Accès à l’information environnementale au Québec : une omerta juridiquement organisée!

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Par Me Jean Baril
Docteur en droit, chercheur associé à la Chaire de recherche du Canada en droit de l’environnement et administrateur du Centre québécois du droit de l’environnement


Mots-clés : Droit d’accès à l’information environnementale, protection de l’environnement, développement durable.

Les demandes d’accès à l’information de nature environnementale portent généralement sur les conditions d’autorisation de projets, des analyses ou des documents techniques soumis au soutien de telles autorisations, la liste des contaminants utilisés par une entreprise, des rapports de caractérisation des sols ou de l’eau, etc. Ceux qui cherchent à obtenir ces renseignements le font habituellement à des fins de prévention, de participation à des processus de prise de décision ou pour s’assurer du respect de la loi et de leurs droits. Dans tous les cas, ces renseignements contribuent à faire des citoyens des acteurs de la protection de l’environnement, ce qui est une condition essentielle d’un modèle de développement qui soit durable. Pour autant que les informations recherchées puissent être obtenues…

Cependant, plus de 30 ans après l’adoption des premiers mécanismes d’information environnementale dans la Loi sur la qualité de l’environnement [1] (Lqe), ces derniers sont régulièrement mis en échec par les restrictions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels [2] (Loi sur l’accès), particulièrement celles portant sur les renseignements pouvant avoir des incidences sur l’économie et celles sur les décisions administratives ou politiques [3]

 

Les renseignements fournis par des tiers et ayant des incidences sur l’économie

Au Québec, comme ailleurs, l’État recueille de plus en plus de renseignements auprès de personnes physiques ou morales que la loi qualifie de « tiers ». La Loi sur l’accès accorde à ces derniers un droit de veto sur la divulgation de nombreuses informations remises à l’État.  L’article 23 de cette loi énonce :
 

Un organisme public ne peut communiquer le secret industriel d'un tiers ou un renseignement industriel, financier, commercial, scientifique, technique ou syndical de nature confidentielle fourni par un tiers et habituellement traité par un tiers de façon confidentielle, sans son consentement.

 

Cet article sert à motiver d’innombrables refus. A titre d’exemples concrets, mentionnons le refus de divulguer une demande de certificat d’autorisation, un rapport d’expert concernant les normes relatives à la teneur en monoxyde de carbone dans l’air, un rapport de caractérisation des sols, des études hydrologiques accompagnant une demande de certificat d’autorisation, une étude d’impact sur le bruit ainsi que les caractéristiques des équipements qui allaient être utilisés dans une carrière, un plan préliminaire de mesures d’urgence, ainsi que l’avis de projet et les documents annexés concernant l’enfouissement de sols contaminés. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEFP) a aussi refusé de divulguer les documents indiquant les produits chimiques utilisés par les entreprises recherchant du gaz de schiste au Québec, au motif que ces entreprises s’y opposaient [4].

 

Par ailleurs, l’article 24 de la Loi sur l’accès énonce :
 

Un organisme public ne peut communiquer un renseignement fourni par un tiers lorsque sa divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver une négociation en vue de la conclusion d'un contrat, de causer une perte à ce tiers, de procurer un avantage appréciable à une autre personne ou de nuire de façon substantielle à la compétitivité de ce tiers, sans son consentement.

 

Le risque vraisemblable de causer une perte commerciale à un tiers ou celui de nuire de façon substantielle à sa compétitivité amène souvent la Commission d’accès à l’information (ci-après « la Commission ») à refuser la divulgation d’informations environnementales exigées pour l’obtention d’un certificat d’autorisation émis en vertu de l’article 22 de la Lqe. Par exemple, ce fut le cas pour une usine de cogénération électrique, une carrière et une usine d’équarrissage. La divulgation d’autres documents à forte teneur environnementale a aussi été jugée susceptible d’être commercialement nuisible aux tiers. Mentionnons une étude hydrogéologique, le bilan obligatoire de phosphore d’une ferme porcine, une étude géologique, un plan de gestion des pneus usés, des ententes relatives à l’exploitation d’un lieu d’enfouissement et d’un centre de tri en vertu d’un partenariat public-privé, un rapport relatif au tonnage de déchets transportés dans un site d’enfouissement, afin de savoir si l’organisme respecte les normes environnementales prévues à cette fin, et une étude de répercussions sur l’environnement concernant une usine de fabrication de panneaux de fibre et de captation de gaz. La divulgation d’un rapport d’expert concernant un barrage a aussi été interdite, au motif que ce rapport risquait vraisemblablement de bénéficier à un riverain qui voulait poursuivre le ministère de l’Environnement et le propriétaire du barrage ayant présumément asséché un plan d’eau.

