Par David Suzuki
Généticien, journaliste et cofondateur de la Fondation David Suzuki
Ne serait-il pas formidable qu'en cette nouvelle année, les décideurs du monde entier choisissent de regarder la vie sous un autre angle? Par exemple, ils pourraient s'inspirer du Bhoutan. En 1971, ce petit pays, niché dans les montagnes de l'Himalaya, entre la Chine et l'Inde, a rejeté l'idée du produit intérieur brut comme mesure du progrès. À la place, les dirigeants de ce pays ont opté pour la notion de bonheur national brut.
Cette idée a finalement gagné en popularité autour du monde, et je suis honoré et enchanté de participer à sa promotion. Les dirigeants mondiaux ont jugé ce concept suffisamment sérieux pour mettre sur pied, en avril 2012, une conférence des Nations Unies sur le bonheur, et le Bhoutan a été reconnu pour son leadership en environnement au récent sommet des Nations Unies à Doha, au Qatar.
La vie n'est pas parfaite au Bhoutan. C'est un pays pauvre où la plupart des habitations n'ont pas d'électricité. La criminalité augmente et les changements climatiques compliquent la vie des agriculteurs qui fournissent l'ensemble de la nourriture consommée dans ce pays enclavé.
Cependant, selon le Guardian, l'espérance de vie au Bhoutan a doublé depuis les vingt dernières années, presque tous les enfants vont à l'école primaire et le pays a amélioré ses infrastructures.
Le Bhoutan a aussi inscrit la protection de l'environnement et l'équité intergénérationnelle dans sa constitution. Le droit d'avoir accès à un environnement sain est une autre initiative qui me rend enthousiaste. La Fondation David Suzuki et moi avons travaillé avec l'avocat en environnement et professeur, David R. Boyd, et l'organisme Ecojustice pour promouvoir cette idée au Canada. Le livre de David R. Boyd intitulé, The Right to a Healthy Environment : Revitalizing Canada's Constitution, fait une merveilleuse analyse de la position des nations partout dans le monde en ce qui concerne ce concept, et émet des arguments de grande qualité pour expliquer pourquoi le Canada devrait rejoindre les cent quarante nations et plus qui ont intégré la protection de l'environnement dans leur constitution.
Se préoccuper de l'environnement peut aider à atteindre le bonheur national brut et ce, de plusieurs façons : en permettant à nos enfants d'avoir un futur plus sûr, en améliorant la santé humaine, en s'assurant que les ressources disponibles soient suffisantes pour combler les besoins des citoyens, en offrant la possibilité d'avoir des liens récréatifs et spirituels avec la nature, et en développant chez les individus des sentiments de fierté et de respect pour les milieux naturels qui nous gardent en vie et en santé.
Le bonheur n'est pas seulement une question d'environnement et le Bhoutan a encore du chemin à faire. Selon une étude réalisée pour la conférence des Nations Unies sur le bonheur, « Les pays les plus heureux dans le monde se situent tous dans le nord de l'Europe (le Danemark, la Norvège, la Finlande, les Pays-Bas) ». Bien que ces pays soient riches, l'étude indique que l'argent n'est pas l'unique facteur décisif, comme le démontre la décroissance du bonheur aux États-Unis et dans des pays similaires. « La liberté politique, de bons réseaux sociaux et l'absence de corruption sont des facteurs qui, réunis, sont plus importants que les gains monétaires pour expliquer les différences entre les pays les plus heureux et ceux qui le sont le moins », d'après les écrits des chercheurs. « Au niveau de l'individu, avoir une bonne santé mentale et physique, pouvoir compter sur quelqu'un, avoir la sécurité d'emploi et la stabilité familiale sont essentiels ». Il est important de noter que les pays les plus heureux ont tous une économie prospère et des programmes sociaux bien établis.
Nous pouvons aussi regarder la façon dont divers pays ont réagi face à la récente crise économique. Ceux qui ont renfloué les banques et réduit les dépenses au niveau des programmes sociaux restent confrontés aux mêmes problèmes. L'Islande a géré son effondrement financier d'une manière qui était presque à l'opposé des États-Unis et l'Europe, entre autres, en refusant de sauver ses banques et en augmentant ses dépenses dans ses programmes sociaux.
L'Islande a encore des problèmes. Mais le pays s'est rétabli plus rapidement que les autres nations, et son filet social est resté fort. Les inégalités ont diminué, et la crise a incité les citoyens à proposer et développer une nouvelle constitution, qui est présentement à l'étude au parlement.
Il y a un vieux dicton qui associe la « folie » au fait de répéter la même chose encore et encore en s'attendant à des résultats différents. Les dirigeants qui se concentrent presque exclusivement sur la croissance économique et les intérêts des entreprises reprennent une recette qui ne peut mener qu'au désastre. Comme l'a récemment écrit George Monbiot dans le Guardian du Royaume-Uni, « En contrepartie de cent cinquante années de consommation effrénée, qui plus est n'ont rien fait pour augmenter le bien-être des humains, nous détruisons les milieux naturels et, par le fait même, les systèmes humains qui en dépendent ».
Pendant que la lumière retourne graduellement vers le nord et que nous entamons une nouvelle année, nos dirigeants pourraient illuminer toutes nos vies en prenant en considération ce qui rend nos sociétés fortes, en santé et heureuses.
Je vous souhaite tous une bonne santé et du bonheur pour cette nouvelle année.
Cet article a été rédigé avec les contributions de Ian Hanington, spécialiste des communications de la Fondation David Suzuki.