Par Karel Mayrand
Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki
Mots-clés: Projet de loi C-38, campagne Silence, on parle!, protection de l'environnement, démocratie
La loi 78 adoptée par le gouvernement du Québec et ses atteintes aux libertés individuelles ont occupé beaucoup d’espace médiatique au cours des dernières semaines. Ceci a fait tomber dans l’oubli l’assaut frontal que le gouvernement Harper a lancé contre la protection de l’environnement et nos institutions démocratiques dans son projet de loi C-38, qualifié de « mammouth » en raison de son envergure. C’est pour défendre ces deux valeurs, la démocratie et la protection de l’environnement, que la Fondation David Suzuki et les autres grands groupes écologistes canadiens ont lancé la campagne Silence, on parle!
L’environnement mis à mal
Que reproche-t-on au juste à ce projet de loi Mammouth? D’abord que près du tiers de ce projet de loi de 450 pages vise à démanteler des pans entiers de notre régime de protection de l’environnement pour favoriser le développement de projets industriels, notamment en lien avec l’industrie des sables bitumineux.
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Le projet de loi affaiblit les évaluations environnementales en raccourcissant le temps qui leur est consacré, ce qui aura pour effet de limiter l’apport scientifique à l’étude des projets.
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Ces évaluations ne permettront plus qu’aux citoyens directement affectés par des projets d’être représentés lors de l’étude des projets, ce qui aura pour effet d’exclure les groupes nationaux qui sont généralement mieux outillés pour intervenir et qui peuvent soutenir les groupes locaux.
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Seulement deux agences, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale et l’Office national de l’énergie, pourront dorénavant faire des évaluations environnementales, les autres étant abolies.
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Dans l’analyse des projets, les évaluations environnementales n’auront plus à considérer leurs impacts sur l’habitat critique des espèces menacées comme c’était le cas en vertu de la loi sur les pêches, qui s’en trouve considérablement affaiblie.
- Au final, le ministre de l’Industrie aura le pouvoir de renverser la décision de ces agences s’il advenait qu’elle recommande de ne pas aller de l’avant avec un projet ou de le modifier de manière importante.
Le gouvernement dit vouloir réformer le régime de protection de l’environnement pour le rendre plus efficace, mais il procède plutôt à un affaiblissement de ce régime qui aura pour effet de réduire la participation citoyenne et les connaissances scientifiques mises à contribution tout en renforçant les pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre, ce qui ouvre la porte au lobbyisme et aux décisions arbitraires. C’est donc l’intégrité même de nos lois environnementales qui est attaquée.
La démocratie assiégée
Le projet de loi C-38 attaque aussi de plein fouet nos institutions démocratiques en contournant les procédures parlementaires usuelles et en limitant les discussions de fond qui devraient normalement se tenir sur les changements les plus drastiques à être faits à nos lois environnementales en deux générations. En utilisant le projet de loi sur le budget pour faire adopter ces réformes, le gouvernement réussit à empêcher tout débat de fond transparent et démocratique sur ses orientations. Il se défend en disant qu’il a alloué plus de temps pour l’étude du projet de loi, mais cela ne laisse aux parlementaires que huit minutes par article à étudier. C’est bien peu pour un budget qui transforme à ce point notre pays. Ce budget est un coup de force contre le Parlement.
Parmi les dispositions obscures dont on ne pourra débattre convenablement figure un budget de huit millions de dollars mis à la disposition de l’Agence du revenu Canada pour enquêter sur les activités de nature politique et le financement international des organismes de bienfaisance, plus particulièrement des organisations écologistes qui ont le malheur de ne pas partager la vision du gouvernement sur le développement de nos ressources naturelles et qui sont victimes des attaques sournoises et concertées de plusieurs ministres fédéraux depuis le début de l’année.
Les organismes de bienfaisance peuvent consacrer jusqu’à 10 % de leurs budgets à des activités de plaidoyer politique non partisan. C’est ainsi que les associations de lutte contre le tabagisme ou contre le cancer ont réussi à obtenir l’interdiction de la cigarette dans les endroits publics. C’est aussi de cette manière que la Fondation David Suzuki a obtenu l’adoption d’une loi fédérale sur le développement durable ou l’interdiction des pesticides à usage cosmétique dans plusieurs provinces, ou qu’elle a permis à plus de 16 000 Canadiens de s’opposer au retrait du Canada de Kyoto en écrivant au premier ministre Harper.
Le projet de loi C-38 confère maintenant des pouvoirs plus étendus à l’agence du revenu Canada pour enquêter sur les organismes de bienfaisance – lire groupe écologistes – et pour suspendre leur charte d’organisme de bienfaisance, non pas parce qu’ils ont contrevenu à leurs obligations, mais parce qu’ils ont fait des erreurs dans la manière dont ils ont fait rapport à l’agence. L’agence peut donc suspendre indéfiniment un organisme de bienfaisance non pas sur le fond de ses actions, mais sur la forme dont il a fait rapport. L’absence de lignes directrices claires sur cette forme ouvre la porte à une application arbitraire.
C-38 ouvre la porte toute grande au harcèlement et à l’intimidation des organismes de bienfaisance qui ont le malheur de ne pas partager le point de vue du gouvernement. Comme Québec l’a fait avec la loi 78, Ottawa utilise son pouvoir législatif pour affaiblir ses adversaires et, ce faisant, appauvrir la qualité de nos discussions démocratiques.
Pas question de se taire!
La protection de l’environnement et de la démocratie sont deux valeurs partagées par une très forte majorité de Canadiens et de Canadiennes. Ces deux valeurs transcendent largement les lignes partisanes et font partie de notre héritage commun. Devant un projet de loi qui assiège notre environnement et qui érode notre démocratie, il n’est pas question de nous taire ou de nous laisser intimider. Les citoyens et les organismes de bienfaisance doivent pouvoir contribuer aux discussions démocratiques dans ce pays sans craindre l’intimidation des élus. Il en va de notre liberté d’expression.
C’est pourquoi les groupes environnementauxles plus importants au pays,incluant Équiterre, WWF, Greenpeace et la Fondation David Suzuki,s'allient aux organisations vouées à la défense de la démocratie et de lajustice sociale pour lancer un appel aux citoyens,auxorganisations etauxentreprises à participer à la campagne « Silence, on parle ! » qui vise à dénoncer le projet de loi C-38. La campagne« Silence, on parle !», a déjà atteint la barre des 13 000 partisans à travers le pays et plus de 40 groupes ont affirmé qu’ils prendront la parole le 4 juin prochain pour défendre leur liberté d’expression. Plusieurs personnalités dont Dominic Champagne, Yann Perreau, Dumas, Geneviève Rochette et les Cowboys Fringants ont donné leur appui à la campagne.
Le mammouth est une espèce qui date de l’âge des cavernes. Retournons ce projet de loi Mammouth au pays des fossiles.