Choisir de vivre en famille en ville, pourquoi ? Entretiens avec quatre familles urbaines

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Par Rébecca Desaulniers
Agente d’information et de soutien chez Équiterre


Habiter en ville ou en banlieue? Le travail, les enfants, la qualité de vie, le coût, le mode de transport, l’environnement et la proximité des services, sont autant d’aspects à considérer dans cet arbitrage.

 

Pour une jeune famille, la réponse à cette question centrale du lieu de vie ne va pas nécessairement de soi.  De nos jours, on entend souvent parler de l’exode des familles vers les banlieues, pour bénéficier entre autre d’une maison, d’une cour, d’une piscine, etc. Mais qu’en est-il des familles qui décident de s’installer en ville ? Quels sont les éléments qui ont motivé leur choix? Quels sont les avantages de la vie urbaine selon eux? Pour répondre à ces questions, nous avons donné la parole à quatre familles urbaines en leur posant la question suivante : pourquoi avez-vous choisi de vivre en ville plutôt qu’en banlieue ? Mais avant d’exposer leurs réponses, une brève mise en contexte s’impose.

 

La banlieue ou la ville

Surprenant ou non, l’étalement urbain se poursuit, avec les conséquences environnementales et économiques qui s’y rattachent : aggravation des problèmes de circulation, augmentation des coûts collectifs d’infrastructures, perte de terres agricoles, changements climatiques, diminution de la vitalité des villes et de leur base fiscale.

Par exemple, l’île de Montréal perd plus de 20 000 personnes par année, dont 7 000 enfants de 0 à 14 ans [1].  Pour contrer cet exode des familles, le ministre Lisée a annoncé, le 11 décembre dernier, la mise sur pied d’un comité dont le mandat est d’élaborer un plan d’action comprenant des stratégies pour que les familles viennent et restent à Montréal [2]. Il pourrait s’agir d’incitatifs financiers pour encourager les familles à faire l’achat d’une première résidence à Montréal (ou plutôt la bonification des programmes d’accès à la propriété déjà en place) ou d’incitatifs pour la construction de logements destinés aux familles. En 2009, la ville de Québec a mis sur pied un groupe de travail pour faire face à une problématique similaire d’étalement urbain [3].

Selon plusieurs, dont le ministre Lisée, le plus grand défi à relever pour retenir les familles en ville serait l’accessibilité au logement.  D’abord, l’offre de logement répondant aux besoins des jeunes familles ne serait pas assez important en ville. Ensuite, il faudrait trouver les moyens de réduire l’écart de coût des résidences entre la ville et la couronne.

Acheter une maison ou un condo à Montréal, c’est coûteux. Pour le même prix, il est souvent possible d’acquérir en banlieue une maison plus grande avec un terrain. Mais d’autres enjeux entrent en ligne de compte et font que la banlieue n’est pas nécessairement plus économique que la ville. En effet, vivre en banlieue exige souvent d’avoir deux voitures.  Avoir une plus grande maison, un terrain, une piscine, demande de l’entretien, donc plus de dépenses et de temps. La CAA (L’Association canadienne des automobilistes) évalue qu’une auto neuve coûte environ 9 000$ par année. Alors qu’en ville, on le sait, c’est plus facile de se déplacer à pied ou en transport en commun, soit pour faire ses courses, soit pour aller au travail. D’ailleurs, le prolongement de la ligne de métro orange à Laval contribuerait à attirer des gens en banlieue dans les habitations construites à proximité des nouvelles stations de métro.

 

Proximité du travail

Isabelle et Normand ont acheté une maison au centre-ville de Montréal, où ils habitent avec leurs deux petites filles depuis quelques années. Isabelle, qui a grandi en banlieue, explique leur choix : «On voulait être proche de notre travail.  C’est la vie sans voiture qui nous a attiré en ville. Avoir une voiture, ça coûte cher, c’est du temps à donner pour l’entretien, sans parler du stationnement, du déneigement. Ça amène plus de liberté de ne pas en avoir. On en loue une avec Communauto quand on en a besoin. »

Flavia et Ricardo, brésiliens d’origines, ont immigré au Québec il y a quelques années. Ils viennent d’acheter un condo à Outremont ou ils habitent avec leurs deux jeunes enfants. Ils vont travailler au centre-ville de Montréal en transport en commun et possèdent une voiture qu’ils utilisent entre autres pour aller chercher les enfants à la garderie après le travail. Flavia explique : « J’ai des amis qui ont décidé d’acheter une maison en banlieue. Pour nous c’était hors de question. Quand tu habites en banlieue, il faut toujours que tu reviennes en ville pour travailler et pour les activités culturelles. On voulait avoir le métro et l’autobus proche. Avoir une cour arrière ne correspondait pas à nos besoins. On est une famille très sociable et l’été on ne reste pas chez nous de toute façon. On bouge. Il y a plusieurs parcs accessibles à pied autour de chez nous. On va souvent visiter des ami(e)s aussi la fin de semaine.»

