html
[6]Pour le programme de cette réunion et le texte de l’appel de Limoges : http://www.cidce.org