Par Harvey L. Mead
Premier Commissaire au développement durable du Québec 2007-2008 et auteur de L’indice de progrès véritable : Quand l’économie dépasse l’écologie (MultiMondes, 2011)
Nos comportements ne l’indiquent pas, mais ce sont nos transports qui occasionnent les plus importantes quantités d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Ceux-ci à leur tour sont associés directement aux perturbations des systèmes atmosphères que nous connaissons comme les changements climatiques. Le secteur manufacturier de bon nombre de pays riches est fondé sur la production de véhicules de transport; suivant le modèle des pays riches, la Chine se propose d’en faire le « moteur » de son développement économique pour les prochaines décennies. Toute cette activité est intimement liée à l’industrie pétrolière, pour laquelle les transports représentent le plus important segment de marché. Dix des douzes plus importantes entreprises mondiales sont dans les secteurs de l’énergie fossile et de l’automobile, sur la liste du Fortune 500.
C’est dans un tel contexte qu’on vise ce qu’il est convenu d’appeler la «mobilité durable». La distinction est importante : la mobilité n’équivaut pas au transport, et tout l’avenir des milieux urbains à l’avenir va devoir refléter cette distinction. Il n’y aura vraisemblablement pas de «transport durable», mais il faut nécessairement que nous trouvions des modalités pour une «mobilité durable», puisque la survie de bon nombre dépend de leur mode de vie en ville. L’Observatoire de mobilité durable de l’Université de Montréal alimente la réflexion sur les multiples enjeux en cause, dont un article par Beaudet et Wolff qui situe le cadre pour la réflexion.
Depuis plus de deux ans, l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) travaille sur les différentes facettes d’une vision de mobilité durable conçue en fonction d’orientations économiques. Le plus récent rapport de recherche de l’IRÉC s’intitule justement «Politique industrielle : stratégie pour une grappe de mobilité durable». L’IRÉC analyse les transformations à venir dans les secteurs de l’énergie et des transports, et insiste sur l’idée que sa contribution constitue un programme pour la «reconversion écologique de l’économie». L’IRÉC prétend même que ses propositions contribueraient à une « économie verte ». Malheureusement, son approche ne tient tout simplement pas compte des véritables enjeux écologiques en cause.
Je suis déjà intervenu pour souligner l’absurdité du discours faisant la promotion de l’économie verte soutenue par des organisations internationales comme l’OCDE et la Banque mondiale et les mauvaises orientations que cela entraîne dans les interventions de l’IRÉC. Clé des interventions de l’IRÉC est la promotion du monorail à moteur-roue que l’IRÉC verrait sis entre les voies des autoroutes qui sont en train d’être remises en état à un coût dans les dizaines de milliards de dollars; il s’agit d’une nouvelle infrastructure qui va dédoubler les services fournis par ce réseau routier. Je suis intervenu sur ce dossier aussi.
Il est étonnant de voir la couverture omniprésente et positive concernant cette initiative, et l’appui qu’elle reçoit un peu partout. L’émission Découverte du 7 avril en a fourni des perspectives, mettant en évidence des ingénieurs comme Pierre Couture, le coordonnateur du projet TrensQuébec Jean-Paul Marchand et d’autres promoteurs du projet.
En contrepartie et dans l’absence de toute reconnaissance de ce que l’on doit considérer comme illusoire dans ce projet, je viens de mettre en ligne une analyse du rapport de recherche sur la mobilité durable de l’IRÉC (et qui sera publié plus tard sur d’autres sites). Finalement, tout le débat sur cette initiative nous mène dans le sens contraire de ce qui est nécessaire. Les projets rêvés par l’IRÉC se situent dans une perspective où l’Institut présume du maintien du modèle économique actuel et de l’intérêt de trouver de nouvelles modes de production dans un cadre on ne peut plus traditionnel. L’IRÉC, comme presque tous les acteurs socio-économiques actuels, reconnaissent les enjeux écologiques associés entre autres au réchauffement climatique, mais présument qu’ils vont continuer à nous accompagner tranquillement dans notre course à l’autodestruction. Le Québec doit se préparer bien au contraire pour des changements radicaux et rapides, rendus incontournables surtout en raisons de ces enjeux écologiques devenus des crises, mais fort probablement aussi en raison de l’effondrement du modèle économique lui-même.