Par Fabien Durif
Professeur à l'ESG-UQÀM et Directeur de l'Observatoire de la consommation responsable
Mots-clés : tourisme durable, consommation responsable, valeurs et risques perçus, environnement, Spa Eastman
« Les destinations qui ne se préoccuperont pas du développement durable de leurs attraits seront de moins en moins fréquentées à l’avenir.» (Archambaut, M., Le développement durable en tourisme et le contexte économique actuel, un frein ou une occasion à saisir? Symposium International sur le développement durable du tourisme, Québec, Canada, 2009).
Le tourisme durable, une solution aux préjudices du tourisme de masse. En réponse au changement climatique mondial et aux sources de nuisances environnementales, économiques, culturelles et sociales provoquées par les activités touristiques traditionnelles, le tourisme durable se positionne aujourd’hui comme une alternative plus que crédible. Selon l’Organisation Mondiale du Tourisme (2004), le TD doit : « (1) exploiter de façon optimum les ressources de l'environnementqui constituent un élément clé de la mise en valeur touristique, en préservant les processus écologiques essentiels et en aidant à sauvegarder les ressources naturelles et la biodiversité;(2) respecter l'authenticité socioculturelle des communautés d'accueil, conserver leurs atouts culturels bâti et vivant et leurs valeurs traditionnelles et contribuer à l'entente et à la tolérance interculturelles; et (3) assurer une activité économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes des avantages socioéconomiques équitablement répartis, notamment des emplois stables, des possibilités de bénéfices et des services sociaux pour les communautés d'accueil, et contribuant ainsi à la réduction de la pauvreté. ».Si depuis le début des années 1980, le tourisme durable connait une popularité croissanteaussi bien du côté de l’offre que de la demande touristique, dans le contexte actuel de coexistence d’une crise économique mondiale et d’une inquiétude environnementale, plusieurs questions se posent : Doit-on obligatoirement délaisser son confort pour pratiquer le tourisme durable? Le tourisme durable peut-il se vivre proche de chez soi? Peut-on concilier tourisme durable et tourisme de masse? Quels sont les moyens pour amener le touriste à être plus responsable?Et enfin, le tourisme durable peut-il être rentable? Le tourisme durable, un phénomène en pleine émergence au Québec. En 2005, Tourisme Québec a formalisé son engagement en publiant « Vers un tourisme durable – Politique touristique du Québec »[1]. L’objectif principal de cette politique est «que le tourisme devienne, durant toute l'année, une source de richesses économique, sociale et culturelle pour toutes les régions du Québec, et ce, dans les respect des principes du développement durable. ». En mai 2007, l’état d’avancement de la mise en œuvre de la Politique touristique du Québec a été publié. Cependant le secteur n’est pas encadré par une certification officielle provinciale ou fédérale, laissant ainsi libre jeu au développement de certifications professionnelles et/ou de tierces parties, rendant de ce fait complexe à la fois l’identification par les touristes d’activités touristiques réellement durables et l’opérationnalisation des principes du tourisme durable par les différents acteurs touristiques qui y sont intéressés. En outre, comme dans tous les secteurs du marché de la consommation responsable, il subsiste un écart important entre le niveau de préoccupations durables des consommateurs, généralement élevé, et le choix d’activités touristiques durables, pour l’instant encore en émergence. Les québécois sont-ils vraiment prêts à adopter le tourisme durable? Une étude approfondie des comportements touristiques des Québécois.Nous avons mené une étude de cas du Spa Eastman en Estrie, en analysant à la fois l’offre de services touristiques durables (entrevues des dirigeants, données secondaires) et la demande (deux groupes de discussion de touristes, expérimentation via une enquête quantitative de 750 personnes enregistrées dans la base de données de Tourisme Cantons-de-l’Est[2]). L’objectif de notre étude était de comprendre si les valeurs et les risques perçus des consommateurs envers le tourisme durable avaient un impact sur leurs choix d’activités touristiques dites durables.
