Le développement durable est une préoccupation partagée par un grand nombre d’acteurs de la vie économique et notamment le monde des affaires. Les entreprises intègrent de plus en plus les questions environnementales au centre de leurs stratégies de développement. Dans cette dynamique, le conseil des chefs d’entreprise du Canada s’est engagé à « faire preuve de leadership à l’égard des défis du développement durable et… de faire du Canada, une super puissance en environnement » (1). En plus, les pressions des parties prenantes comme les clients, certains partenaires financiers et investisseurs, les organisations de la société civile et les services publics, obligent les entreprises à communiquer de manière transparente sur leurs performances sociales et environnementales. Dans cette perspective, la production du rapport de développement durable est devenue une pratique courante des entreprises pour démontrer leur imputabilité et leur transparence.
Le reporting du développement durable consiste à mesurer la performance d’une organisation en matière de développement durable, à en communiquer les résultats puis à en rendre compte aux parties prenantes internes et externes (2). Selon une étude récente menée par le réseau mondial Klynveld Peat Marwick Goerdeler (KPMG), l’élaboration de ces rapports ne cesse de se généraliser et plus de 71 % des entreprises dans le monde publient à intervalle planifiée un rapport de développement durable (3). Depuis 2011, l’augmentation de la production des « sustainability reports » est fulgurante dans plusieurs pays soit plus de 53 % en Inde, plus de 46 % au Chili, plus de 50 % en Angola, plus de 37 % au Singapore, plus 19 % en Chine et environ 5 % au Canada (3). Tous les secteurs d’activités ont adopté cette tendance avec une certaine propension dans les minières, les pétrolières, les gazières, les entreprises forestières et de production du papier. Dans ces secteurs, plus de 80 % d’entreprises produisent un rapport de responsabilité sociale et environnementale chaque année (3).
Pour encadrer l’élaboration de ces rapports, les lignes directrices du Global Reporting Initiative (GRI) ont été élaborées pour servir de cadre de référence. Ce référentiel est adopté par plus de 82 % des entreprises produisant le rapport de développement durable (3). Pour que ce rapport contribue véritablement au développement durable et à l’amélioration des pratiques de l’entreprise, le GRI a édicté les critères de qualité d’un rapport notamment l’équilibre, la comparabilité, l’exactitude, la clarté et la fiabilité. Un rapport de développement durable doit fournir une représentation équilibrée et pertinente de la performance, positive ou négative, de l’organisation qui l’établit pour faciliter une décision éclairée des parties prenantes (2). Dans cette dynamique, la transparence est capitale pour permettre un reporting fiable et conforme aux réalités de l’entreprise.
Selon le GRI, la transparence peut être définie comme étant la diffusion complète des informations relatives aux thèmes et indicateurs requis pour rendre compte des impacts et permettre aux parties prenantes de prendre des décisions éclairée (2). Plusieurs entreprises s’illustrent par la qualité de leur rapport avec un score supérieur à 90 % suivant une évaluation internationale faite par KPMG. Il s’agit notamment de A.P. M.ller M.rsk, BMW, Ford Motor Company, Repsol, Cisco Systems, Total, Hewlett-Packard, Siemens, ING, Nestle (3). Toutefois, cette évaluation s’appuie sur les rapports produits par les entreprises et ne fait pas une analyse profonde des pratiques et de la perception des parties prenantes.
En dépit du potentiel des lignes directrices du GRI pour assurer la qualité, la fiabilité et la transparence, les rapports de développement durable de plusieurs entreprises sont toujours controversés. Plusieurs études ont mis en relief l’opacité et le caractère superficiel de certains rapports notamment leur déconnection avec la réalité (4) (5). Les informations contenues dans certains rapports ne sont pas conformes aux exigences du GRI et tendent plus à promouvoir le business de l’entreprise que de décrire la réalité des performances en matière de développement durable (6). Par exemple, les rapports de développement durable des hypermarchés comme Carrefour, Walmart, Loblaws font l’apologie de l’éthique et de l’approvisionnement responsable. Pourtant, ils ont été impliqués dans la tragédie du Rana Plaza au Bangladesh en avril 2013 où l’effondrement d’un bâtiment abritant les ateliers de confection des vêtements pour leurs marques a fait plus de 1 100 morts et plusieurs blessés. Ce terrible événement a mis en lumière les conditions de travail et de sécurité déplorables des ouvriers travaillant pour l’approvisionnement de ces hypermarchés (8).