Même son de cloches chez Lucie et Michel qui ont quitté la banlieue en 2006 pour s’installer au centre-ville de Québec avec leurs trois adolescents, alors que leur plus jeune avait 16 ans. «On voulait avoir un mode de vie plus écologique. Nos fils nous en parlaient souvent. Avant, on avait deux voitures et une roulotte. On voulait se simplifier la vie. On perd du temps en auto. Être pris dans le trafic, c’était la normalité pour nous. On n’était pas conscient de ce qu’on manquait. C’était plus dispendieux aussi. Ça nous coûtait jusqu’à 150$ d’essence par semaine pour cinq chauffeurs. Aujourd’hui, on a une voiture qu’on se partage avec nos trois garçons qui habitent en ville eux aussi. »  

 

Tout à portée de main

Myriam et Ian sont propriétaires d’un duplex sur le Plateau Mont-Royal depuis trois ans. « On a acheté le duplex avec mon frère jumeau, nous dit Ian. On habite au 2e avec notre petit garçon et lui et sa famille au rez-de-chaussée. C’est sûr que c’est plus petit que ce qu’on aurait eu pour le même prix en banlieue. La cour est plus petite aussi. Mais les avantages en valaient la peine. Je suis conscient qu’on est chanceux. C’est beau de voir mon fils et les enfants de mon frère jouer ensemble dans la cour. Ce n’est pas tout le monde qui peut se payer ça. »

Pour Myriam, qui va travailler au centre-ville en transport en commun, être « proche de tout » est un élément central de sa qualité de vie. « Quand je reviens du travail, je trouve ça vraiment pratique de pouvoir faire mes courses à pied. Tout est accessible à pied avec ma poussette : la quincaillerie, les épiceries fines ou grandes surfaces, le couturier. Je ne suis pas loin du métro et des pistes cyclables. Je me sens plus autonome, moins dépendante de la voiture. Avoir le parc Lafontaine juste à côté, avec la pataugeoire et les aires de jeux, ça améliore ma qualité de vie.» Ian dit apprécier être proche des restaurants, des bars, de ses amis et de sa famille.

Flavia mentionne également aimer être à proximité des activités culturelles, « d’avoir la liberté d’aller voir un spectacle à la dernière minute, de façon spontanée ». De son côté, Michel constate faire plus de « sorties » depuis qu’il habite en ville. « Avant, on sortait moins. Ça ne nous tentait pas de ressortir une fois rentré du travail, de repartir, de chercher du stationnement. Maintenant on va voir des spectacles en autobus ou à pied. »  

 

Plus de temps pour profiter de la vie

Toutes les familles à qui nous avons parlé, nous ont dit que vivre en ville leur permet de sauver du temps. Temps qu’ils peuvent consacrer à leur famille et aux loisirs. « On voulait se simplifier la vie », affirme Michel. « Avoir deux voitures, c’est du stress et du travail. Avoir une piscine, ça demande de l’entretien ça aussi. L’été, il faut couper le gazon de la cour. L’hiver, il faut sortir la souffleuse. »

De son côté, Ian Parenteau nous a dit : « C’est vrai que ça coûte plus cher ici, mais ça me fait sauver du temps. C’est du temps que je peux passer avec mon fils. »

 

Intégrer l’exercice au quotidien

Selon Isabelle, habiter en ville sans voiture lui permet de garder la forme dans la vie de tous les jours. « L’exercice se fait à travers les déplacements. » Au téléphone, Lucie et Michel rigolent lorsqu’ils me disent : « C’est sûr que depuis qu’on habite en ville, on marche pas mal plus. Avant, j’étais toujours dans mon auto, ajoute Michel. Aujourd’hui, je marche une demi-heure le matin pour me rendre au travail. Je vois la différence. » Pour Lucie, l’exercice qui est le plus efficace pour être en santé, c’est celui qui est « intégré au quotidien ».

 

 



[1]
« Un comité stratégique pour retenir les familles à Montréal », http://radio-canada.ca/nouvelles/société/2012/11/16/002-comite-lisee-retention-familles-montreal.shtml

[2] Ibid.

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