Des résultats qui en disent long sur l’importance actuelle de l’environnement aux yeux des québécois :(1) Le Spa Eastman est un pionnier du tourisme durable au Québec La prise en compte du développement durable fait partie intégrante de la philosophie du Spa Eastman, créé en 1977, et ce en grande partie en raison d’une véritable idéologie initiée par les propriétaires de l’établissement. En effet, il s’agit d’un mode d’action bien établi régissant les règles de conduite aussi bien des employés que des clients, dans une finalité de sensibilisation et de changements d’habitudes de consommation. Les efforts du Spa Eastman sont particulièrement importants au niveau environnemental. Un programme de 24 objectifs autour de 147 actions a été mis en place pour la gestion environnementale, se concentrant notamment sur le recyclage et la gestion de l’eau. Au niveau social, le Spa Eastman appuie son engagement social aussi bien auprès du personnel que de la clientèle et de la population locale. Le programme repose sur une quinzaine d’actions spécifiques. Enfin, au niveau économique, une dizaine d’actions a été développée essentiellement pour tisser des relations privilégiées à long terme avec les fournisseurs locaux. (2) Des québécois généralement intéressés au tourisme durable, mais peu informés sur le sujet (3) Le respect envers l’environnement est la valeur principale envers le tourisme durable (4) Le risque « fonctionnel » (c’est-à-dire la performance) est le risque perçu principal envers le tourisme durable (5) Le respect envers l’environnement est le seul pilier du tourisme durable qui influence l’achat d’un forfait spa durable (6) Si une large partie de l’échantillon est intéressée au tourisme durable, significativement sa pratique semble encore réservée à des catégories de touristes plus éduquées et plus aisées.
Constat : Afin de faire évoluer les référentiels sociétaux, il s’avère nécessaire de renforcer la valeur perçue et de réduire les risques perçus, notamment en mettant l’accent sur la dimension environnementale en tant que levier d’adoption du tourisme durable. Présentement, le tourisme durable souffre d’une certaine méconnaissance de la part de la population québécoise. Ainsi, il faut sensibiliser, informer et éduquer les québécois sur l’importance d’adopter progressivement des pratiques de tourisme durable. Comme notre étude démontre que la dimension environnementale semblerait être la seule à avoir de l’importance pour les consommateurs dans la pratique du tourisme durable, il serait judicieux pour les acteurs du tourisme durable de mettre en avant les valeurs écologiques dans la description des activités proposées. Les agences touristiques auraient aussi intérêt à offrir plus d’informations sur les bénéfices environnementaux liés à la pratique du tourisme durable afin de convaincre les touristes. Toutefois, il faut faire attention à ne pas basculer rapidement dans la mascarade écologique… Le consommateur québécois est aujourd’hui conscient de ces manipulations et souhaite être informé clairement sur les véritables attributs environnementaux de ces activités touristiques. Également, si l’environnement est de toute évidence une préoccupation majeure aux yeux des québécois, il est déterminant de poursuivre les efforts de communication sur le tourisme durable de manière à conscientiser les touristes sur ses impacts bénéfiques à trois niveaux, environnemental, économique et social. N’oublions pas que le tourisme durable est le résultat de la coexistence de ces trois piliers. Est-ce que les résultats de cette étude signifieraient un basculement du tourisme durable vers l’avènement de l’écotourisme? La question peut se poser…
* Cette analyse est un résumé d’un article publié dans la Revue Française du Marketing co-écrit par Fabien Durif : Brieu, M., Durif, F., Roy, J. et Prim-Allaz, I. (2011). Valeurs et risques perçus du tourisme durable : Le cas du Spa Eastman. Revue Française du Marketing, 232(septembre, 2/5), 7-24.
[2] Un pland’expérimentation (1X5) par scénarios a été réalisé. L’objectif était : (1) de comparerl’impact des dimensions du TD sur le comportement des consommateurs; (2) d’analyser les valeurs et risques perçus qui influencent l’intention lorsque les trois variables du TD sont présentes dans la communication d’une organisation. Cinq scénarios ont été créés et validés par un groupe d’experts : le premier servait de contrôle; les second, troisième et quatrième possédaient chacun un pilier du TD (respectivement environnement, social et économique); le dernier regroupait les trois piliers du TD. Seuls les scénarios ont été manipulés et chaque répondant n’a été confronté qu’à un seul d’entre eux en répondant sur une échelle de type Likert en 7 points (de 1 : « Totalement en désaccord » à 7 : « Totalement en accord »). |