Cette posture peut contribuer au « camouflage », à la dissimulation des informations réelles des pratiques de l’entreprise en matière de responsabilité sociale et environnementale et au « Greenwashing ». Le Greenwashing ou « ecoblanchiment » consiste à utiliser les arguments écologiques alors que l’intérêt du produit ou du service pour l’environnement est minime, voire inexistant. Ou encore, utiliser les arguments de développement durable alors que la démarche initiée par l’entrepriseest soit quasi inexistante, soit très partielle, soit peu solide et peu déployée auprès des salariés (7). Ces rapports sont utilisés par les entreprises comme un document de marketing et de relations publiques avec un contenu comprenant plusieurs images, logos, témoignages et informations positives sur l’entreprise parfois en contradiction avec la réalité. Le rapport de développement durable décrit ainsi une « hyperréalité » avec des informations et des images souvent artificielles dont l’objectif est moins d’améliorer les pratiques internes que de faire la promotion des réalisations de l’entreprise (5).
Le développement durable est un objectif commun et dans la perspective d’une solidarité intergénérationnelle, nous ne devons pas avoir une confiance « aveugle » aux « sustainability reports ». Cette situation nous invite en tant que partie prenante à être davantage critique dans l’analyse des rapports de développement durable des entreprises pour décrypter les « silences », les contradictions et les intentions cachées derrières la présentation de ces documents. En plus, un cadre réglementaire et législatif plus rigoureux peut être développé pour encadrer et promouvoir la transparence des rapports de développement durable.
Références :
(1) Conseil canadien des chefs d’entreprise, 2007. Une croissance écologique : faire du Canada une superpuissance en environnement [en ligne]. Ottawa, CCCE. http://www.ceocouncil.ca/wpcontent/uploads/archives/Une_croissance_ecologique_enonce_de_principes_energie_et_environnement_1er_octobre_2007.pdf [consulté en janvier 2014].
(2) Global Reporting Initiative, 2006. Sustainability Reporting Guidelines [en ligne]. Amsterdam, GRI. https://www.globalreporting.org/resourcelibrary/G3.1-Guidelines-Incl-Technical-Protocol.pdf [consulté en janvier 2014].
(3) KPMG, 2013. The KPMG Survey of Corporate Responsibility Reporting 2013 [en ligne]. Zurich,KPMG. http://www.kpmg.com/Global/en/IssuesAndInsights/ArticlesPublications/corporate-responsibility/Documents/kpmg-survey-of-corporate-responsibility-reporting-2013.pdf [consulté en janvier 2014].
(4) Moneva, J.M., Archel, P. et Correa, C., 2006. GRI and the camouflaging of corporate unsustainability. Accounting Forum, 30 (2), 121-137.
(5) Boiral, O., 2013. Sustainability reports as simulacra? A counter-account of A and A 1 GRI reports.Accounting, Auditing & Accountability Journal, 26 (7), 1036-1071.
(6) Laufer, W.S., 2003. Social accountability and corporate greenwashing. Journal of Business Ethics, 43 (3), 253-261.
(7) Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, 2011. Guide anti greenwashing [en ligne]. France, ADEME. http://www.greenwashing.fr/guide.html [consulté en janvier 2014].
(8) Guy Taillefer,2013. Bangladesh : les ateliers de la misère – Le Rana Plaza, huit mois plus tard [en ligne]. Le Devoir, 9 décembre. http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/394709/le-rana-plaza-huit-mois-plus-tard. [consulté en janvier 2014]
Source: Christian Valery TAYO TENE, étudiant à la Maîtrise en management avec mémoire, Faculté des Sciences de l’Administration, Université Laval