Par Karel Mayrand
Directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki
Mots-clés: NOAA, CO2, seuil critique, industrie pétrolière canadienne, gestes citoyens
L'observatoire Mauna Loa d'Hawaï, qui dépend de l'Agence américaine océanique et atmosphérique (NOAA) a mesuré une concentration de CO2 dans l'atmosphère de 399,72 ppm, le 25 avril dernier, trois jours après le Jour de la Terre. D'ici quelques jours, ces concentrations passeront le seuil des 400 ppm. Nous nous apprêtons à fracasser l'un des seuils critiques au-delà desquels le climat se dérèglera irréversiblement. Face à cette situation, les délais et les faux-fuyants ne sont plus acceptables. L'heure est venue de choisir son camp.
L'industrie pétrolière canadienne a choisi le sien : doubler coûte que coûte la production des sables bitumineux en bradant les ressources canadiennes pour attirer les investissements étrangers, en démantelant les protections environnementales pour pulvériser tout obstacle au passage d'oléoducs, en s'assurant que le Canada se désengage du Protocole de Kyoto et n'adopte aucun plan crédible de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, en s'accaparant annuellement 1,3 milliard de subventions et en transformant le Gouvernement du Canada en son agence de relation publique à grand renfort de lobbyisme.
L'industrie fait son travail : maximiser le rendement à court terme pour ses actionnaires. Le nôtre est de maximiser le rendement à long terme pour l'ensemble de la population et pour les générations à venir. Nos intérêts entrent en collision frontale avec ceux de l'industrie pétrolière, peu importe ce que nous diront les tenants d'une économie fondée sur le pétrole. Il n'est pas responsable de payer l'épicerie en dilapidant notre rente pétrolière au profit d'intérêts étrangers, tout en léguant une dette écologique aux générations à venir avec un climat irréversiblement détraqué.
Voler l'avenir pour enrichir des actionnaires étrangers. Ce n'est pas le pays que nous voulons, et cela doit changer.
Puisque le Gouvernement et l'industrie continuent d'agir comme si demain n'existait pas, nous devons nous-mêmes reprendre l'initiative pour défendre les droits des prochaines générations. Je propose trois actions simples :
Réduire notre consommation de pétrole : je roule depuis un an en hybride. J'ai réduit ma consommation de pétrole de 700 litres et épargné près de 1000$. Mes émissions de GES ont diminué de moitié. Nous devons aller plus loin et forcer nos gouvernements à se doter d'objectifs de réduction de la consommation de pétrole et à promouvoir les transports collectifs et électriques.
Désinvestir le secteur pétrolier : Bill McKibben a lancé aux États-Unis une campagne de désinvestissement du secteur pétrolier. Nous devons nous aussi convaincre nos institutions de sortir leur capital du pétrole. Déjà les communautés religieuses refusent d'investir dans le tabac, l'armement, le nucléaire. Il est raisonnable d'ajouter le pétrole à la liste. L'argent de ma retraite ne servira plus à appauvrir mes enfants et à détruire les conditions de la vie sur Terre.
Refuser les projets de pipelines : Chaque projet de pipeline au Canada fournit une occasion aux Canadiens de se prononcer sur les sables bitumineux et les changements climatiques. En l'absence de discussion démocratique ouverte sur l'avenir énergétique de notre pays, nous devons signifier haut et fort notre refus de voir des pipelines traverser notre territoire. À eux seuls, les deux pipelines prévus pour le Québec permettront d'augmenter la production des sables bitumineux de plus d'un million de barils par jour et les émissions de GES de plus de 116 millions de tonnes annuellement. Nous avons le pouvoir d'éviter ses émissions.
Voici des gestes que nous pouvons poser comme consommateurs, investisseurs et citoyens, pour défendre nos intérêts et préserver ce qui reste de notre climat. Alors que la planète traverse le seuil critique de 400 ppm, les enjeux sont clairs : le seul pétrole éthique est celui qui demeurera dans le sol.