Par Nicolas Mainville
Directeur de Greenpeace au Québec
Mots-clés : Ressources naturelles, bien commun, Plan Nord, loi sur l’aménagement durable des forêts, partis politiques
Alors que les partis conventionnels parlent à peine du bout des lèvres d’environnement et que les débats des chefs évitent littéralement cet enjeu central, les Québécois semblent plus que jamais en faveur d’un nouveau modèle de gestion de nos ressources naturelles qui respecte le bien commun et encourage la protection de l’environnement. Dans un sondage Léger Marketing réalisé pour l’AQLPA et Greenpeace et publié jeudi dernier, la très grande majorité des Québécois et Québécoises demandent à ce que les partis politiques s’engagent à protéger les écosystèmes du Nord AVANT toute accélération de l’exploitation des ressources forestières, minières et énergétiques du nord du Québec [i].
Effectivement, plus de 85% des répondants sont « très » ou « assez » d’accord à ce que le prochain gouvernement protège au moins 50% du territoire avant toute ruée vers le Nord. Alors qu’à peine 8% du Québec est actuellement protégé, soit à peine les 2/3 de l’ancienne cible internationale de 12% fixée à Rio il y a 20 ans (la nouvelle cible est de 17%), il semble avoir une déconnexion majeure entre les préoccupations de la population et les positions trois partis « conventionnels ». Effectivement, ni le Parti libéral du Québec, ni la Coalition Avenir Québec ou le Parti québécois répondent dans leur plate-forme aux enjeux de la protection de la biodiversité à la hauteur des attentes dévoilées dans ce sondage, contrairement aux partis émergents.
Alors que le Parti libéral propose avec son Plan Nord une protection des écosystèmes d’ici 2035 malgré une accélération immédiate de l’exploitation des ressources, le PQ et la CAQ n’ont tout simplement aucune mention sur la création d’aires protégées, la conservation ou la biodiversité dans leur plate-forme [ii]. Il faut aller auprès de Québec Solidaire, d’Option nationale et du Parti vert pour y trouver des engagements intéressants en la matière. Cette omission des « grands » partis est d’autant plus troublante que la situation des forêts au Québec est loin d’être anodine.
Le secteur forestier à la croisée des chemins
Le secteur forestier joue un rôle immense au Québec, alors que 88% de nos forêts publiques productives ont été allouées à des fins d’exploitation [iii]. De cette portion disponible pour l’industrie, près de 90% a déjà été coupé et/ou fragmenté, ce qui signifie qu’à peine 10% de notre forêt est encore intacte [iv]. Ces dernières forêts vierges se situent en bordure de la limite nordique, près du 52e parallèle, et sont de plus en plus difficiles à atteindre pour l’industrie qui doit parcourir des centaines de kilomètres entre l’arbre et l’usine. Le secteur forestier traversant une crise sans précédent dû entre autres à la faiblesse du marché aux États-Unis, à la féroce compétition des pays émergents et à la faible rentabilité de nos installations, le gouvernement du Québec y investit massivement.
L’exploitation de nos forêts publiques est en fait déficitaire pour les Québécois depuis 2007, c'est-à-dire que les sommes investies de nos fonds publics sont supérieures aux redevances payées par les compagnies privées pour exploiter cette ressource, et ce déficit est grandissant. Alors qu’il en coûtait près de 150 millions de dollars au Québécois pour faire couper leur forêt publique par les entreprises privées en 2008, cette somme est estimée dans le dernier budget provincial à près de 400 millions de dollars, soit 500 millions d’investissements publics, de crédits d’impôts, de subventions, etc. pour près de 100 millions en redevances pour les 15 à 20 millions d’arbres extraits de nos forêts cette année [v].
Maintenu sur le respirateur artificiel, ce système n’est pas viable à long terme et doit changer. Déjà, des dizaines de milliers d’emplois ont été perdus dans ce secteur, malgré les investissements massifs. Pendant ce temps, la forêt est mise à mal, avec une exploitation toujours aussi agressive, basée sur la quantité de volume extrait plutôt que la qualité des produits transformés.