 

Les renseignements ayant des incidences sur les décisions administratives ou politiques

Par ailleurs, les restrictions à l’accès à l’information concernant les renseignements ayant des incidences sur les décisions administratives et politiques, varient selon la nature du document concerné. Ainsi, l’article 37 prévoit un régime d’accès différé pour les recommandations et les avis des fonctionnaires et des conseillers, alors que l’article 38 traite des avis et recommandations institutionnels que les organismes s’adressent mutuellement, qui deviennent accessibles lorsque la décision finale est arrêtée. Quant à l’article 39, il prévoit que les analyses produites dans le cadre d’un processus décisionnel sont accessibles lorsque la décision est prise. Notre recherche démontre que de nombreux avis, recommandations ou analyses portant sur des problématiques environnementales demeurent interdits à la connaissance du public, privé ainsi d’expertises et de regards critiques importants face à la complexité des enjeux soulevés.

C’est ainsi que l’article 37 a servi de motif de refus pour divulguer les notes d’information et fiches d’analyses préparées par les fonctionnaires de la Direction de l’environnement forestier du ministère des Ressources naturelles, portant sur la décision du Forestier en chef et son impact sur le maintien des forêts mures et surannées. De même, un rapport préparé par des consultants sur la situation des ressources naturelles, de la forêt et des espèces fauniques et aquatiques sur le territoire d’une municipalité, devant servir d’outil de référence en vue de la rédaction de règlements en lien avec les ressources naturelles, a été jugé inaccessible. Les rapports d’évaluation d’un projet d’implantation d’une usine préparés par le personnel du MDDEFP ont aussi été déclarés inaccessibles. La Commission a aussi considéré comme une analyse un rapport sur l’alimentation en eau potable d’une municipalité. Une étude hydrologique et hydraulique préparée par une société d’ingénierie, pour le compte d’une municipalité au prise avec de sérieux problèmes d’érosion, fut aussi traitée comme une analyse ne devant pas être divulguée jusqu’à la décision finale de la municipalité. Le principe de prévention, cardinal en droit de l’environnement, milite pourtant en faveur de la divulgation de tels travaux, de même que celui de la participation du public à la prise de décision en matière d’environnement. Un rapport d’une firme de consultants chargée d’évaluer les plans pour les services d’égouts et d’aqueducs, tout en préservant l’aspect écologique des lieux, fut aussi soustrait à la divulgation. La Commission a aussi jugé qu’un document préparé par le MDDEFP faisant état de la situation de l’étude d’impact du tiers et comprenant des arguments, des conclusions et des recommandations constituait une analyse protégée par l’article 39. La population peut donc connaître l’étude d’impact préparée par un promoteur et ses consultants, mais pas l’évaluation qui en est faite par l’administration publique « à son service ». Il en fut de même de l’évaluation par le MDDEFP d’une demande de certificat d’autorisation.

 

Conclusion

Notre analyse des mécanismes généraux d’accès à l’information prévus par la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des enseignements personnels montre que cette dernière ne permet généralement pas la défense efficace du droit fondamental à un environnement sain des citoyens[5] et contribue minimalement à l’atteinte collective d’un développement qui soit durable. L’adoption, en 2006, d’une Loi sur le développement durable reconnaissantles principes juridiques d’accès à l’information et de participation du public n’a pas fait en sorte que les exceptions au droit d’accès soient interprétées plus restrictivement par les organismes publics et les tribunaux, ni de moderniser les différents mécanismes juridiques devant permettre aux citoyens d’accéder aux informations de nature environnementale et d’être de réels acteurs du développement durable. Au Québec, c’est toujours business as usuel et la loi du silence continue…

 


[1] L.R.Q., c. Q-2.

[2] L.R.Q., c. A-2.1.

[3]Pour une analyse plus détaillée de ces questions, voir Jean BARIL, « « Droit d’accès à l’information environnementale : pilier du développement durable » dans Développements récents en droit de l’environnement (2012), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 1.

[5] Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12, art. 46.1

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