Un silence inquiétant
Un nouveau régime forestier est en train de prendre forme au Québec, et la nouvelle loi sur l’aménagement durable des forêts sera en vigueur à partir d’avril 2013. Avec ce changement de régime, c’est le gouvernement, et non les compagnies, qui décidera du « comment » et du « où » nous couperons nos forêts publiques. Cette prise en charge de l’aménagement forestier par nos décideurs doit se traduire par une réelle modification des façons de faire, tant en terme des coupes forestières qu’en terme de niveau de protection de nos forêts.
Comment expliquer le silence du PQ et de la CAQ en la matière, et comment le PLQ peut-il présenter avec sérieux un plan de conservation qui prendra forme dans 25 ans ? Certains penseront que c’est pour ne pas déplaire aux populations des « régions ressources » que ces partis évitent de parler de protection de nos forêts. Mais à en croire le sondage publié la semaine dernière, autant les gens en régions que ceux en ville sont en faveur de la protection des écosystèmes, dans des proportions fort similaires.
Il semble plutôt que le lobby de l’industrie forestière réussi son travail d’intimidation, malgré le nouveau régime qui vient, afin d’assurer qu’aucun volume de bois ne devra être retiré de l’assiette d’exploitation des compagnies forestières [vi]. Les pressions du Conseil de l’Industrie Forestière du Québec sont légendaires, mais de là à influencer les partis à même éviter de parler de protection des forêts publiques, c’est particulièrement inquiétant.
Interpellés par le questionnaire du CIFQ, les partis auront à choisir entre la protection des intérêts de l’industrie (maintien du financement, aucune diminution de volume de bois, etc.) et l’équilibre entre protection et exploitation proposé par une coalition de groupes environnementaux la semaine dernière [vii]. Dans une plateforme commune intitulée « Pour une prospérité durable », les groupes appellent au virage vers l’aménagement écosystémique des forêts, à l’atteinte de la cible de 17% de protection en forêt commerciale et la protection de 50% des écosystèmes du Nord AVANT toute accélération de l’exploitation [viii], au diapason avec le sondage de la semaine dernière. Plus que jamais, les citoyens doivent être à l’affût des propositions des partis afin de faire le choix le plus éclairé possible, en accord avec leurs convictions. Le dossier forestier devrait définitivement retenir l’attention de ceux qui voteront pour la planète le 4 septembre prochain.
[i] AQLPA-Greenpeace, “Sondage AQLPA-Greenpeace: Les Québécois Appellent à Un Nouveau Modèle De Développement”, n.d., http://www.greenpeace.org/canada/fr/Blog/sondage-aqlpa-greenpeace-les-qubcois-appellen/blog/41773/.
[ii] Greenpeace Québec, “Position Des Partis Sur 5 Grands Enjeux Environnementaux – Élections 2012”, n.d., http://www.greenpeace.org/canada/Global/canada/report/2012/08/tablau%20final%20enjeux%20enviro%20Qc2012.pdf.
[iii] G. Coulombe, Rapport De La Commission D’étude Sur La Gestion De La Forêt Publique Québécoise, 2004,
http://www.commission-foret.qc.ca/rapportfinal.htm.
[iv] N. Mainville, Refuge Boreal: Rapport Sur Les Dernières Forêts Intactes Du Québec (Greenpeace Canada, 2010), http://www.greenpeace.org/canada/Global/canada/report/2010/5/Boreal_refuge/rapport%20REFUGE%20BOREAL.PDF.
[v] Quebec, “Budget Bachand 2012-2013- Tirer Le Plein Potentiel De Nos Ressources Naturelles”, n.d., http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/Budget/2012-2013/fr/documents/CoupOeil.pdf#page=5
[vi] CIFQ, “Quels Sont Les Engagements Des Différents Partis Concernant Le Secteur Forestier?”, n.d., http://www.cifq.com/fr/electionsprovinciales2012
[vii] “Élections Qc. 2012 : Huit Grandes Organisations Environnementales Dévoilent Une Plateforme Commune”, n.d., http://www.greenpeace.org/canada/fr/Blog/lections-qc-2012-huit-grandes-organisations-e/blog/41750/
[viii] “Pour Une Prospérité Durable – Plateforme Des Organisations En Environnement”, n.d., http://www.greenpeace.org/canada/Global/canada/report/2012/08/Platforme%20des%20organisations.pdf